International
II - Le nécessaire ijtihad pour un Islam de France
Dans cet article qui s’inscrit dans la suite du discours du président français Emanuel Macron à Mulhouse où il s’élève contre « le séparatisme islamiste », Hamid Soussany dresse un état des lieux en Islam et apporte quelques réflexions sur l’Islam dans l’hexagone et défend le nécessaire ijtihad [effort d’adaptation et d’actualisation] de l’Islam de France. De l’Islam consulaire au slafisme en passant par les frères musulmans qui articulent la religion en outil politique, l’auteur brosse un tableau des forces et courants en présence et de l’évolution de la perception de l’Islam en France. Dans cette deuxième partie, il décline les financements existant et les Trois axes principaux de réformes semblent se dégager pour la construction d'un islam français, affranchi des tutelles étrangères, tant financière que morale.
L'islam de France entre Finance et influence
Officiellement le financement de l'islam de France est le fait des Etats d’origine : Maroc, Algérie, Turquie, et dans une mesure indéterminée l'Arabie saoudite et le Qatar. Il est difficile d'avoir des chiffres du financement des mosquées en France, l'opacité dans ce domaine est à la hauteur de l'enjeu politique, dans un pays considéré comme le cœur de l'Europe, mais aussi le pays occidental qui accueille le plus grand nombre de musulmans.
En 2016, une commission parlementaire d'information sur l'organisation de l'islam de France, avait publié les chiffres suivants : sur l'année 2016, le Maroc est placé en premier avec 6 millions d'euros, l'Algérie 2 millions d'euros versés à la grande mosquée de Paris, l'Arabie saoudite 3,8 millions d'euros depuis 2011, la Turquie un financement indirect via la rémunération des imams détachés. La grande mosquée de Saint-Etienne, d'obédience marocaine, dont les travaux se sont terminés en 2012, aura coûté 8 millions d'euros, dont 5 millions d'euros de dons personnels du Roi Mohamed VI. Elle porte désormais son nom, la Mosquée Mohamed VI.
Si le financement des Etats du Maghreb est officiel et traçable, le financement des personnes privées, ou des personnalités, notamment en provenance des pays du golfe, demeure opaque. Le Haj à la Mecque est la période propice pour les présidents d'associations musulmanes d'aller prospecter pour lever des fonds.
Dans le livre-enquête "Qatar Papers'', publié en 2019, les deux journalistes Christian Hristian et Georges Malbruno, dévoilent le financement du Qatar, de l'islam en France et en Europe, via le programme Al Baith de son ONG Qatar Charity, ils évoquent un budget global de 30 millions d'euros, au profit de mosquées et écoles proches de la mouvance des fréristes. Le Qatar, n'a pas de communauté en France ou en Europe, il investit dans le financement de l'islam, comme il investit dans le Football, pour son image, et surtout pour se rendre incontournable auprès des grands pays européens. Le Qatar n'entend pas laisser le terrain libre à l'Arabie saoudite, il a compris l'enjeu politique et stratégique de la problématique de l'islam en France et en Europe.
C'est dans ce contexte qu'il faut lire les déclarations du Président Macron, et de sa volonté d'en finir avec un islam sous influence étrangère, tant au niveau de son organisation et de son contenu, qu'au niveau de son financement.
Le nécessaire ijtihad pour un islam de France
L’histoire de la laïcité en France a plus de deux siècles d’existence. Le processus de sécularisation a débuté avec la révolution française en 1789.
L'organisation d'un islam de France est difficile mais pas impossible, une politique volontariste des pouvoirs publics est nécessaire, quitte à faire entorse aux principes de laïcité, pour la circonstance, l'enjeu en vaut la chandelle. Cela prendra du temps, il s'agit d'un processus long, notamment celui de la réflexion, l'ijtihad de théologiens musulmans français, tant espéré et attendu, sur la nécessaire adaptation des textes.
