Le drame d’Al-Qods : entre indignation et indécision

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Ils persévèrent et agissent, depuis le 14 mai 1948, sur tous les fronts pour rendre irrévocable un fait accompli : l’usurpation d’une terre, la Palestine, et la privation d’un peuple de son histoire, de sa culture et de son destin. Ils glosent, se réunissent à ne plus en finir, tergiversent et composent souvent et trompent ainsi leur propre monde ; 1,9 milliard d’individus. Cherchez donc l’erreur…

Faire d’abord, discuter ensuite

La décision du président Trump de transférer l’ambassade des Etats Unis de Tel-Aviv à Al-Qods est véritablement une décision irresponsable, une menace pour la paix, un déni du droit international et des résolutions 2253 et 2254 de 1967 de l’Assemblée générale des Nations Unies (Statut de la ville de Jérusalem). Elle est lourde de conséquences sur les équilibres géopolitiques de la région et sur le processus de paix, au point mort depuis plus de 15 ans. Tout cela n’est pas faux. Et après ?

Une fois ce constat amère fait, tout reste à faire non seulement du côté des instances internationales, mais surtout des premiers concernés : les pays arabes et musulmans. Quelles réponses doivent-ils et peuvent-ils opposer aux Etats Unis d’Amérique pour réduire les effets désastreux de la décision de leur président ?

En soi, la décision du transfert de l’Ambassade des USA à Jérusalem n’est pas une découverte sortie un jour de « Thanksgiving » du cerveau d’un « détraqué », un irresponsable. Les présidents américains successifs, Démocrates comme Républicains, ont tous caressé et promis l’idée du transfert de leur Ambassade à Jérusalem. Mais Trump l’a promis et il l’a fait.

Sa décision n’est autre que la traduction d’une vieille maxime américaine, qui constitue la marque de fabrique des USA : dire et faire, agir d’abord et parler des dégâts directs ou collatéraux après.

Le président Trump ne fait qu’appliquer cette stratégie américaine du fait accompli. Et si l’on regarde attentivement les différentes mesures prises depuis son arrivée, en novembre 2016, à la Maison Blanche (décrets sur l’immigration, reniement des engagements USA sur le Climat, contestation des accords signés par son prédécesseur), il est aisé de constater que Trump-président ne fait qu’honorer les promesses faites aux électeurs américains par Trump-candidat à la magistrature suprême de son pays.

Sa décision d’installer l’Ambassade américaine à Jérusalem est certainement un message adressé aux lobbys pro-israéliens. Mais, au-delà, ce message est destiné aux extrémistes américains de tous bords, le Ku Klux Klan de David Duke, les Suprémacistes blancs, la Droite Alternative (Alt Right en anglais) et des personnages controversés tel que Steve Bannon, le fameux conseiller stratégique à la Maison Blanche et ami proche de Trump et d’Israël. Ces groupes, ont fait de la lutte contre les immigrés, de la haine des musulmans, du slogan ‘’America First’’, leur fonds de commerce politique. Ce sont ces mêmes groupes qui fournissent à Trump un socle électoral solide qu’il ne peut décevoir ou perdre sous peine d’hypothéquer ses chances de réélection en 2020.

L’Amérique fait ce qu’elle dit. En 2003, Bush menace Saddam Hossein et exécute ses menaces contre l’Irak aux prix d’un bouleversement géopolitique total de la région et de la destruction d’une Nation arabe. Avant lui, J.F. Kennedy menace d’envoyer Fidel Castro en enfer et sitôt installé, en octobre 1962, des missiles Jupiter en Turquie et en Italie, contrant par la même occasion la menace des missiles nucléaires soviétiques pointés en direction des États-Unis depuis l'île de Cuba. Que dire de l’Afghanistan (2001) et du Viêt Nam (1955-75) ?

Le président Nord-Coréen, Kim Jong-Un, est sans doute un dirigeant dangereux pour son peuple et pour la paix internationale. Mais, c’est l’un des rares chefs d’Etats qui a saisi toute la philosophie et le cynisme de l’art de la guerre de l’Amérique ; art de destruction massive mis d’abord au service de ses intérêts stratégiques. Kim Jong-Un agit en conséquence. Il se dit prêt à répliquer à toute menace contre son pays, la Corée du Nord, et, sans tarder, il teste des missiles pour donner à sa menace de la crédibilité et l’inscrire dans une perspective militaire et géostratégique. Il dénonce l’« attitude mentalement dérangée » du  président des Etats-Unis et, en même temps,  renforce les capacités de la force de dissuasion et de frappe de son pays. Il agit d'abord et passe outre les appels et les menaces du Conseil de sécurité qu’il qualifie d’« outil diabolique » réunissant des pays « corrompus » (…) « obéissant aux ordres des Etats-Unis » (Le Monde du 15-9-2017).

Les joutes verbales, et les déclarations a-diplomatiques des deux présidents, Trump et Kim Jong-Un, les font passer aux yeux des candides pour deux « fous » et deux « dérangés » mentalement. Seulement, leur « faire » est palpable et leur agir est implacable. Alors que les critiques de leurs adversaires sont risibles et leur capacité d’agir et de se projeter est élémentaire.

