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Assassinat de Sankara: Temps forts du procès et trois grands absents dont la France
L’ancien président français François Mitterrand avec Thomas Sankara à Ouagadougou en novembre 1986. C’est ce jour que le jeune capitaine président du « pays des hommes intègres » aurait signé son arrêt de mort.
Quid avec AFP et MAP
Trois des principaux commanditaires et auteurs de l'assassinat de l'ex-président burkinabè Thomas Sankara lors d'un coup d'Etat en 1987, dont son ancien ami Blaise Compaoré, ont été condamnés mercredi à la prison à vie.
Voici les temps forts de ce procès, attendu depuis 34 ans par les familles des victimes et les partisans de Sankara, leader progressiste et iconique panafricaine, qui s'est ouvert en octobre 2021 devant le tribunal militaire de Ouagadougou.
Trois grands absents
Au premier jour du procès, le 11 octobre, douze des quatorze accusés sont présents, dont le général Gilbert Diendéré, 61 ans, un des principaux chefs de l'armée lors du putsch de 1987.
Les chefs d'inculpation sont: "complicité d'assassinats", "assassinat", "recel de cadavres" et "attentat à la sûreté de l'Etat".
Blaise Compaoré
Le principal accusé à ce procès, l'ancien président Blaise Compaoré, porté au pouvoir par ce putsch et ami proche de Sankara, est absent, ses avocats ayant dénoncé "un simulacre de procès" devant "un tribunal d'exception".
Soupçonné d'avoir été le commanditaire de l'assassinat de Sankara - ce qu'il a toujours nié -, il a été chassé en 2014 du pouvoir, après 27 ans de règne, par la rue et vit depuis en Côte d'Ivoire.
L’adjudant-chef Hyacinthe Kafando
Egalement condamné à la perpétuité, l'autre grand absent au procès, l’adjudant-chef Hyacinthe Kafando, ancien commandant de la garde de Compaoré, en fuite depuis 2016, a été accusé d'avoir mené le commando ayant assassiné Thomas Sankara et ses compagnons.
L'écrasante majorité des accusés présents a plaidé non coupable, dont le général Diendéré, qui a aussi écopé de la perpétuité et qui purge déjà une peine de 20 ans de prison pour une tentative de coup d’Etat en 2015.
Ils ont affirmé qu’il s’agissait d’une tentative d’arrestation de Sankara qui a "mal tourné", à la suite de divergences avec Blaise Compaoré "dans la marche de la révolution".
La France
Le jeune capitaine Thomas Sankara n’était pas commode. Il dérangeait beaucoup de monde et au premier chef les dirigeants du cercle des dirigeants de la Françafrique à commencer par l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Une version veut qu’il dérangeait également le chef de l’Etat libyen, le colonel Kadhafi, dont Sankara était quelque part la version ouest-africaine. Leurs divergences porteraient sur l’éternel conflit au Tchad et la rivalité qui opposait alors la France à la Libye frontalière.
Incontestablement, le modèle Sankara était de nature, surtout à cette époque, à créer des émules dans la région.
Mais Paris aussi et surtout était dérangé par ce jeune et turbulent officier qui ne mâchait pas ses mots et se voyait en prolongement africain d’un Fidel Castro et d’un Che Guevara. Il était une menace pour ce que l’on appelle par euphémisme « les intérêts français en Afrique » où régnait encore sinon Foccart, du moins son esprit et ses méthodes, malgré l’arrivée des socialistes à l’Elysée depuis près de cinq anas.
En novembre 1986, le président français François Mitterrand, déjà fort remonté contre « l’insolent » capitaine, effectua une visite officielle à l’ancienne colonie, Haute Volta rebaptisée par Thomas Sankara Burkina Faso (pays des hommes intègres).
Au dîner officiel, Thomas Sankara interpelle durement François Mitterrand sur sa politique africaine. La réponse de François Mitterrand, comme à son habitude, fut bien enrobée, froide et cinglante : « C’est un homme un peu dérangeant, le Président Sankara ! C’est vrai, il vous titille, il pose des questions… Avec lui, il n’est pas facile de dormir en paix : il ne vous laisse pas la conscience tranquille ! Moi, là-dessus, je suis comme lui. Il faut qu’il sache que je suis comme lui, avec 35 ans de plus. Il dit ce qu’il pense, je le dis aussi. Et je trouve que dans certains jugements, il a le tranchant d’une belle jeunesse et le mérite d’un chef d’État totalement dévoué à son peuple. J’admire ses qualités qui sont grandes, mais il tranche trop ; à mon avis, il va plus loin qu’il ne faut. ». Pour nombre d’observateurs c’est ce soir-là que Thomas Sankara a signé son arrêt de mort.
Complot
Mais de tout cela, rien dans le procès. Les anciens collaborateurs du président tué se limitent, si l’on s’en tient au compte rendu de l’AFP, à lever le voile sur les relations tendues entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara, et sur l’existence d’un "complot international" ourdi contre un leader progressiste qui voulait bouleverser l'ordre du monde et éradiquer la pauvreté dans son pays.
"Le drame du 15 octobre 1987 est arrivé sous la pression de certains chefs d’Etat, tels que Félix Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire", témoigne Abdoul Salam Kaboré, ministre des Sports de Sankara.
Entendu en visioconférence depuis la France, ancienne puissance coloniale au Burkina, Moussa Diallo, aide de camp du président assassiné, assure que les événements d'octobre 1987 "ont été prémédités" et que le président Houphouët-Boigny, grand ami de la France, était "au centre de ce complot".
Houphouët-Boigny avait dit à Thomas Sankara, "il faut que vous changiez, si vous ne changez pas, nous allons vous changer", a pour sa part témoigné Serge Théophile Balima, ancien directeur de la télévision burkinabè.
Soif de pouvoir
"Blaise Compaoré voulait le pouvoir. C'est la création d’un parti politique unique qui a mis le feu aux poudres", car Compaoré "ne voulait pas de l’unification des organisations du Comité national de la révolution (CNR)" qui dirige alors le pays, a déclaré pendant l'enquête Valère Somé, politologue burkinabè dont la déposition a été lue au procès.
Et selon un commandant militaire, Blaise Sanou, "celui qui était accro au pouvoir, c’était Blaise Compaoré". "C’est également à cause (de cette soif) du pouvoir qu’il a voulu modifier la constitution après 27 ans de règne", ce qui a provoqué sa chute en 2014.
Coup d'Etat
Le procès va être interrompu à plusieurs reprises à la suite du coup d'Etat du 24 janvier mené par le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba qui a renversé le président élu Roch Marc Christian Kaboré.
L'une de ces interruptions est motivée par une requête des avocats de la défense auprès du Conseil constitutionnel qui a investi M. Damiba le 16 février.
Ils estiment qu'on ne peut pas condamner des accusés pour "attentat à la sûreté de l'Etat" alors que le coup d'Etat est en lui-même une telle atteinte.
Une requête rejetée par le Conseil constitutionnel.
Sept balles dans le corps
"Les impacts de balles (sur le corps de Sankara) sont au niveau du thorax", a déclaré Robert Soudré, expert en anatomie. Il y avait "au moins sept impacts de balles" dont une "tirée dans le dos", a-t-il précisé.
Un expert en balistique, le commissaire divisionnaire Moussa Millogo, a de son côté affirmé que les projectiles tirés étaient des balles traçantes, car "au niveau des restes des vêtements que portait le président Thomas Sankara, il y avait des brûlures".