économie
Recherche Biomédicale au Maroc : L’éthique face au capital
Le LEMM (Les Entreprises du Médicament au Maroc) a réuni l’ensemble des acteurs du secteur de la santé et de l’industrie pharmaceutique en organisant le premier Colloque National dédié à la Recherche Biomédicale au Maroc intitulé « La recherche biomédicale, défi de la prochaine décennie »
Un colloque de deux jours, durant lesquels les chercheurs et les acteurs de la recherche biomédicale au Maroc et dans le monde ont pu échanger notamment sur la facilitation des essais cliniques.
Un vivier de capitaux
« Notre mission réelle pour laquelle nous œuvrons est l’innovation continue pour le progrès thérapeutique pour le patient marocain » déclare Amine Benabderrazak, président du LEMM. La noble recherche biomédicale et le serment d’Hippocrate font vite place aux milliards de dollars.
Sur le plan international, la sous-traitance des activités de R&D pharmaceutiques représente la moitié du secteur, soit un marché estimé à plus de 80 milliards de dollars, dont près de 54 sont alloués aux essais cliniques. Plusieurs études sur la recherche biomédicale ont identifié un potentiel de développement de près d’un milliard de Dirhams par an pour le Maroc sur les dix prochaines années.
Dans le cadre du plan d’accélération industrielle 2014-2020, le gouvernement marocain avait déjà lancé en mars 2016 un projet de mise en place d’écosystèmes, dont un est dédié spécifiquement à la recherche biomédicale et focalisé sur les essais cliniques. Un projet qui prévoit des mesures incitatives, législatives, économiques, et académiques afin d’attirer au maximum les industriels du secteur.
Ce colloque intervient donc dans une volonté de capter une partie de ces investissements en coordonnant l’action de la recherche biomédicale auprès de tous les acteurs concernés : associations, comités d’éthiques, entreprise privés/publiques et surtout le gouvernement.
Effectivement, plusieurs personnalités du gouvernement étaient présents, notamment le chef du gouvernement, El Othmani ainsi que Saïd Amzazi, ministre de l’éducation nationale et de la recherche scientifique. El Othmani et Amzazi étant tous les deux titulaires d’un doctorat l’un en médecine, l’autre en biologie, une maîtrise du dossier s’est fait sentir dans leurs deux allocutions.
El Othmani a ainsi évoqué l’objectif de la médecine d’aujourd’hui qui du fait des « transitions épidémiologiques » ont abouti à une « prévalence moindre des maladies transmissibles au profit des maladies non transmissibles, évoluant selon le mode chronique ». La concentration doit se faire sur les maladies cardiovasculaires, les infections neurologique, psychiatrique, le cancer, le diabète en sont des exemples type déclare El Othmani. Il rappelle aussi que « dans le passé, les médecins intervenaient après l’éclosion de la maladie, à travers une médecine curative » et met en avant la « transition vers une médecine proactive » et « préventive » par le biais des « progrès en biologie cellulaire, génomique et en biologie moléculaire ». Le chef du gouvernement a mis en valeur l’efficacité de l’industrie pharmaceutique au Maroc qui dans certains domaines rivalise avec les standards internationaux. El Othmani a conclu sur la volonté du gouvernement « d’aider et de prendre toute décision nécessaire » afin d’apporter un soutien à la recherche biomédicale grâce aux recommandations de ce colloque qui« constituera un apport sans doute important » au vu « de la qualité des experts participants à ce colloque ».
Amzazi, quant à lui, dans un registre très technique, a insisté sur l’avènement de la Big Data dans la recherche médicale. Les nouvelles technologies sont désormais au service de la médecine et notamment dans le décryptage du génome humain. Il a aussi mis en exergue la place importante qu’auront les comités d’éthiques à l’aube d’une recherche sur des cellules souches et des embryons génératrice de nombreuses questions éthiques.
Le Maroc : Une réserve pour essais cliniques
Le Dr Moncef Slaoui, président de Galvani Bioelectronics, ayant comme entreprise mère le géant mondial de l’industrie pharmaceutique Glaxosmithkline, recommande une adaptation au milieu propre du royaume. Notre industrie des algues, notre faune et flore locale particulière - comme l’argan- doivent être exploités et surtout ciblés pour que les investissements soient pertinents en termes de ressources et de stratégie. Moncef Slaoui finit sur la nécessité d’adaptation à notre niveau dans l’industrie pharmaceutique.
La recherche pure nécessitant des infrastructures technologiques à la pointe et très coûteuses, le Maroc serait plus à même de commencer par la composante la moins difficile à atteindre de la chaîne de valeur de la recherche biomédicale, c’est-à-dire les essais cliniques. Ainsi, Moncef Slaoui a doucement amené une transition vers l’essence de ce colloque soit la facilitation des essais cliniques au Maroc.
Le Dr Azoulay senior VP chez Pfizer, leader mondial de l’industrie pharmaceutique avec plus de 50 milliards de chiffre d’affaire par an, la moitié du PIB du royaume, a pu exprimer tous les arguments concernant cette ouverture aux essais cliniques. Mettant en évidence le processus de sélection d’un « pays émergent » pour des essais cliniques, deux mots apparaissent avec prépondérance: le temps et le coût.
Les procédures doivent être rapides et efficaces et les barrières doivent être diminuées et abaissées au maximum. Il faut ainsi éliminer les lourdeurs administratives dans le contexte légal, contractuel et règlementaire mais aussi « éduquer la population au sujet de l’importance des essais cliniques ». La mise à disposition de médicaments à la pointe de l’industrie a été mise en avant, les risques gigantesques associés, l’ont été un peu moins.
Cette volonté de facilitation des essais cliniques est partagée par EL Othmani qui estime que le gouvernement doit avoir un « rôle de facilitateur » et « doit s’exprimer dans les meilleurs délais en veillant à une gouvernance efficiente ou doit s’exprimer une volonté de simplification des procédures, de l’appel à projet jusqu’à la publication finale des résultats d’une recherche donnée, il faut lutter contre les lenteurs de procédures ». Cependant il n’oublie pas de rappeler qu’« une bonne gouvernance de la recherche » est indispensable afin « d’assurer la protection des personnes à travers une assise juridique ».
L’industrie pharmaceutique, a identifié le Maroc, comme un parc d’humains pour essais cliniques. Comme un parc automobile, l’accès doit être rapide, efficace et sans contrainte. Les comités d’éthiques doivent être « compréhensifs » et comprendre que des milliards sont en jeu, et ainsi oublier que derrière ce « parc » se trouve le désespoir d’une population abandonnée et mise dos au mur par leurs états de santé ou leurs finances.