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Qui entrave les choix de la politique linguistique au Maroc ? – Par Bilal Talidi
Chakib Benmoussa, ministre de l’Education nationale - Le rapport publié le Groupe de travail thématique temporaire de la Chambre des conseillers, n’est pas à l’avantage de la politique publique en matière de gestion de la question linguistique. Il fait état de sept observations sévères, résumant que la vision stratégique et la loi-cadre qui en découle vont dans une direction, tandis que la politique linguistique mise en œuvre par les ministères de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supér
Il y a quelques jours, le Groupe de travail thématique temporaire de la Chambre des conseillers a publié un rapport très important sur la politique linguistique au Maroc. Ce rapport n'est pas seulement significatif parce qu'il illustre le rôle constitutionnel de l'institution législative en matière de suivi et d'accompagnement des résultats des programmes et politiques publiques, mais aussi parce qu'il met en évidence un dysfonctionnement structurel qui continue de miner les politiques publiques. En effet, les pactes encadrants, les visions stratégiques directrices ou les lois cadres contraignantes restent souvent lettres mortes, n'étant que des marges par rapport aux politiques décidées par les ministères concernés.
Le rapport se compose de six parties principales. Les cinq premières parties présentent des données sur les bases de référence de la politique linguistique, le cadre conceptuel, le tissu linguistique marocain, les mécanismes institutionnels de la politique linguistique au Maroc, ainsi que les expériences internationales. En réalité, ce qui nous intéresse dans le cadre de cette évaluation, c'est la sixième partie (les perspectives d'avenir de la question linguistique), car elle concerne le suivi des résultats de la politique publique en relation avec ses bases de référence, les documents encadrants et, en particulier, la vision stratégique de la réforme du système éducatif et de formation, ainsi que la loi-cadre régissant la politique linguistique, ses principes, ses choix et ses étapes de mise en œuvre.
Un manque de clarté et une application incohérente
Cette partie aborde les choix linguistiques approuvés par la Constitution de 2011 et rappelle cinq acquis qu'il était nécessaire de consolider pour développer une politique linguistique claire et efficace, capable de renforcer l'unité nationale tout en respectant le pluralisme linguistique propre au Maroc. Ces acquis sont : la reconnaissance constitutionnelle du pluralisme linguistique, le renforcement de la langue arabe, l'enseignement de l'amazigh dans les écoles, la production de contenu culturel diversifié et la prise de conscience de l'importance croissante du pluralisme linguistique.
Le rapport, publié par une institution législative, n’est pas à l’avantage de la politique publique en matière de gestion de la question linguistique. Il fait état de sept observations sévères, résumant que la vision stratégique et la loi-cadre qui en découle vont dans une direction, tandis que la politique linguistique mise en œuvre par les ministères de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur va dans une autre.
Le rapport évoque un manque de clarté et une application incohérente de la politique linguistique, la négligence des deux langues officielles (l'arabe et l'amazigh), la domination de la langue française, la confusion entre pluralisme linguistique et pollution linguistique, le manque de ressources financières et humaines qualifiées pour l'enseignement des langues, l'absence d'une stratégie linguistique efficace, ainsi que les défis sociaux et économiques qui compliquent la réalisation de la justice linguistique entre les différentes catégories de la société.
Ces observations peuvent sembler très surprenantes, car elles rejoignent le discours d'une partie de l'opposition. Cependant, en examinant la méthodologie de rédaction du rapport et le degré de consultation avec les institutions concernées par la politique linguistique, ces observations deviennent des plus sérieuses. Le Groupe de travail thématique temporaire a veillé à consulter des institutions de poids dont la crédibilité ne fait aucun doute, comme le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique, l'Institut royal de la culture amazighe, et l'Académie du Royaume du Maroc. Il a également pris en compte l'avis de responsables clés dans l'élaboration de la politique publique à cet égard, tels que le ministre de l'Éducation nationale et le ministre de l'Enseignement supérieur, ainsi que l'avis d'un certain nombre d'experts et d'acteurs scientifiques, de recherche et académiques.
La remarque la plus frappante parmi ces sept observations est celle relative à la domination de la langue française au détriment des deux langues officielles. Il est probable que le ministère de l'Éducation nationale et le ministère de l'Enseignement supérieur n'accueilleront pas favorablement l'utilisation par le rapport des termes "négligence des deux langues officielles" face à "la domination de la langue française". Il n'y a pas de critique plus sévère que de dire que la politique de ces deux ministères compromet les acquis constitutionnels et va à l'encontre de la vision stratégique pour laquelle le roi Mohammed VI a donné des instructions strictes afin de la transformer en une loi-cadre contraignante pour promouvoir le système éducatif et de recherche scientifique dans notre pays. Bien que cette loi ait été adoptée, la politique publique en matière linguistique continue de s'éloigner de cet objectif, voire de le contrarier.
Une loi-cadre contraignante que les pratiques ignorent
Le rapport a relayé le point de vue du ministre de l'Éducation nationale et du ministre de l'Enseignement supérieur sur les plans adoptés pour mettre en œuvre la politique linguistique approuvée par la vision stratégique et la loi-cadre. Cependant, la réponse, au lieu d'expliquer le paradoxe de la politique linguistique au Maroc (la domination de la langue française au détriment des langues arabe et amazighe), est venue approfondir le problème. M. Chakib Benmoussa, dans les objectifs de la feuille de route 2022-2026, a mis l'accent sur l'intérêt pour les langues étrangères, en particulier le français, qui est enseigné dès la première année du primaire et est la langue d'enseignement des matières scientifiques et techniques à tous les niveaux. Il a souligné le financement de l'Agence française de développement (130 millions d'euros et une subvention de 4,7 millions d'euros) sans mentionner la langue arabe et n'a fait qu'une brève référence à la langue amazighe, en parlant de l'extension de l'utilisation des écoles primaires enseignant l'amazigh pour atteindre une couverture de 50 % des établissements d'ici la fin du plan ministériel (2026).
Quant au ministre de l'Enseignement supérieur, sa réponse sur la politique de son ministère dans le cadre du plan national pour accélérer la transformation du système de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique s'est concentrée sur le renforcement des compétences linguistiques des étudiants comme moyen efficace de résoudre certains problèmes structurels entravant le rendement du système. Les exemples donnés par M. Abdellatif Miraoui montrent que la réponse n'aborde pas du tout le paradoxe de la domination de la langue française par rapport à la négligence des langues arabe et amazighe, car il a mis l'accent uniquement sur les langues étrangères (unités d'enseignement des langues, plateformes d'apprentissage des langues). De même, il a inclus dans la réponse traditionnelle de son ministère l'amazigh (création de filières en licence et master, et d'un modèle de filière en licence d'éducation pour l'enseignement de l'amazigh dans le primaire, ainsi que l'intégration du lexique amazigh dans certaines unités transversales). Par contre, il n'y a aucune mention de politique visant à promouvoir la langue arabe et à renforcer son enseignement.
En réalité, il semble regrettable qu'un effort scientifique, académique, politique et juridique considérable ait été investi pour élaborer la vision stratégique, puis pour formuler une loi-cadre contraignante pour tous les gouvernements, et que les politiques linguistiques retournent ensuite à leur état antérieur, en définissant leurs termes en dehors de tout cadre constitutionnel, référentiel ou juridique, renforçant ainsi l'idée de la domination de la langue française au détriment des langues nationales. Cela consolide en outre des choix en matière d'ouverture linguistique qui, pour le moins, perpétuent l'isolement du monde et de la recherche scientifique.
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