Trois axes principaux de réformes semblent se dégager pour la construction d'un islam français, affranchi des tutelles étrangères, tant financière que morale: 1/une fondation pour le financement , 2/ une fondation cultuelle pour la construction et l'entretien des mosquées et des salles de prière 3/ Un conseil de théologiens, des oulémas, avec son institut de formation des imams français.
La nécessaire restructuration du financement est primordiale. Elle figure parmi les recommandations de la commission d'information du Sénat en 2016 "Faire transiter la totalité des financements en provenance de l’étranger (dons, legs, etc.) par la Fondation pour les œuvres de l’Islam de France'' (créée en 2005 sous l'impulsion de Dominique de Villepin, restée coquille vide, mais demeure essentielle).
Le premier chantier est celui de réorganiser et de réguler le label de la viande Halal, par une norme unifiée, au profit du financement du culte musulman, par l'instauration d'une redevance, comparable à la redevance rabbinique. Cinq millions de musulmans consommeraient les produits halal, pour un chiffre d'affaire estimé entre 4 à 5 milliards d'euros. La lecture de ces chiffres nous faire dire qu'une redevance maîtrisée sur le halal est en mesure de réaliser l'autofinancement d'un islam français. Ceux qui soutiennent le contraire c'est parce qu'ils trouvent un intérêt dans le maintien de l'opacité financière.
La France, une chance pour l’islam :
Un devoir d'adaptation de l’islam à son temps et à son environnement est exigé des musulmans. Ceci passe par la contextualisation de ses versets et hadits guerriers et belliqueux. La mise en veilleuse de certains concepts, qui impliquent le rapport à l'autre, comme celui des « kouffars » ou « le jihad », une relecture des textes par l'explication et la contextualisation historique, au profit de la mise en valeur des passages qui promeuvent la fraternité entre les hommes et la cohabitation inter-religieuse.
Vous ne pouvez pas réciter à vos enfants que le professeur qui lui apprend à lire et à écrire ira inexorablement brûler en enfer car mécréant, ni persister à vouloir sortir des ténèbres la gynécologue-obstétricienne qui vous a accouché. Il s’agit aussi de couper le chemin à tous ceux qui instrumentalisent l’islam de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur ; les voyous, les ratés qui l’utilisent comme un exutoire pour libérer leur frustration ou pour régler des comptes avec la société.
C'est d'abord une question de bon sens. Il ne suffit pas de crier que l'islam est une religion de paix, et de tolérance sans abandonner l'idée de l'apostasie et sa peine de mort, et proclamer les principes fondamentaux de la liberté de croyance et de religion, ces mêmes principes qui garantissent aux minorités musulmanes leur liberté de culte en Europe.
L'islam de France ne peut-être qu'un islam d'ouverture et de tolérance. C'est l'occasion historique de faire émerger une théologie musulmane ouverte à la liberté de conscience et aux droits de l'homme, qui pourrait être salutaire pour des sociétés musulmanes en proie au radicalisme et aux conflits fratricides.
Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux est un des rares théologiens en France à croiser le fer ; il parle d'une théologie d'acculturation (Un nouveau discours sur l’islam audible et intelligible à nos contemporains est plus que nécessaire. Cela passe en partie par une théologie d’acculturation qui consiste à « envelopper » le message coranique par la culture du temps... C’est un vaste chantier. Pour cela il faudrait commencer par développer une théologie optimiste de l’Homme, créé à l’image de Dieu et selon la fitra, qui permet au musulman au-delà des différences de vivre avec les autres, non musulmans).
L'islam de France manque cruellement de philosophes et de théologiens en mesure de mener l'ijtihad pour adapter l’islam au monde moderne. Un ijtihad en faveur d'une relecture et une pratique de l'islam spirituelle, en phase avec son environnement multiconfessionnel, et les règles de vie commune de la laïcité. Un islam apaisant pour ses fidèles et rassurant pour ses concitoyens.
La France peut-être une chance pour l’islam, si la République et ses musulmans réussissent a le libérer de ses chaînes de velléités politiques, pour retrouver l'islam des lumières, celui d'Al-kindi, Ibn Sina et d’Avicenne .
Hamid Soussany
Nice-France-
03 Mars 2020