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L’égyptianité du Nil ne coule plus de source – Par Zakaria Hassan
Le Nil est depuis l’Egypte antique sa voie de navigation, sa source de vie
La ligue arabe a adopté une résolution soutenant l’Egypte dans le litige autour des eaux du Nil depuis que l'Ethiopie a construit et entamé le remplissage de son Grand barrage de la renaissance sur la partie Nil Bleu, au grand dam du Caire. Addis-Abeba a rejeté « complètement la résolution de la Ligue des Etats arabes sur le Grand barrage » et invite les pays arabes à s’abstenir d’interférer dans un contentieux afro-africain qui doit être résolu dans le cadre de l’Afrique. Le Quid revient dans cet article sur une brève histoire du Nil de discorde.
Dans l’imaginaire universel et particulièrement arabe, le Nil, chanté et filmé, mais surtout principale source de la fertilité des terres égyptiennes, est indissociable de l’Egypte. Tant qu’il suivait paisiblement son cours sans intervention humaine par la voie des retenues et des structures hydrauliques, il ne posait pas de problème et on en était à oublier que le Nil est aussi soudanais et surtout éthiopiens où il prend l’une de ses naissance. Mais depuis qu’Addis-Abeba a décidé d’ériger des barrages pour en faire bénéficier son agriculture et son économie, l’idée qu’on se fait du Nil a cessé de couler de source.
Péplum italien de Fernando Cerchio sorti en 1961.
Ce fleuve mythique, long de 6700 kms, le plus long du monde avec un autre non moins mythique fleuve, l’Amazone, est depuis l’Egypte antique sa voie de navigation et sa source de vie grâce au limon apporté par les crues. C’est autour de lui que la vie égyptienne s’est ordonnancée et que la civilisation égyptienne s’est construite. Divinisé sous le nom d'Hâpy, aux traits androgynes, il personnifiait la vie dans la mythologie égyptienne. Berceau de la civilisation égyptienne, il abrite les pyramides et le sphinx de Gizeh à proximité du Caire. C’est aussi dans ces eaux que la mère de Moïse pour le sauver du Pharaon mit son enfant promu à une destinée et à une postérité qui empoisonne encore la vie au Moyen Orient.
Mais le poids de cette histoire plusieurs fois millénaire, recouvre une autre réalité, géographique celle-là, qui est en train de transformer cette source de la vie en source de conflit entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie depuis que ce dernier pays a décidé en 2013 de construire sur le Nil bleu le barrage de la Renaissance dont il a entamé le remplissage au grand dam du Caire et du Soudan. Ces deux pays, à eux deux, bénéficiaient, en vertu d’un accord conclu en 1959, des trois quarts des eaux disponibles, plus de 53 milliard de mètres cubes pour l’Egypte et plus de 18 milliards pour le Soudan.
C’est de la rencontre de deux autres Nil, le Nil Blanc et le Nil Bleu que Le Nil de notre imaginaire prend sa source. Le Nil Balnc (annahr albyed puise ses eaux du lac Victoria (Ouganda, Kenya, Tanzanie) ; tandis que le Nil Bleu (Nahr-el-Azrak) est issu du lac Tana (Éthiopie). C’est à Khartoum, au Soudan, que ces deux grands affluents s’unissent pour former le Nil qui passe par l’Egypte avant d’aller mourir dans la Méditerranée.
Derrière cette géographie complexe et compliquée se trouvent plusieurs pays. Ils ont en commun l’Afrique et la partage des eaux du Nil qui traverse ou longe pas moins de onze pays : le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l'Ouganda, l'Éthiopie, le Soudan du Sud, le Soudan et l'Égypte. Il longe également le Kenya et la République démocratique du Congo (respectivement avec les lacs Victoria et Albert), et son bassin versant concerne aussi l'Érythrée grâce à son affluent du Tekezē.
C’est la « part de loin » revenant à l’Egypte et au Soudan que la majorité de ces pays se sont mis à contester au nom de la géographie, tandis que le Caire et le Soudan s’en tiennent à leurs droits historiques.
En amont du fleuve, cinq pays sur onze concernés à des degrés divers par le partage des eaux du Nil, l'Éthiopie, la Tanzanie, le Rwanda et l’Ouganda et plus tard le Kenya, ont signé un accord qui, pour entrer en vigueur, a besoin de l’aval d’un sixième pays sur les neuf directement concernés.
Mais dès 2013, Addis-Abeba a décidé de passer aux actes en vue de la construction, achevée, d’un barrage hydraulique, et de son remplissage, déjà entamé. En réaction, le gouvernement égyptien a évoqué en dernier recours une intervention « pour détruire le barrage ».
Pour ces deux pays arabes du Nil, il ne s’agit pas moins d’une question de sécurité nationale.
La situation en est là et c’est pour peser dans la solution que la Ligue arabe est venue en soutien à l’Egypte par l’adoption d’une résolution, immédiatement rejetée par le gouvernement éthiopien. Dans un communiqué, le ministère éthiopien des Affaires étrangères s’est dit consterné par cette résolution, notant qu’en raison «de son soutien flagrant aux revendications infondées de l'Egypte et du Soudan concernant le Barrage, la Ligue des Etats arabes a déjà gâché l'occasion de jouer un rôle constructif».
Pour la diplomatie éthiopienne « les tentatives d'internationaliser la question du grand barrage ne peuvent conduire à une coopération régionale durable dans l'utilisation et la gestion des eaux du Nil », précisant que « Le désaccord entre l'Ethiopie, l'Egypte et le Soudan ne peut être résolu que par des négociations de bonne foi et des compromis dans l'esprit de trouver des solutions africaines aux problèmes africains. » Et là encore, comme dans bien d’autres régions, se profile concrètement un contentieux qui n’en finira pas de perturber régulièrement la quiétude de pays déjà aux prises avec des conflits de toute nature.