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La Tunisie s'installe dans un cycle de pénuries inexpliquées des produits alimentaires
Ce qui interloque le plus dans cette crise c’est son origine éludée. Officiellement les pouvoirs publics, surpris et visiblement dépassés, pointent du doigt les spéculateurs.
Par MAP
Tunis - Sous l'effet combiné du conflit entre la Russie et l’Ukraine, pays dont la Tunisie est fortement dépendant dans son approvisionnement en céréales et de l’approche du mois saint de Ramadan, la Tunisie s'installe dans un cycle de pénuries qui inquiète et suscite la colère et le questionnement dans toutes les régions du pays.
Fait sans précédent, ces pénuries concernent les produits de base essentiels, en l’occurrence la farine, la semoule, le sucre, l’huile végétale, le riz et même le pain qui se fait de plus en plus rare dans les boulangeries récalcitrantes à fournir ce produit si essentiel pour les Tunisiens.
Ce qui interloque le plus dans cette crise c’est son origine éludée. Officiellement les pouvoirs publics, surpris et visiblement dépassés, pointent du doigt les spéculateurs, d’où la multiplication des opérations de contrôle et la saisie de quantités importantes de produits stockés illicitement en vue de son écoulement sur le marché libyen particulièrement lucratif.
Une perturbation inédite
Les services du ministère de l’Intérieur, mobilisés ces derniers temps, annoncent vendredi la saisie de pas moins de 200 tonnes de produits alimentaires subventionnés.
Face à la nouvelle donne, le discours officiel est monté d’un cran, orientant directement ses piques aux spéculateurs et lobbies, accusés vertement de chercher à "affamer le peuple".
Malgré le tour de vis, le bout du tunnel ne semble pas pour demain. Depuis maintenant plus de deux semaines la grogne et la colère vont crescendo.
L'absence de solutions à même de changer complètement la donne et une communication gouvernementale défaillante ont nourri le malaise.
Même dans les moments les plus difficiles que le pays a traversés, se lamentent des experts avertis, la Tunisie n’a pas vécu une perturbation aussi grave et durable dans les circuits de distribution.
Certains vont jusqu’à affirmer qu’il faut remonter à l’indépendance, en 1956, voire à la Seconde Guerre mondiale, pour trouver une telle situation de précarité alimentaire.
Manifestement, le quotidien des Tunisiens est ponctué ces derniers temps au rythme de la disparition des étals d’un certain nombre de produits alimentaires de base
Le sucre, la farine, la semoule, l’huile, les pâtes, le riz et les médicaments sont devenus sinon rares, introuvables. Les grands magasins et les petites épiceries sont pris d’assaut, et certains rayons demeurent désespérément vides.
C’est la difficulté de s’approvisionner en pain et en farine qui inquiète le plus la population après la fermeture de certains fournils.
Les longues files devant les nombreuses boulangeries un peu partout dans le pays, phénomène inhabituel, notamment les quartiers populaires de la capitale, dérangent chaque jour un peu plus.
Dans certaines zones, des boulangeries ont carrément fermé leurs portes.
Le plus surprenant, c’est que les pouvoirs publics notamment, les ministères du commerce et de l’agriculture ainsi que les structures chargées du suivi de l’approvisionnement du marché cherchent à occulter cette réalité en essayant de rassurer la population sur la disponibilité des produits de base et de répéter qu’elles sont en train de déployer des efforts pour durcir le contrôle des circuits de distribution.
‘’Guerre implacable contre les spéculateurs et les criminels" ?
Cependant, les centaines de tonnes saisies ne semblent pas résoudre le problème ou tout au plus vaincre la psychose qui a gagné les Tunisiens.
Occultant la gravité du problème, les autorités font savoir qu’il y a une légère baisse de la disponibilité de certains produits sur le Grand Tunis.
Selon la direction générale de la concurrence et des enquêtes économiques au ministère tunisien du Commerce, la Tunisie s’était dotée d’un stock stratégique permettant de répondre aux besoins en matières premières d’ici le mois de juin.
De son côté, le ministère de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, soutient que les stocks actuels de céréales couvrent les besoins du pays jusqu'à juin 2022.
Pour parer à toute éventualité, le pays se tourne vers de nouveaux fournisseurs, comme l'Argentine, l'Uruguay, la Bulgarie et la Roumanie, principalement, pour le blé tendre et la France pour l'orge.
Les services de l’office du commerce annoncent qu’une première cargaison d’huile végétale de 7.000 tonnes et une deuxième de 10.000 tonnes seront introduites sur le marché tunisien au cours des deux prochaines semaines.
Le pays consomme 14.500 tonnes de ce produit par mois, actuellement quasiment introuvable.
Face à une situation complexe, le président tunisien Kaïs Saïed est monté au créneau. Il a annoncé le 8 mars dernier dans un message qu'il lançait une "guerre implacable contre les spéculateurs et les criminels", les accusant de chercher à "porter atteinte à la paix et à la sécurité sociales".
Il avait annoncé également qu'il travaillait sur une législation introduisant des peines de prison comme sanction pour la spéculation et le profit alimentaire.
En attendant que le tour de vis engagé par les pouvoirs publics finisse par produire l’effet escompté, le statut quo perdure, et l’absence de nombre de produits alimentaires de base et le renchérissement continu de leur prix se poursuivent, l’inquiétude des consommateurs également qui semblent plus que jamais résignés.
Dans le contexte actuel difficile, la Tunisie, très dépendante de l'étranger pour son alimentation, vit un véritable dilemme.
Pour l'Institut Arabe des Chefs d’Entreprise (think tank), le problème qui se pose actuellement est la dépendance des importations céréalières, doublées d’un risque de solvabilité élevé.
En effet, la Tunisie importe 84 % de ses besoins en blé tendre, pas moins de 40 % de ceux (besoins) en blé dur et 50 % pour l'orge.
De plus, la flambée actuelle au niveau des prix du blé et des produits céréaliers pourrait creuser davantage la charge de compensation à hauteur de 1,3 milliard de dinars (environ 439 millions de dollars) supplémentaires, sachant que les charges prévues dans le budget de l'Etat sont de l'ordre de 2,2 milliards de dinars (743 millions de dollars) pour la compensation des produits de première nécessité. Tout cela montre que la solution de ce problème épineux risque de demander encore du temps.