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Espagne: la patronne des services secrets sur la sellette, en cause : des écoutes via Pegasus
Première femme nommée à la tête du Centre national du Renseignement (CNI), Paz Esteban a été interrogée jeudi durant près de quatre heures par la commission parlementaire des "secrets officiels", réunie à huis clos.
Une affaire hispano-hispanique qui vient démontrer ce que la société israélienne NSO a affirmé : que nombre de gouvernements européens utilisent le logiciel Pegasus à des fins d’espionnage, dont la presse occidentale et notamment française n’a voulu retenir que le Maroc sans la moindre preuve.
C’est que la patronne des services secrets espagnols, qui a admis que des indépendantistes catalans avaient été espionnés par Madrid, apparaît de plus en plus sur la sellette alors que ce scandale menace la stabilité du gouvernement.
Première femme nommée à la tête du Centre national du Renseignement (CNI), Paz Esteban a été interrogée jeudi durant près de quatre heures par la commission parlementaire des "secrets officiels", réunie à huis clos.
Selon des membres de cette commission, comme la numéro deux du Parti Populaire (PP, droite), Cuca Gamarra, Mme Esteban a reconnu que des indépendantistes avaient bien été espionnés par ses services, mais toujours avec le feu vert de la justice.
La cheffe des services de renseignement a précisé, selon plusieurs médias, que 18 indépendantistes étaient concernés, soit beaucoup moins que le chiffre évoqué dans un rapport de l'organisation canadienne Citizen Lab dont la publication mi-avril a déclenché une crise entre le gouvernement de Pedro Sánchez et les séparatistes.
Citizen Lab assure avoir identifié plus de 60 personnes de la mouvance séparatiste dont les portables auraient été piratés entre 2017 et 2020 par le logiciel espion Pegasus, créé par la société israélienne NSO.
Ce scandale d'espionnage a pris une nouvelle tournure avec l'annonce lundi par le gouvernement que M. Sánchez et sa ministre de la Défense, Margarita Robles, ministre de tutelle du CNI, avaient été espionnés en mai et juin 2021 via ce même logiciel.
Cible de toutes les attaques des alliés catalans ou basques de M. Sánchez, la patronne du CNI, qui est à la tête des services de renseignement depuis 2020, ne semble plus avoir un soutien clair du gouvernement.
La déclaration mardi de la porte-parole de l'exécutif, Isabel Rodríguez, disant ne pas vouloir "parler de scénarios futurs" à son sujet a, en tout cas, été interprétée en ce sens.
- La ministre de la Défense fragilisée -
Seule ministre à défendre bec et ongles la patronne du CNI, Mme Robles a officiellement toujours l'appui de M. Sánchez.
Mais elle est dans le viseur des indépendantistes catalans et de la formation de gauche radicale Podemos, partenaire des socialistes au gouvernement.
L'actuel président régional catalan Pere Aragonés, qui figure parmi les personnes espionnées, a ainsi réclamé jeudi soir sa démission, exigeant la déclassification immédiate des documents qui ont permis à cet espionnage d'être mis en place.
Mme Robles "sait ce qu'elle a à faire non seulement pour sa dignité, mais aussi pour la dignité du gouvernement", a déclaré mercredi Pablo Echenique, l'un des dirigeants de Podemos, en appelant implicitement à sa démission.
Pour tenter de calmer le jeu, M. Sánchez a promis la semaine dernière de faire toute la lumière sur cette affaire.
Pegasus -- qui permet d'accéder aux messageries, aux données ou d'activer à distance les caméras et les micros d'un téléphone -- et son concepteur NSO font l'objet de graves accusations depuis qu'un consortium de médias a révélé l'été dernier que ce logiciel avait été utilisé pour espionner les téléphones de centaines de femmes et d'hommes politiques, de journalistes, de militants des droits humains ou de chefs d'entreprise.
M. Sánchez est le premier chef d'Etat ou de gouvernement ayant annoncé avoir été espionné au moyen de Pegasus.
- Survie du gouvernement -
Ce scandale pourrait remettre en cause la survie du gouvernement.
Les indépendantistes catalans d'ERC, dont M. Sánchez dépend au Parlement, ont ainsi estimé que l'affaire pouvait entraîner "la fin de la législature" avant son terme, prévu fin 2023.
L'affaire soulève aussi de nombreuses interrogations, à ce jour, sans réponses.
Si le gouvernement assure que le piratage des téléphones de M. Sánchez et de Mme Robles résulte d'une "attaque externe", il affirme ne pas savoir qui peut en être à l'origine, face aux questions de la presse sur une éventuelle implication du Maroc, avec lequel Madrid vient tout juste de mettre fin à une crise diplomatique de près d'un an.
Nombre de formations politiques se demandent également si le gouvernement n'était pas au courant depuis longtemps et si ses annonces n'ont pas pour but de calmer les indépendantistes catalans en montrant qu'il était lui aussi victime d'espionnage.
L'exécutif a démenti en assurant n'avoir eu connaissance de ces faits que le weekend dernier.