International
De la passion américaine pour Israël – Par Mohamed Chraibi
Les Amants de Sion participant à la conférence de Katovic alors en Allemagne en 1884, année, coïncidence ?, de la Conférence de Berlin qui a réuni les Européens pour décider du partage du monde
Suite à l’article publié ici, récemment, sous le titre « l’Amérique donne la priorité aux intérêts Israël sur les siens », un lecteur, membre d'un groupe de discussion auquel j’appartiens, posa la question suivante : « Pourquoi cet amour fou des Américains pour Israël au point de sacrifier leurs intérêts aux siens ». Un second lecteur y répondit en rappelant l’attachement des évangélistes américains à Israël dont ce journal a traité dans un article précédent (voir: aux origines d’Israël, le sionisme chrétien). Et un troisième lecteur a réagi en évoquant la convergence des intérêts stratégiques des deux pays dans la région.
Ces arguments sont tout à fait valables mais il en existe un autre qui répond, peut être, mieux à l’aspect passionnel de la relation USA.- Israël soulevé dans la question du lecteur. Je l’expose ici et non en aparté pour deux raisons: D’abord, inclure une audience plus large que celle du groupe de discussion, répondant ainsi à une question que d’autres lecteurs se posent peut-être, in petto, faute d’un espace de discussion adéquat au sein de ce journal. Ensuite, la question posée aborde un domaine généralement évité quand on traite de relations internationales: Celui des émotions, en l’occurrence « l’amour fou » d’un pays pour un autre.
Sans plus attendre, je sors mon joker : L’amour fou de l'Amérique pour Israël dérive de l'analogie historique entre les genèses de l'Etat d’Israël et celui des États-Unis d’Amérique . Mais, avant d'exposer les vraies similitudes entre ces deux processus, il est bon de mettre en garde contre les fausses similitudes qui se nichent dans les narratifs s'y rapportant. Je m'explique :
Indépendance américaine Vs « Indépendance » d’Israël
Les Etats Unis célèbrent tous les ans « The 4th of july » appelé aussi « Independance day » qui commémore le 4 juillet 1776, date de la déclaration du retrait des treize colonies de l'époque de la domination britannique. S'ensuivit alors une guerre où les armées de ces colonies ont combattu celle de Grande Bretagne, pendant plus de 8 ans, jusqu’à la victoire et la signature d'un traité conforme au droit international leur accordant la souveraineté sur les territoires qu'elles revendiquaient .
Suivant le même narratif , les Israéliens fêtent le 14 mai, Yom Hatzamaut, littéralement « jour de l’indépendance » qui est, en fait, le jour de la proclamation de la naissance de l’état d’Israël en 1948. Sous entendu : Indépendance de la même puissance, la Grande Bretagne à qui Israël fait endosser le costume de puissance occupante alors qu'elle est l'artisan principal de la création de l'Etat sioniste. Souvenons-nous, en effet, que c’est bien Londres qui s'était engagé à créer un « foyer pour les Juifs en Palestine" en 1917 et s'est fait complice dans la mutation de celui-ci en état en 1937 avec la publication du plan Peel (Voir, dans Quid.ma, l'impossible partition de la Palestine). En vérité, Il n'y eut pas plus de guerre d’indépendance qu'il n'y eut d’indépendance car la guerre qui s’ensuivit opposa Israël aux pays arabes et non à la Grande Bretagne. Il n'y eut pas non plus de traité conforme au droit international attribuant à Israël la souveraineté sur les territoires conquis lors de cette guerre.
Analogies (vraies) entre genèse des Etats Uunis et celle d’Israël
Les analystes du conflit israélo palestinien ne soulignent pas assez (sinon jamais) le parallèle entre la genèse des E.U. et celle d’Israël. Même pas le grand intellectuel palestinien, Edaward SAID, dans sa fameuse « The question of Palestine » publiée en 1978 où il dresse les similitudes entre sionisme et colonialisme européen. Il y écrit: « il y a une coïncidence évidente entre les expériences vécues par les Palestiniens aux mains des Israéliens et les expériences de ces peuples noirs, jaunes et marrons définis comme des êtres inférieurs, sous-humains par les impérialistes du 19ème siècle » mais ne se réfère pas spécifiquement à la colonisation de l’Amérique. C'est, paradoxalement, Netanyahu qui eut le culot de le faire le 5 novembre 2018 quand il déclara au journal Times of Israël : « ce qui compte en politique étrangère c'est la force, parler d’occupation est un non sens. Il y a des États puissants qui ont occupé [les terres] et déplacé des populations et personne n’en parle ». Allusion très claire aux USA.
C'est, en effet, dans le recours systématique à la violence contre les populations autochtones que l’analogie entre la genèse des Etats Unis. et celle d'Israël crève les yeux. Regardons les faits de plus près (très brièvement)
Processus de formation des États-Unis d'Amérique (E.U.)
