chroniques
Préoccupations stratégiques de l’Etat et compétition politique dans le discours royal
Le Roi Mohammed VI lors du discours royal depuis le Palais à l’ouverture de la session automnale du parlement le 9 octobre 2020
Les discours royaux suscitent à chaque occasion les mêmes questions : S’adressent-ils au gouvernement, aux partis ou sont—ils des discours d’Etat qui définissent sa vision et explicitent les défis auxquels il fait face à court, moyen et long termes ?
En raison de la prééminence du politique dans leurs préoccupations, certains acteurs de la vie politique nationale chercheront dans le discours royal ce qui conforte leurs attitudes, cherchant entre ses lignes ce qui renforce leur position et affaiblit celle de leurs adversaires. D’autres, notamment parmi les radicaux, vont trouver dans les termes du discours la preuve que le gouvernement ne jouit d’aucune prérogative et que le centre de décision et de conception des politiques publiques se trouve ailleurs bien loin du chef du gouvernement et de ses ministres.
J’ai suivi les analyses du discours royal à l’ouverture de la session automnale du parlement et scruté les positions des politiques. Il en est ressorti la même impression sur la façon dont on appréhende généralement le discours du Roi.
Trois ritournelles se démarquent ainsi :
Des partis de l’opposition qui y ont vu la démonstration de l’échec de la gestion gouvernementale, certains affirmant dans la foulée que l’appel royal à la révision des procédures de nomination aux hautes fonctions de l’Etat exprime le mécontentement du Souverain des pratiques dans ce domaine.
Pas loin de cette analyse, il y en a qui ont perçu la création d’un fonds d’investissement stratégique doté de 15 milliards de dhs ponctionnés sur le budget de l’Etat comme un indicateur supplémentaire de l’intervention du Roi dans la gestion et une manifestation de la persistance dans l’affaiblissement des prérogatives gouvernementales.
En face, on a eu plutôt tendance à y voir un soutien aux politiques du gouvernement à travers l’accent mis sur la lutte contre l’épidémie du coronavirus et le déploiement d’un plan de relance économique assorti d’un programme étayé de protection sociale.
En réalité, semblables approches ne font que refléter la perception subjective qu’en ont les parties en présence en fonction de leurs positionnements respectifs. Elles n’expriment aucunement la substance des messages royaux. Pourtant une prospection dans les différents discours du Roi révèle que dans leur globalité aussi bien que dans leurs détails, ils éclairent sur les sujets concentrant sur eux la réflexion de l’Etat qui va bien au-delà d’un seul mandat gouvernemental.
Il suffit d’un diagnostic réfléchi et rétrospectif des expressions sociales dans les discours du Roi et de l’intérêt qu’il porte au renforcement et à l’efficacité du système et des programmes de protection sociale pour se rendre compte que ces préoccupations constituent la pierre angulaire du propos royal depuis le mouvement de contestation sociale dans le Rif. L’intérêt du Souverain pour la relance économique et la dynamisation de son cycle ne date pas de la déclaration de la pandémie et de ses conséquences sur l’économie et la vie des gens, mais se retrouve d’une manière récurrente dans ses discours antérieurs.
C’est en effet bien avant la déclaration du coronavirus que le Roi s’est interrogé sur le sort des richesses, qu’il a appelé au recensement du capital immatériel, évoqué la fragilité du modèle de développement, parlé du besoin à un nouveau modèle plus solide et plus efficient et invité à la dynamisation de l’économie par le soutien des petites et moyennes entreprises.
Force est donc de constater qu’il s’agit d’une orientation stratégique de l’Etat face à des défis persistants. Elle va au-delà du temps gouvernemental et législatif et transcende la compétition politique. Il s’agit pas moins pour cette orientation que de juguler la fragilité du modèle de développement et les menaces qu’elle fait peser sur la paix sociale et la stabilité politique.
Faut-il le rappeler, mais ce discours est intervenu dans un contexte marqué par une polémique crispée sur les lois et le quotient électoraux. Pour autant, les échéances électorales n’ont occupé qu’un bref passage du discours du Souverain et ne s’est nullement intéressé à ces divergences. Il s’est surtout concentré sur les fondements stratégiques de ces échéances, en l’occurrence l’option démocratique et ce qu’elle implique comme compétition basée de façon égale sur la défense et la critique du bilan ; l’importance capitale de l’unité nationale dans cette difficile conjoncture et, enfin, la nécessaire consolidation de la dimension solidaire de la société.
L’attention portée dans ce discours, même brièvement, à l’option démocratique et la saine compétition qu’elle induit, doit être appréhendée sans minimalisation de sa portée stratégique. Autrement dit l’Etat est déterminé à les protéger de sorte que l’issue des élections soit subordonnée exclusivement au bilan gouvernemental et au principe de la compétition. Cette acception de la démocratie est ainsi inséparable de l’acception stratégique que l’Etat a de son intérêt, tant la protection de l’option démocratique et son implication d’une vraie compétition ne sont pas seulement une histoire d’image et de rayonnement du Maroc, mais surtout une condition à la stabilité sociale conceptualisée à cette étape comme le défi stratégique par excellence de l’Etat.