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FRANCE : GRÈVE DES TRAVAILLEURS SANS-PAPIERS SUR LES CHANTIERS DES JEUX OLYMPIQUES - PAR MUSTAPHA SAHA
Les grévistes, dans leur quasi-totalité, travaillent comme intérimaires pour des sous-traitants au bénéfice d’industries géantes et de multinationales. La surexploitation confine à l’esclavage.
Paris. Mardi, 17 octobre 2023. Six-cent-cinquante travailleurs clandestins, essentiellement africains, enclenchent une grève surprise dans les chantiers des Jeux Olympiques et du Grand Paris.
Les slogans explicitent les enjeux. Les immigrés arrêtent le Grand Paris. Pas de Jeux Olympiques sans régularisations. Communiqué des grévistes : « Nous dénonçons ce système dans son intégralité qui organise notre exploitation par un millefeuille et permet aux grosses boîtes de se laver les mains tout en profitant allègrement de notre force de travail. Nous faisons partie intégrante de la classe ouvrière de ce pays. Nous créons des richesses. Nous refusons de continuer à être méprisés et ignorés ». Trente trois entreprises du bâtiment, de la logistique, de la distribution, du nettoyage sont endiguées.
Une centaine de grévistes occupent l’Arena Porte de la Chapelle, un site qui doit être inauguré à l’occasion des Jeux Olympiques et devenir, par la suite, un pôle culturel et sportif. Mercredi, 18 octobre 2023, après des négociations serrées avec la mairie et les sociétés impliquées, deux-cents grévistes sans-papiers obtiennent la promesse de régularisation. Des piquets de grève bloquent toujours trente-cinq autres points de Paris et de la banlieue. S’actualise notre leitmotiv soixante-huitard, Ce n’est qu’un début, continuons le combat. Les sans-papiers s’imposent comme un rouage fondamental, crucial, incontournable des Jeux Olympiques et des chantiers pharaoniques du Grand Paris. Personne ne se pose la question : Combien de jeunes africains seront mutilés, décédés dans ces travaux dangereux ?
Les grévistes, dans leur quasi-totalité, travaillent comme intérimaires pour des sous-traitants au bénéfice d’industries géantes et de multinationales. La surexploitation confine à l’esclavage. Les travailleurs clandestins sont estimés à plusieurs centaines de milliers par les syndicats. En Île-de-France, ils représentent entre 40 et 60 % dans le bâtiment et les travaux publics, l’hôtellerie-restauration, le nettoyage, la sécurité, l’agro-alimentaire, l’aide à domicile. Ces travailleurs cotisent et payent des impôts en étant maintenus dans une précarité chronique. Un travailleur non déclaré est corvéable à merci, révocable à tout moment. La sous-traitance en cascade dilue les responsabilités.
La énième loi sur l’immigration, en cours d’examen parlementaire, durcit les conditions de séjour et multiplie les motifs d’expulsion. Le pouvoir discrétionnaire des préfets est renforcé. Sept lois votées en quinze ans avec pour seul objectif le resserrement de l’étau répressif. Les grévistes rejettent cette loi : « La France nous tend un piège. Elle nous propose un papier-travail qui n’est, en réalité, qu’un artifice au service des patrons pour qu’ils puissent nous exploiter légalement. La France nous dit : « Vous n’êtes pas des humains. Dans les secteurs les plus durs, tuez-vous au travail. Dormez dans des foyers insalubres. Nous refusons cette loi et ce faux papier. Nous voulons la régularisation, la reconnaissance de nos droits, sans conditions ».
Contrairement aux allégations alarmistes, populistes, bassement électorales, partagées par un large spectre partidaire, la France est loin d’être envahie par les étrangers. Les immigrés constituent 10,2 % de la population, un pourcentage inférieur à la moyenne européenne. On compte aujourd’hui 6,8 % millions d’immigrés pour une population totale de 68 millions d’habitants. La France, carrefour géographique du vieux monde, est une terre antique de migrations humaines et d’immigration économique depuis le dix-neuvième siècle à cause des guerres, des nécessités de reconstruction, des reculs de fécondité, des besoins de main d’œuvre dans les mines, la sidérurgie, la métallurgie. Depuis la crise des années soixante-dix, la demande d’immigration de travail s’est considérablement réduite. La politique française est de plus en plus marquée du sceau de l’ostracisme, du xénophobisme, du ségrégationnisme. Le sophisme idéologique officialisé révèle un retour aux sombres années vichysme.
Bio express
Mustapha Saha, sociologue, écrivain, artiste peintre, cofondateur du Mouvement du 22 Mars et figure nanterroise de Mai 68. Sociologue-conseiller au Palais de l’Elysée pendant la présidence de François Hollande. Livres récents : Haïm Zafrani Penseur de la diversité (éditions Hémisphères/éditions Maisonneuve & Larose, Paris), « Le Calligraphe des sables » (éditions Orion, Casablanca).