Certains d'entre nous se souviennent, peut être, de leurs cours d’anglais du lycée et de l'histoire des « pèlerins », ce groupe de religieux anglais qui embarquèrent à bord du Mayflower, en 1620, à destination de l'Amérique pour échapper aux persécutions religieuses dont ils étaient victimes. Ils y établirent une première colonie britannique qui devint plus tard l’Etat du Massachusetts. Les nouvelles du succès de cette expérience entrainèrent l'immigration massive de milliers d'autres pèlerins au point que 150 ans plus tard, l’Amérique comportait treize colonies qui déclarèrent leur indépendance de la Couronne britannique en 1776. On se souvient également de la bonne entente entre « Indiens » et « pèlerins » tant que ceux-ci n'avaient que des visées pacifiques, dont atteste encore la fête de Thanksgiving.
Jusqu’à la déclaration d'indépendance, les colons européens n'occupaient que les terres situées au sud des Grands Lacs, entre le Mississipi et la côte atlantique, en vertu d’accords plus ou moins inégaux avec les tribus amérindiennes qui en étaient les propriétaires légitimes. C’est sur ce territoire que s'étaient établies les treize colonies qui ont acquis leur autonomie de la Grande Bretagne en 1776. Mais les colons et leur nouvel Etat ne pouvaient résister à l‘attrait des immenses étendues de terres riches au-delà̀ du Mississippi. Le concept de « destinée manifeste » (pendant américain du concept juif de « peuple élu ») a alors alimenté leur expansion vers l'ouest, conduisant au retrait forcé des Amérindiens de leurs terres. Le plus tristement célèbre de ces déplacements des tribus autochtones est la fameuse « Piste des Larmes » (Trail of tears) au cours de laquelle des milliers de Cherokee et d'autres tribus furent transférés de force vers l'Oklahoma (de l'autre côté du Mississippi sur des terres arides) en vertu d’une loi adoptée par le gouvernement américain (Removal act de 1830).
Parallèlement à l’accaparement par la force des terres, les Amérindiens ont été confrontés au racisme, à la ségrégation et a l'éradication des cultures et les langues autochtones. Soyons clairs : les colons américains ont pratiqué à l’égard des Amérindiens une politique de nettoyage ethnique comme le feront les Juifs, à partir de 1948, à l’égard des Palestiniens.
Naissance et développement d'Israël
Les premiers Juifs à s'installer en Palestine ottomane au 19eme siècle, étaient aussi des « pèlerins », certains fuyant les persécutions religieuses régulièrement perpétrées à leur encontre en Europe et d'autres poussés par le désir de s’établir à proximité des lieux saints du judaïsme connus sous le nom d'Amants de Sion). Jusqu’à la tenue du premier congrès sioniste en1897 et même au-delà̀, ils n'étaient qu'une minorité (9 000, en plus de 30 000 juifs autochtones ) au sein d'une population arabe estimée à 600 mille ( Voir « Toufane Al Aqsa » dans Qui.ma) avec laquelle ils vivaient en bonne entente. Les tensions entre les populations juives et arabes sont apparues, avec l’augmentation rapide de l’immigration juive (1) motivée par les aspirations sionistes et l’antisémitisme européen. Les premiers affrontements entre Juifs et musulmans ont eu lieu en 1928 et 1929 (idem) et se sont intensifiés dans les années 1930/40 au fur et a mesure que le projet sioniste d'implantation d'un état juif en Palestine se précisait.
Les exactions commises par Israël à l'encontre des Palestiniens pendant et après la Guerre de 1948 sont suffisamment connus pour nous dispenser de nous étendre sur la question : déplacement de centaines de milliers de personnes et leur cantonnement dans des camps de réfugiés (à l’instar des réserves d'indiens), massacre de Deir Yassine en 1948, massacre de Kafr Kassem en 1956 (2), massacres de Tell Azzaater en 1976 et Sabra et Chatila (1982) par les milices phalangistes libanaises avec la complicité d’Israël…Et, bien entendu les attaques sanglantes (par air, mer et terre) de la bande de Gaza en 2006, 2008-2009, 2012, 2014, 2018-2019 qui ont fait plus de 4000 victimes en grande majorité des femmes et des enfants. Pour mémoire on citera aussi les tensions à Jérusalem-Est, entre arabes et juifs en mai 2021 autour de Sheikh Jarrah et de la mosquée Al-Aqsa qui ont fait 256 autres victimes (dont 66 enfants et 40 femmes). Et last but not least, la guerre qui dure depuis près de neuf mois et qui a déjà fait près de 40 000 morts (10 fois plus en 9 mois que les cinq précédentes en près de 18 ans). Quid.ma a consacré à cette guerre plusieurs articles qui nous dispensent d'en dire davantage sinon que les humanitaires qui ont eu accès a Gaza y vont vu plus d’atrocités que sur tous les autres champs de bataille à travers le monde.
