En Europe, la ''route de la soie de la santé'' chinoise dérange et inquiète

5437685854_d630fceaff_b-

357
Partager :

Certains responsables européens, subitement impuissants, ne cachent plus leur irritation face à une superpuissance chinoise accusée d'avancer ses pions géopolitiques sous couvert de générosité et de diplomatie sanitaire dans la crise du Covid-19, tout en cherchant à réécrire l'histoire de la pandémie sur son sol. Des sorties qui cache mal les enjeux géopolitiques de la pandémie.

Quelques jours après le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, la secrétaire d'État française aux Affaires européennes Amélie de Monchalin est montée au créneau dimanche pour reprocher à la Chine, mais aussi à la Russie, "d'instrumentaliser" leur aide internationale et de la "mettre en scène".

La Chine a dénoncé lundi des propos "cyniques". "J'ai entendu plusieurs fois des Occidentaux mentionner le mot de « propagande » par rapport à la Chine. J'aimerais leur demander: à quoi font-ils exactement référence ?", a répliqué Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.

"Que souhaitent-ils? Que la Chine reste les bras croisés face à cette grave épidémie ?", s'est-elle interrogée.

Le 24 mars, Josep Borrell, qui se console comme il peut, s'était agacé de la "bataille mondiale des narratifs" et "des luttes d'influence" en cours via la "distorsion" des faits et la "politique de générosité".

Il rappelait que s'il y a aujourd'hui "des tentatives pour discréditer" l'Europe, en janvier, la crise n'était que chinoise, localisée dans le Hubei, "aggravée par la dissimulation d'informations cruciales par les responsables du parti (communiste) chinois", et que l'Europe était venue à son aide, comme la Chine le fait aujourd'hui en retour. 

La Chine fait aussi "agressivement passer le message qu'à la différence des États-Unis, elle est un partenaire responsable et fiable", observait-t-il.

La superpuissance asiatique - qui semble avoir jugulé l'épidémie sur son territoire - est bel et bien soupçonnée d'exploiter la "diplomatie du masque" pour vanter son modèle de puissance. Ce qui n’est que de bonne guerre, et n’ose à peine imaginer les tambours et trompettes occidentales dans la même situation, eux qui cachait difficilement aux début de l’épidémie leur désir de voir le coronavirus mettre à genoux l’ogre chinois.

Pékin - qui avait demandé la discrétion lorsque l'UE était venue à son aide -, à l'inverse met en exergue ses actions dans une "campagne de communication sans précédent", souligne Antoine Bondaz de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), dans une note consacrée à "la Route de la soie de la santé". Avec à l'appui une série d'initiatives, "don de 20 millions de dollars à l'OMS, envoi d'experts médicaux en Iran et en Italie, construction d'un laboratoire en Irak, acheminement de tests diagnostiques aux Philippines et d'équipements de protection au Pakistan et en France", énumère le chercheur.

- "Compétition entre systèmes" -

L'ambassade de Chine en France se livre ainsi à une campagne décomplexée de promotion du système politique chinois et de sa "réussite" dans la bataille contre le coronavirus.

"Certaines personnes, dans le fond, sont très admiratives des succès de la gouvernance chinoise. Ils envient l'efficacité de notre système politique et haïssent l'incapacité de leur propre pays à faire aussi bien !", écrit-elle sur son site internet, communiquant aussi abondamment via Twitter.

Pour François Heisbourg, expert français en géopolitique, tout cela est "inacceptable au plan diplomatique". "C'est le crédit de la République populaire qui est engagé", même si de tels messages ne sont pas relayés directement par Pékin, pointe-t-il.

La bataille idéologique autour du Covid-19 fait suite à celles pour le contrôle des voies maritimes en mer de Chine ou pour l'accès à la technologie 5G, nouvel enjeu stratégique des télécommunications.

"Depuis sept ans, la Chine s'est engagée dans une rude compétition entre systèmes politiques, et saisit chaque occasion nationale ou internationale pour afficher la +supériorité+ présumée de son système", explique à l'AFP Alice Ekman, analyste responsable de l'Asie à l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne (EUISS).

- "Péché originel" -

Pékin veut aussi "se débarrasser, en interne comme en externe, du péché originel", celui de l'émergence du virus sur son territoire, estime à son tour auprès de l'AFP François Heisbourg.

Reste à savoir si leur récit de la crise va convaincre, souligne une source diplomatique européenne. Mais s'ils sortent de cette crise rapidement, en particulier au plan économique, ce sera avec une puissance et une confiance décuplés, prédit cette source.

"Même si les déclarations sur l'origine du virus et la surmédiatisation de l'assistance chinoise commencent (...) à se retourner en critiques contre la Chine, d'autres pays continuent à afficher leur proximité avec Pékin dans le contexte actuel (Russie, Iran, Pakistan, Algérie, entre autres), et ne seraient pas mécontents de proclamer en cœur l'émergence d'un « nouvel ordre mondial » post-occidental à l'issue de cette crise", note Mme Ekman qui met ainsi le doigt là où la bât blesse. 

La Russie, par ailleurs vilipendée pour l'annexion de l'Ukraine en 2014 et les bombardements de civils en Syrie, joue aussi à fond son "soft power" dans cette catastrophe sanitaire, quitte à faire, selon ses détracteurs, de la désinformation.

Salué dans les zones les plus touchées du nord de l'Italie, le déploiement de militaires russes, dont de nombreux officiers, suscite néanmoins des inquiétudes dans les milieux politico-militaires.

"On ne refuse pas les aides mais il faut rester aussi très attentif. La Méditerranée, aussi bien orientale que centrale, est un terrain de lutte pour l'hégémonie, de la Syrie à la Libye", met en garde le général Marco Bertolini, ancien chef du commandement opérationnel inter-forces (COI) italien qui dévoile les véritables enjeux géopolitique de cette mauvaise querelle. 

lire aussi