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Algérie -Hirak, deux ans après : ET L'AUTONOMIE DE LA KABYLIE ?
La minorité kabyle est soumise à un blocus généralisé et à une punition collective. Ses leaders sont arrêtés et pourchassés ; ils subissent les affres de l'exil forcé
Voici deux ans, c'était le début du hirak en Algérie. Un vaste mouvement de contestation populaire qui a conduit à la démission de Bouteflika et à la présente situation - une crise, une impasse... La démocratie a-t-elle gagné dans cette séquence ? Pas vraiment. Les droits de l'homme ? Pas davantage. Et les droits collectifs de la minorité ethnique berbère sont tout aussi gelés.
Il vaut de noter précisément à ce sujet que cette question n'a pas été vraiment prise en compte dans cette dynamique contestataire : tant s'en faut. L'on se souvient que lors des marches hebdomadaires de l'année 2020, avant le confinement, les revendications et les mots d'ordre ne faisaient pratiquement pas de place à l'identité berbère comme si elle était phobique - pas de drapeau de ce peuple amazigh. Pourquoi ? Des lectures peuvent être mises en avant : c'était l'expression de valeurs autonomistes voire indépendantistes laïques ; c'était aussi le refus d'un centralisme excessif de l'Etat algérien depuis 1962. C'est que l'autonomie de la Kabylie offre une alternative à cette minorité ethnique mais aussi pour l'ensemble de l'Algérie. Une proposition de voie nouvelle pacifique pouvant aider à résoudre les contradictions que le régime a été incapable de traiter depuis six décennies autrement que par la répression, la manipulation, Ee l'anathème.
Qu'en sera-t-il aujourd'hui avec le nouveau président Tebboune ? Difficile d'escompter quelque avancée dans le traitement de cette autonomie et son insertion dans un autre projet de société annoncé avec l'hypothétique "Nouvelle République"...
INTOLERANCE ET DENI
Les Marocains suivent ce dossier, avec un intérêt particulier, l'Algérie se mobilisant depuis des décennies autour des droits de l'homme et de la démocratie dans les provinces sahariennes récupérées - pourtant elle a tant à faire chez elle ! Surtout que le Royaume, lui, a proposé un projet d'autonomie interne dans cette région depuis avril 2007, soutenu par le Conseil de sécurité dans toutes ses résolutions depuis cette date.
En novembre 2015, devant la 3-ème Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies, le représentant marocain avait appelé la communauté internationale à "faire émerger les voix de plus de huit millions de kabyles trop longtemps maintenus dans le silence et dans l'invisibilité". Et d’ajouter que " c'est ainsi que s'effondrera le mur de l'intolérance à leur égard et du déni de leurs aspirations légitimes"; et que "le peuple kabyle était le seul peuple autochtone en Afrique à faire l'objet de discrimination systématisée, de violence généralisée et de privation de ses droits les plus élémentaires".
C’est que cette minorité ethnique est en effet soumise à un blocus généralisé et à une punition collective. Ses leaders sont arrêtés et pourchassés ; ils subissent les affres de l'exil forcé ; les membres de 'leurs familles sont persécutés. Des ONG locales et internationales-telle "Human Rights Watch" - en témoignent.
L'ONU a été saisie à différentes reprises de cette situation. Voici trois ans, la question kabyle a été ainsi à l'ordre du jour de la onzième session du Forum des Minorités, tenue du 28 au 30 novembre 2018, au siège des Nations Unies à Genève, à l'initiative du rapporteur spécial, le Dr. Fernand de Varennes. La délégation kabyle y a activement participé avec Mass Ferhat Mehenni, président du Gouvernement provisoire kabyle en exil (Anavad) et Mass Zidane Lafdal, du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK). A été ainsi dénoncée la politique d'Alger qui fabrique de nouveaux "apatrides" par suite de la confiscation en Kabylie et à l'étranger de documents de voyages et autres (passeports, cartes d'identité), de blocage aussi des documents d'état civil. Le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a été saisi à ce sujet, pour que les droits individuels et collectifs de cette minorité ethnique de plus de huit millions de personnes soient pleinement reconnus et garantis.
Mais il y a plus. Une autre communauté ethnique - celle des mozabites dans la région de Ghardaia - est également confrontée à cette politique officielle de répression. Depuis 2013, des affrontements intercommunautaires violents se sont déroulés dans cette ville du Sud algérien. Là encore, la discrimination est structurelle, aggravée par l'implication des forces de sécurité soutenant des contremanifestants suscités ou liés au pouvoir.
Les droits considérés comme individuels par nature prévus par la Constitution algérienne ne se prolongent pas, comme dans les Etats démocratiques, par des droits considérés comme collectifs. Il est fait référence ici à des droits normalement exercés par un groupe de personnes. Cette notion de droits collectif appelle des précisions. Contrairement à la conception canadienne par exemple, laquelle consacre des privilèges au profit de certains groupes spécifiques, l'acception de la notion de droits collectifs est d'une autre nature. Les auteurs préfèrent ainsi mettre en avant des concepts tels que "libertés relationnelles", " liberté de l'expression collective " ou encore "libertés d'action collective". S’y range la liberté d'association et la liberté de réunion ; s’y intègre encore la liberté de manifestation. Dans la pratique comparée, il est arrivé - mais dans une société démocratique - que des peuples minoritaires se servent des droits collectifs comme d'une passerelle permettant la défense d'intérêts propres. Et de fait, dans cette ligne –là, les droits à la liberté de réunion et d'association peuvent constituer des brèches au cœur de la conception individualiste des droits de l'homme. Les seules limites ? Elles résident dans la nécessité du respect de l'ordre public et les droits d'autrui.
DROIT A UNE ÉGALE DIGNITE
Au reste, la liberté collective de s'associer est consacrée par le droit international et notamment par l'article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : "Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun, avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue". A l'échelle continentale, des dispositions de même facture se retrouvent dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : "Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d'autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi" (art.10 p. I). L'Algérie a ratifié le Pacte le 13 décembre 1989 - treize ans après son entrée en vigueur – et la Charte africaine le 20 juin 1987, celle-ci entrant en vigueur te le 3 février 1987.
La minorité kabyle est-elle pleinement éligible et bénéficiaire de ces droits auxquels a souscrits l'Algérie dans ces deux instruments internationaux ? Jouit-elle d'une pleine citoyenneté ? D'une autre manière, est-el1e dans une situation telle qu'elle bénéficie des effets du droit à la non-discrimination ? Ce droit est le corollaire du principe d’égalité devant la loi. Il repose sur le postulat selon lequel tous les êtres humains, sans exception, ont droit à une égale dignité censée les mettre à l'abri de tout traitement juridique différencié pouvant remettre en cause leurs droits fondamentaux.
La politique officielle en Algérie a veillé à considérer que la minorité kabyle n'avait pas besoin de se démarquer du reste de la population. Depuis l'indépendance en 1962, se sont succédé en outre, les décennies de déni et de répression de toute revendication culturelle de cette minorité. Il a fallu attendre la révision constitutionnelle du 7 février 2016 pour que l'officialisation de tamazight soit enfin consacrée dans l'article 4 : " Tamazight est également langue nationale et officielle" ; L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national".
Comme les peuples minoritaires, la communauté berbère a droit à l'existence et à l'identité. Une politique constante de l'Algérie a visé pratiquement à fouler aux pieds l'identité de celle-ci. Il s'agissait de forcer cette communauté à abandonner ce qui fait sa spécificité sur le plan culturel, linguistique et des traditions.