Cinéma, mon amour de Driss Chouika: ''LE FOSSÉ'', EXPLORATION DES RECOINS LES PLUS SOMBRES DE L’HOMME

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“Le fossé“ explore les recoins les plus sombres de l'expérience humaine. Le « GRP » Grand Bond en Avant fut une campagne socio-politique menée en Chine de 1958 à 1962 par le Parti communiste chinois sous la direction de Mao Zedong pour transformer rapidement la Chine, agraire et sous-développée, en une société socialiste moderne. Cette campagne s’était soldée par un état socio-économique catastrophique, causant une grande famine et la mort de millions de personnes

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« Ce sont précisément leurs conditions de vie que je voulais filmer. Il faut montrer les problèmes de la Chine contemporaine, l'hypocrisie de ce système où la croissance économique cache un appauvrissement matériel et spirituel qui touche des millions de personnes ».

Wang Bing. 

Présenté à la Mostra de Venise en septembre 2010, puis au Festival des Trois Continents de Nantes en novembre de la même année, sorti en France le 14 mai 2012, élu meilleur film étranger par la fameuse revue japonaise Kinema Junpo, adapté d’un ouvrage de l’écrivain chinois Yang Xianhui paru en 2003, intitulé “Adieu à Jiabiangou“, le film “Le fossé“ de Wang Bing offre une représentation poignante et réaliste des camps de rééducation par le travail en Chine pendant la période du Grand Bond en Avant. Tourné sans autorisation, il marque une étape cruciale dans la carrière de Wang Bing, un réalisateur souvent reconnu pour son engagement dans l'exploration de la mémoire et des traumatismes dans la société chinoise. « Je ne fais pas des films pour dépeindre la pauvreté d’autrui, mais pour faire une rétrospective de la vie de chacun » a-t-il affirmé pour expliquer ses choix thématique et esthétique.

“Le fossé“ explore les recoins les plus sombres de l'expérience humaine. Le « GRP » (Grand Bond en Avant) fut une campagne socio-politique menée en Chine de 1958 à 1962 par le Parti communiste chinois sous la direction de Mao Zedong. Son objectif était de transformer rapidement la Chine, agraire et sous-développée, en une société socialiste moderne à travers l'industrialisation et la collectivisation. Cette campagne s’était soldée par un état socio-économique catastrophique, causant une grande famine et la mort de millions de personnes. C'est dans ce contexte que s'inscrit « Le fossé ». Le film se base sur les témoignages de survivants des camps de rééducation par le travail, des lieux où des millions de Chinois soupçonnés d'être des « dissidents » ou des « ennemis de classe » furent envoyés pour effectuer des travaux forcés dans des conditions inhumaines. 

DÉSHUMANISATION ET SURVIE

Wang Bing est souvent reconnu pour son approche quasi-documentaire dans la fiction. Son style austère et direct s'éloigne des effets dramatiques classiques pour plonger les spectateurs dans une réalité brute et dépouillée. Tourné en grande partie dans les décors naturels du désert de Gobi, le film utilise des techniques de caméra portée à la main pour renforcer le sentiment d'authenticité et de réalité.

L'un des thèmes centraux du film est la déshumanisation des détenus. Les conditions de vie insoutenables, le manque de nourriture, le travail épuisant et les traitements inhumains sont illustrés de manière si oppressante qu'il est impossible pour les spectateurs de détourner les yeux de leur souffrance. Les personnages sont réduits à l'ombre de survivants, luttant pour conserver un semblant de dignité face à des circonstances extrêmes. Wang Bing montre comment ces hommes tentent de maintenir un semblant de solidarité et d'humanité malgré tout.

Aussi, le silence joue un rôle crucial dans "Le fossé". Il sert non seulement à accentuer la désolation et l'isolement des personnages mais aussi à refléter la suppression des voix dissidentes dans la Chine maoïste. Les grandes étendues du désert de Gobi, inhabitées et inhospitalières, symbolisent la mort et l'oubli vers lesquels ces hommes sont poussés. Cette opposition entre silence et immensité confère une atmosphère lourde et pesante au film.

UNE CONSTRUCTION NARRATIVE COLLECTIVISTE

Wang Bing a choisi de ne pas se concentrer sur un protagoniste principal, mais plutôt de dresser un portrait collectif des détenus. Chaque personnage, même périphérique, contribue à tisser la toile narrative de la survie et de la misère. Parmi eux, on retrouve des intellectuels, des paysans, des fonctionnaires, tous représentatifs des diverses couches sociales de la Chine de l'époque.

Les acteurs, pour la plupart des non-professionnels, livrent des performances d'une authenticité cruelle. Leur jeu minimaliste, renforce l'effet documentaire du film. Les scènes de groupe, où les acteurs partagent leur maigre ration de nourriture ou discutent de leurs vies passées, sont particulièrement poignantes. Ces fragments de vie permettent une connexion émotionnelle intense avec les spectateurs.

Le film pose une question fondamentale sur l'héritage laissé par les régimes totalitaires. En documentant l'horreur des camps de rééducation, Wang Bing nous force à affronter les conséquences des politiques répressives et de purification idéologique. Le film ne se contente pas de représenter la souffrance, il cherche à problématiser le phénomène de déshumanisation orchestré par l'État.

Et au-delà de l'abjection et la cruauté, «Le fossé» n'est pas dépourvu de moments de résistance et de solidarité humaine. Les actes de gentillesse, même les plus petits, deviennent des actes de rébellion contre la déshumanisation imposée. Cette résistance subtile souligne l'instinct irrépressible de conservation de l'humanité parmi les détenus.

Le film a suscité beaucoup de controverses, mais il a été globalement salué pour son courage et sa rigueur documentaire. Il a été présenté dans plusieurs festivals de cinéma, où il a remporté des prix et a été acclamé pour sa profondeur et sa sensibilité.

FILMOGRAPHIE SÉLECTIVE SE WANG BING (LM)

« Fengming, chronique d’une femme chinoise » (2007) ; « Le fossé » (2010) ; « Les trois sœurs de Yunnan » (2012) ; « A la folie » (2013) ; « Ta’ang » (2016) ; « Argent amer » (2016) ; « Mrs. Fang » (2017) ; « Les âmes mortes » (2018) ; « Jeunesse » (2023).

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