Afrique du Sud : Une prétendante à la présidence remet en cause le parti au pouvoir

5437685854_d630fceaff_b-

‘’La Constitution n'a fait que peu ou rien pour les victimes de l’apartheid et du colonialisme, en maintenant les masses autrefois opprimées dans la pauvreté’’ (Lindiwe Sisulu, ministre sud-africaine du Tourisme)

1
Partager :

 

Par Hamid AQERROUT  (MAP)

Johannesburg - L'article d'opinion de la ministre sud-africaine du Tourisme, Lindiwe Sisulu, dans lequel elle critique le pouvoir judiciaire et la constitution du pays, a suscité un tollé de réactions des partisans, mais surtout des détracteurs, ceux du Congrès National Africain (ANC), parti au pouvoir en Afrique du Sud.

Si certains estiment que comme tout citoyen, quel que soit sa position ou son statut dans la société, Sisulu a le droit d'exprimer librement ses points de vue, ses croyances et ses convictions. D'autres, au contraire, lui refusent ce droit fondamental qui est pourtant inscrit dans la constitution du pays.

Parmi les questions clés soulevées par la ministre, figure la Constitution qui, dit-elle, n'a fait que peu ou rien pour les victimes de l’apartheid et du colonialisme, en maintenant les masses autrefois opprimées dans la pauvreté.

Une attaque contre les tenants du pouvoir

Dans sa tribune, Mme Sisulu, qui est député depuis 1994, a lancé une attaque cinglante contre la constitution du pays, affirmant : "Ce dont nous avons été témoins sous la constitution suprême depuis la fin de l’apartheid, c'est la cooptation et des invitations à la table pour les agents du pouvoir politique, dont le travail consiste à faire taire les masses dans leur souffrance".

Tout aussi troublante est l'insinuation de l'auteur selon laquelle un certain nombre de milliardaires noirs sont un sous-produit de la Constitution elle-même.

Comme l’on s’y attendait, ces déclarations ne peuvent pas passées inaperçues surtout qu’elles émanent d’un haut responsable et ministre de pas moins de six départements en 21 ans et, de surcroit, membre d’un parti au pouvoir de plus en plus divisé et affaibli par des luttes de clans.

D’aucuns estiment, en effet, que ces attaques contre la Constitution et le système judiciaire du pays sont en réalité une attaque contre les tenants du pouvoir qui, du coup, sont tenus de rendre des comptes. A la veille de la conférence pour l’élection du président de l’ANC, prévue vers la fin de cette année, les déclarations de la ministre sont même interprétées, par certains, comme une attaque aux forts relents électoralistes.

C’est pourquoi elles ont provoqué une vive polémique dans la société et une réaction virulente de l’exécutif qui, par la voix du ministre à la Présidence Mondli Gungubele, relève que les remarques de la ministre «dénaturent grossièrement la constitution du pays et pourraient même saper la crédibilité de l'état de droit».

Dans ce contexte, le parti politique Cope est allé plus loin, en demandant au Président Cyril Ramaphosa de licencier Lindiwe Sisulu. «Elle est une honte, non seulement pour le gouvernement mais pour tout le pays. Sisulu avait insulté les juges sud-africains et devrait être licenciée», a déclaré Dennis Bloem du parti.

Il a même lié cet article d'opinion à la décision de la Cour constitutionnelle d'emprisonner l'ex-président Jacob Zuma pour son refus d’apporter son témoignage devant la Commission judiciaire sur la capture de l’Etat.

Le droit de critiquer la constitution

Pour certains analystes, les opinions de Sisulu sont considérées comme une deuxième tentative dans sa course à la présidence du Congrès National Africain, mais ces positions, estiment-ils, pourraient également aller à l'encontre de cette ambition. Bien qu'elle soit membre de longue date du Parlement et de l’exécutif, sa sortie médiatique avait été mal calculée, notent-ils.

Le professeur Sheila Meintjies estime, à ce propos, que Sisulu a certes toutes les qualifications et atouts nécessaires pour la présidence de l'ANC, mais elle se plie à un radicalisme qui ne va pas nécessairement répondre aux besoins et aux intérêts des électeurs qui la soutiendraient.

«Même si elle se positionnait comme candidate de la faction de l'ANC connue sous le nom de RET, son radicalisme n'est pas une posture des membres majoritaires de l'ANC, la mettant en retrait dans la course malgré sa campagne prématurité», soutient-elle.

Idem pour le juge en chef par intérim Raymond Zondo qui estime que les propos de Sisulu manquaient de substance et d'analyse et constituent une insulte à la justice, en particulier aux juges noirs. Il réagissait ainsi aux propos de la ministre qui soutient que «les Sud-africains les plus dangereux aujourd'hui sont ceux mentalement colonisés et quand vous les placez à des postes de direction ou comme interprètes de la loi, ils sont pires que votre oppresseur».

En réaction aux attaques dirigées contre Sisulu, l'analyste politique Sipho Seepe a déclaré que la ministre avait parfaitement le droit d'exprimer son opinion sur tout, y compris la remise en cause des piliers fondamentaux de la démocratie. «Elle a parfaitement le droit de se demander si la constitution actuelle sert les intérêts de la majorité de notre peuple. Elle trouvera un large soutien parmi la majorité de la population qui reste piégée dans des conditions de misère», a-t-il soutenu.

Relevant qu’elle a certes réussi à secouer ceux qui ont matériellement bénéficié de la situation après la fin du régime de l’apartheid en 1994, l’expert estime que «Sisulu a provoqué une meute de loups qui ont cherché à minimiser l'importance de ses déclarations».

D’autres encore font prévaloir que si la primauté du droit discipline la conduite de ceux qui détiennent le pouvoir et impose des normes sur la façon dont ceux qui gouvernent sont tenus d'agir, le règne des hommes, en revanche, n'est pas discipliné. Il laisse les décisions et les actions des tenants du pouvoir libres d'un ensemble de normes objectives de responsabilisation.

Dès lors, l’article d’opinions de la ministre sud-africaine du Tourisme a le mérite d’avoir secoué la classe politique, particulièrement l’ANC au pouvoir, en attirant l’attention sur les conditions économiques et sociales difficiles d’une large frange de la société sud-africaine.