chroniques
Visite d’Etat du président français : tisser plutôt que raccommoder – Par Naïm Kamal
Il ne s’agit pas pour la visite d’Etat de M. Macron de raccommoder des liens effilochés mais de tisser de relations nouvelles d’un genre nouveau
Par Naïm Kamal
Le président français, Emmanuel Macron, et Mme Brigitte Macron, arrivent ce lundi à Rabat pour une visite d’Etat à l’invitation du roi du Maroc Mohammed VI.
Un programme chargé où même une séquence Gaming est prévue à l’Université Internationale de Rabat, ainsi qu’un marathon de rencontres et d’entretiens, l’attend. Le soir même de son arrivée, programmée pour 17h, le président coprésidera avec le souverain la cérémonie de signatures d’accords pour sceller solennellement le réchauffement des relations entre les deux pays après l’une des plus longues et plus profondes crises que les relations entre les deux pays aient traversées.
Le Maroc, et également l’Afrique
Dans le sillage de cette visite, les opérateurs économiques publics et privés tenteront de prospecter et de ratisser large avec pour objectif de consolider une présence qui n’a jamais été vraiment remise en cause ou même bousculée dans ses positions « acquises » en dépit d’une zone de très fortes turbulences traversées par les rapports politiques des deux pays. En rien, ou presque, celle-ci n’a affecté les échanges commerciaux entre la France et le Maroc qui ont, selon le dossier de presse fourni par l’Élysée, progressé pour s’élever en 2023 à 14,1 Mds d’euros, soit +5% par rapport à 2022, un volume que l’on doit aussi bien aux exportations qu’aux importations.
Si la ligne grande vitesse Casablanca – Marrakech - Agadir, le renforcement de la flotte aérienne de Royal Air Maroc, une partie de l’armement, les transitions énergétique et numérique, et bien d’autres ressources à explorer et à exploiter sont dans toutes les têtes, les enjeux de cette visite vont au-delà. Les relations du Maroc aussi bien que de la France avec l’Afrique de l’Ouest voire de la façade atlantique du continent sont également dans tous les esprits. Un échantillon de cette préoccupation est offert par l’échange sur la sécurité alimentaire et l’agriculture durable en Afrique avec des étudiants marocains et africains, prévu à la Fondation de l’OCP, un groupe stratégique très présent dans plusieurs pays du continent.
Une opportunité, la façade atlantique
Il n’est donc pas inconcevable que les interlocuteurs marocains évoquent avec le chef d’Etat et les responsables français, l’initiative Atlantique que le roi Mohammed VI a lancée pour travailler au développement de la façade atlantique du continent et en même temps permettre aux pays enclavés du Sahel d’y accéder. C’est une opportunité que la France aurait tort de ne pas trop s’y intéresser ou de de la concevoir comme utopique. Certes le projet grandeur nature africaine a des allures de rêve et de vision, mais n’est-ce pas les rêveurs et les visionnaires qui ont ouvert les routes des Amériques et ont commencé depuis un temps déjà la conquête des espaces?
Dans le communiqué du ministère de la Maison Royale, du Protocole et de la Chancellerie annonçant le visite du couple présidentielle français, Rabat souligne que cette "visite reflète la profondeur des relations bilatérales, fondées sur un partenariat enraciné et solide, à la faveur de la volonté commune des deux Chefs d’Etat de raffermir les liens multidimensionnels unissant les deux pays." C’est loin d’être une simple clause de style.
Néanmoins il ne s’agit pas de raccommoder des liens effilochés mais de tisser de relations nouvelles d’un genre nouveau qui prennent en compte les besoins de prospérité et de paix de chacun dans un monde qui connait des bouleversements rapides et aspire, dans la douleur, la confrontation et les guerres, à un nouvel ordre mondial auquel résiste obstinément et égoïstement l’ancien.
La refondation, selon Larousse
Sans revenir sur toutes ses péripéties, cette crise a abimé les relations maroco-françaises et laissé des séquelles comme aucune autre auparavant. Du côté des deux rives de la Méditerranée il y a eu un changement de génération instaurant une sorte d’incommunication source d’incompréhension et bien plus que des malentendus, sans qu’on ne prenne la juste mesure de l’impact du changement des élites et sans que du côté de Paris on veuille chercher à comprendre que le Maroc, comme le reste de l’Afrique d’ailleurs, n’est, pour reprendre et insister sur l’expression utilisée par le roi Mohammed VI, le jardin réservé de personne.
Aujourd’hui encore beaucoup s’obstinent à faire croire que la ‘’crise de trois ans’’ est la conséquence de celle des visas pour perpétuer une suffisance française qui a culminé avec les postures effarouchées au lendemain du séisme d’Alhaouz et ainsi mieux continuer à ne pas prendre en compte ce que le Maroc, et plus généralement l’Afrique, attendent d’un partenariat win-win.
Mais à en croire le dossier de presse fourni par l’Elysée, les officiels français laissent penser s’être réglés sur la fréquence des attentes et impatiences africaines, en inscrivant la visite d’État de M. et Mme Macron « dans l’ambition de refondation du partenariat d’exception qui lie nos deux pays. » Et si l’on se fie au dictionnaire Larousse, la refondation c’est la reconstruction « sur des bases, des valeurs nouvelles, notamment dans le domaine politique. »