En effet, la décision du président Trump, ce « fauteur de désordre mondial » (Alain Juppé), est dénoncée dans la plupart des chancelleries et les instances européennes communes. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont signifié au premier ministre israélien, qu’ils ont reçu Lundi 11 décembre à Bruxelles pour un entretien, leur désapprobation et leur crainte d’une escalade dangereuse qui embraserait toute la région. Seulement, la réunion des ministres de l’UE n’a permis d’arriver à aucun accord tangible sur les questions de fond (Statut de Jérusalem, deux Etats, respects des résolutions, relance du processus de paix…), à cause des divisions internes et des positions pro-israéliennes et américaines de certains pays de l’UE en l’occurrence, la Tchéquie, la Hongrie, la Grèce et la Lituanie. Ces pays ont réussi (droit au véto) à écarter toute sanctions contre les USA et Israël.

Du côté de la Ligue arabe ?

La Maison brûle, Al-Qods est sérieusement menacé, mais tout va très bien Madame la Marquise.

La décision contestable du président Trump a soulevé chez les peuples arabes et musulmans une profonde indignation et de la colère. Ils ont signifié en masse, à Rabat, à Karachi, à Islamabad, à Bayrût, à Gaza, leur rejet de ce qu’ils considèrent comme une atteinte inqualifiable portée contre un lieu religieux sacré. Quelques chefs d’Etats arabes se sont pressés de faire part de leur inquiétude et leur rejet d’une telle décision qui fait reculer le processus de paix israélo-palestinien de plusieurs décennies et mis le feu aux poudres. C’est le cas du président R.T. Erdogan, qui affirme que la Turquie « n'abandonnera pas Jérusalem à la merci d'un État terroriste qui tue des enfants ». Le Roi du Maroc, en sa qualité de président du Comité Al-Qods, a fait part, dans un message adressé le 6 décembre au chef de l'Etat américain, de sa « profonde préoccupation personnelle », tout en lui rappelant des réalités historiques intangibles, que « De par ses spécificités religieuses uniques, son identité historique séculaire et sa grande symbolique politique, la ville d’Al-Qods doit demeurer une terre de cohabitation et un symbole de coexistence et de tolérance pour tous ».

Toutefois, « Chassez le naturel il revient au galop » (Horace : les Épîtres). Réunis en urgence au Caire, Samedi 9 décembre, avec pour ordre du jour la question de Jérusalem, les 21 ministres des affaires étrangères des pays arabes, ont versé comme à l’accoutumée dans le registre de la palabre et les discours creux. Ils ont dit privilégier « une réponse graduelle » et se sont contentés de « rabâcher » des vieilles idées : l’importance de Jérusalem pour les arabes et les musulmans, la création d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale, demander à Washington de reconsidérer sa position de reconnaître la ville sainte, Al-Qods, comme capitale d’Israël.

Ils ont de fait écarté les recommandations les plus sérieuses pour répondre à l’outrage que subit la Ville Sainte et faire échec à Washington. C’est ainsi que la proposition du ministre libanais des affaires étrangères, Gebran Bassil, qui consiste à prendre « des mesures de rétorsion diplomatiques, politiques, économiques et financières contre les Etats-Unis » est passée à la trappe. Celle du ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, appelant la communauté internationale à reconnaître l’Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale, a reçu l’appui du secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, mais elle n’a donné lieu à aucune résolution ferme. La Ligue arabe, a tenu surtout à rappeler les termes du plan de paix arabe de 2002, qui « prévoit la reconnaissance d’Israël en échange de la restitution des territoires occupés depuis 1967, dont la partie orientale de Jérusalem reste le cadre de référence des pays arabes ».

Somme toute, la palabre et les stratégies de défaussement ont pris le pas sur l’action et la résolution ferme. Aucune proposition sérieuse n’a pu faire consensus. Certains pays de la Ligue ont « refusé d’envisager un boycottage des produits américains ou la remise en cause de leurs liens avec Washington ». La résolution finale de la réunion du Caire, reflète ces divergences et ces postures en parfaite contradiction avec les discours officiels et surtout avec le sentiment populaire arabe et musulman. S’agissant de la question centrale du statut de Jérusalem, la Ligue Arabe se contente d’une condamnation verbale préférant s’en remettre aux bons offices du Conseil de sécurité des Nations Unies.

La Ligue Arabe (fondée en 1945) n’a donc pas failli à son habitude. Elle est restée fidèle à sa réputation : une instance inaudible, résignée, à l’image d’un monde arabe divisé et en crise.

Elle s’est réunie, elle a constaté la gravité de la décision du président Trump sur l’avenir de la Palestine et le statut d’Al-Qods, et puis, elle a renvoyé la balle encore chaude dans le camp de l’ONU. Quant aux Palestiniens, la Palestine, Al-Qods, la Nation Arabe, la dignité musulmane, la civilisation et l’Histoire Arabes, alea jacta est (le sort en est jeté).

Mohammed Mraizika

Docteur en Histoire (EHESS-Paris)

Diplômé de Philosophie Morale et Politique (Sorbonne IV)

Consultant en Ingénierie Culturelle