Suite de Mustapha Saha : Passants parmi des paroles passagères* avec le poète palestinien Mahmoud Darwich

5437685854_d630fceaff_b-

Mahmoud Darwich (1941 – 2008). Par Mustapha Saha.Peinture sur toile. Dimensions : 65 x 50 cm.

1
Partager :

Combien de philosophes, de poètes, d’écrivains, d’artistes, de savants palestiniens gisent sous les décombres de Gaza ? Le jeudi 28 avril 1988, quatre mois après le déclenchement de la Révolution des pierres, un premier ministre israélien d’extrême droite, monte à la tribune pour incriminer le poème de Mahmoud Darwich : « L’expression exacte des objectifs recherchés par les bandes d’assassins organisés vient d’être donnée par l’un de leurs poètes, Mahmoud Darwich. J’aurai pu lire ce poème devant le Parlement, mais je ne veux pas lui accorder l’honneur de figurer dans les archives israéliennes »*. Le poème inébranlable, inaltérable, indestructible se dresse pour l’éternité devant les armées assassines. Les palestiniens n’aiment ni la colonisation, ni les colonisateurs. L’amour n’est pas au bout du fusil. Le poème, indomptable, insaisissable, inexpugnable, puise sa sève dans la liberté.

Mustapha Saha 


  1. Vous qui passez parmi les paroles passagères
    portez vos noms et partez
    Retirez vos heures de notre temps, partez
    Extorquez ce que vous voulez
    du bleu du ciel et du sable de la mémoire
    Prenez les photos que vous voulez, pour savoir
    que vous ne saurez pas
    comment les pierres de notre terre
    bâtissent le toit du ciel

    2.
    Vous qui passez parmi les paroles passagères
    Vous fournissez l’épée, nous fournissons le sang
    vous fournissez l’acier et le feu, nous fournissons la chair
    vous fournissez un autre char, nous fournissons les pierres
    vous fournissez la bombe lacrymogène, nous fournissons la pluie
    Mais le ciel et l’air
    sont les mêmes pour vous et pour nous
    Alors prenez votre lot de notre sang, et partez
    allez dîner, festoyer et danser, puis partez
    A nous de garder les roses des martyrs
    à nous de vivre comme nous le voulons.

    3.
    Vous qui passez parmi les paroles passagères
    comme la poussière amère, passez où vous voulez
    mais ne passez pas parmi nous comme les insectes volants
    Nous avons à faire dans notre terre
    nous avons à cultiver le blé
    à l’abreuver de la rosée de nos corps
    Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici
    pierres et perdrix
    Alors, portez le passé, si vous le voulez
    au marché des antiquités
    et restituez le squelette à la huppe
    sur un plateau de porcelaine
    Nous avons ce qui ne vous agrée pas
    nous avons l’avenir
    et nous avons à faire dans notre pays

    4.
    Vous qui passez parmi les paroles passagères
    entassez vos illusions dans une fosse abandonnée, et partez
    rendez les aiguilles du temps à la légitimité du veau d’or
    ou au battement musical du revolver
    Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, partez
    Nous avons ce qui n’est pas à vous :
    une patrie qui saigne, un peuple qui saigne
    une patrie utile à l’oubli et au souvenir

    5.
    Vous qui passez parmi les paroles passagères
    il est temps que vous partiez
    et que vous vous fixiez où bon vous semble
    mais ne vous fixez pas parmi nous
    Il est temps que vous partiez
    que vous mouriez où bon vous semble
    mais ne mourez pas parmi nous
    Nous avons à faire dans notre terre
    ici, nous avons le passé
    la voix inaugurale de la vie
    et nous y avons le présent, le présent et l’avenir
    nous y avons l’ici-bas et l’au-delà
    Alors, sortez de notre terre
    de notre terre ferme, de notre mer
    de notre blé, de notre sel, de notre blessure
    de toute chose, sortez
    des souvenirs de la mémoire

Mahmoud Darwich.

Combien de philosophes, de poètes, d’écrivains, d’artistes, de savants palestiniens gisent sous les décombres de Gaza ? Le jeudi 28 avril 1988, quatre mois après le déclenchement de la Révolution des pierres, un premier ministre israélien d’extrême droite, monte à la tribune pour incriminer le poème de Mahmoud Darwich : « L’expression exacte des objectifs recherchés par les bandes d’assassins organisés vient d’être donnée par l’un de leurs poètes, Mahmoud Darwich. J’aurai pu lire ce poème devant le Parlement, mais je ne veux pas lui accorder l’honneur de figurer dans les archives israéliennes »*. Le poème inébranlable, inaltérable, indestructible se dresse pour l’éternité devant les armées assassines. Les palestiniens n’aiment ni la colonisation, ni les colonisateurs. L’amour n’est pas au bout du fusil. Le poème, indompable, insaisissable, inexpugnable, puise sa sève dans la liberté.

Mustapha Saha

* Mahmoud Darwich, Palestine, mon pays. L’Affaire du poème, avec la participation de Simone Bitton, Ouri Avnéri, Matitiahu Peled, éditions de Minuit, Paris, 1988.

lire aussi