Au plan des crimes moraux commis par Israël à l'encontre des Palestiniens : Tous les villages d’où les autochtones ont été chassés ou qu'ils ont fuis ont été rasés et leurs emplacements plantés de sorte à en effacer toute trace d’existence. Un Comité ad hoc a même été créé pour judaïser les noms de lieux... En matière de réécriture de l’histoire des lieux, de falsification de la toponymie et de nettoyage ethnique, les Israéliens ont fait mieux que leur modèle américain. A titre d’illustration, je citerai la suivante : En 1948, une colonie israélienne construite à l'emplacement du village palestinien Beit Nabala est baptisée Kfar Truman, président des E.U., en reconnaissance du dévouement de celui-ci à la cause sioniste.
Planification et légalisation en partage
Une autre caractéristique que les colonisateurs sionistes partagent avec leurs homologues Européens en Amérique est le recours à la planification (3) méthodique précédant l'action et à la légalisation des actes au moyen de lois, d'ordonnances et autres formalités juridiques.
En Amérique : Avant l'indépendance, des Trust Fund privés, financés par de riches bourgeois anglais, ont été créés pour l'acquisition de terres aux Amérindiens et leur revente aux colons. Après l’indépendance, le gouvernement américain a adopté plusieurs lois pour faciliter l’expansion vers l’ouest. Le Homestead Act de 1862 permettait aux colons de revendiquer 160 acres de terres publiques après cinq ans de résidence. L'ordonnance foncière de 1785 et l'Ordonnance du Nord-Ouest de 1787 ont structuré ce processus, organisant les terres de l'Ouest en townships pour les rendre disponibles à la vente aux colons. L'Indian Removal Act de 1830 a autorisé le transfert forcé des tribus amérindiennes de leurs terres ancestrales vers un « territoire indien » désigné.. etc
En Israel : Le second congrès sioniste, a créé en 1898 le « Jewish Colonial Trust limited » chargé d’ exploiter les ressources de la Palestine encore sous domination ottomane. Lequel Trust a donné naissance en 1901 au « Fond National Juif » chargé de l’acquisition et de la location de terres palestiniennes à mettre à la disposition des colons. En 1920 à été créée une agence du « Fond National Juif » sous la dénomination de « Palestinian Land Development Company » ainsi que le « Palestine Foundation Fund » chargés de l’organisation de l’immigration et la colonisation. En 1950, la « loi du retour » a ouvert le droit à tout juif de s'installer en Israël et la loi sur les « biens des absents » (ceux ayant fui pendant la guerre de 1948), adoptée la même année, en a transféré́ la propriété à des institutions sionistes. En 1952, une loi a accordé à tout immigrant la nationalité israélienne mais seulement aux Arabes pouvant prouver leur statut de résident du temps du mandat britannique. En 1953, la loi sur l’acquisition de terres (Land acquisition Law) garantissant la « légalité » de la confiscation de terres (« terres appartenant aux « absents » comme aux présents) a été promulguée.
Dans les deux cas le mode opératoire d'accaparement des terres, de déplacement et de massacre des populations autochtones, d’effacement de leur mémoire collective, de ségrégation raciale, de nettoyage ethnique…a été semblable. Comme si les Américains avait rédigé un « manuel du parfait colonisateur » dont les sionistes ont tiré le meilleur profit. Largement de quoi lier pour le meilleur comme pour le pire ces deux nations. CQFD.
Les sionistes juifs vont-ils foirer là où les colons américains ont réussi ?
L'analogie s’arrête au paragraphe précédent car si les colons américains ont incontestablement réussi, il est permis de douter qu'il en sera de même pour les sionistes juifs au vu de l’échec de l’opération militaire en cours, des désaccords entre le gouvernement et l'armée (4), des nombreux schismes qui traversent la société, de l'isolement grandissant d’Israël dans le monde, de la désapprobation morale des opinions publiques mise en relief par le procès en cours devant la Cour Internationale de Justice et la menace de parution de hauts dirigeants israéliens devant la CIP….sans mentionner l’essoufflement du soutien américain (que pourrait ranimer le changement prochain à la présidence),
- Les immigrés juifs , pour la plupart, se rendaient en Palestine en bâteau , à en croire le film d'Otto Preminger où « l'Exodus » est une référence explicite au « Mayflower » des pèlerins britanniques
- Un documentaire sur ce massacre, centré sur le procès des 11 officiers responsables qui s’etait tenu l’année suivante (d'où son titre : Trascripts 57) a été projeté dans le cadre d'un festival du cinéma qui s'est tenu en Israël du 24/5 au 1/6 derniers. (Haaretz 24/6/24)
- La planification des actions futures d'expansion de la colonisation se poursuit de nos jours et concerne le Sud Liban. Haaretz du 24/6 nous apprend qu'un livre pour enfants inculque aux enfants le « désir du Sud Liban »
- L’épouse de Netanyahu a déclaré publiquement que l’armée préparait un coup d’état pour destituer son mari (Haaretz, 25/6/24). Et l’Administration Biden traite dorénavant avec le ministre de la défense au lieu du Premier ministre.