Le Hirak s'est éteint mais a provoqué une prise de conscience durable, ''les Algériens pourraient même reprendre le chemin de la protestation''

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Un Algérien porte une pancarte sur laquelle on peut lire "22 février 2019, place de la révolution du sourire", lors d'une manifestation marquant le deuxième anniversaire du mouvement de protestation "Hirak" à Alger, la capitale, le 22 février 2021. Après avoir réussi à évincer le président Abdelaziz Bouteflika en 2019, le Hirak s'est rapidement estompé. Malgré cela, les experts estiment qu'il a suscité une nouvelle prise de conscience politique. (Photo par RYAD KRAMDI / AFP)

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Par RYAD KRAMDI (AFP)

Le mouvement pro-démocratie Hirak en Algérie, parvenu à chasser du pouvoir le président Bouteflika en 2019, s'est éteint, mais a provoqué une profonde prise de conscience aux répercussions perceptibles pendant la campagne pour la présidentielle du 7 septembre, selon des experts.

Le rejet d'un cinquième mandat d'Abdelaziz Bouteflika avait donné naissance le 22 février 2019 à un soulèvement qui, au gré de manifestations de plus en plus massives, avait exigé "la fin du système".

En avril 2019, M. Bouteflika jetait l'éponge sous la pression de la rue et de la puissante armée, mais en décembre suivant, Abdelmadjid Tebboune était élu président dans un scrutin marqué par une faible participation et un boycott généralisé.

Progressivement, l'interdiction des rassemblements pendant l'épidémie de Covid-19 et l'incarcération des figures de proue du Hirak ont étouffé la contestation à partir de mars 2020.

En février dernier, l'ONG Amnesty International déplorait, au cinquième anniversaire du Hirak, une "répression continue, sans relâche" des "droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique" et d'association, réclamant la libération de dizaines de détenus politiques.

L'ONG appelait aussi à "mettre fin au harcèlement des opposants et voix critiques" et à "réformer" plusieurs lois -- sur les fausses informations ou sur le terrorisme -- "aux dispositions vagues et trop larges utilisées pour réprimer les droits humains".

C'est dans ce climat que M. Tebboune a annoncé le 11 juillet sa candidature à un deuxième mandat pour un scrutin qui paraît joué d'avance.

Appuyé notamment par le mouvement islamiste El-Bina et l'ancien parti unique FLN, il fera face à seulement deux candidats, sans beaucoup d'envergure: Abdelaali Hassani, chef du principal parti islamiste (Mouvement de la société pour la paix, MSP) et Youcef Ouachiche, à la tête du Front des forces socialistes (FFS, opposition), parti qui boycottait les scrutins depuis 1999.

Zoubida Assoul, avocate de détenus du Hirak, a tenté sa chance comme une douzaine d'autres postulants avant d'être recalée. A ses yeux, le "boycott n'apporte rien". Pour elle, "l'unique moyen d'obtenir un changement est le combat politique et les élections".

Pendant le Hirak, "le peuple a accompli son devoir en manifestant pour exprimer ses aspirations au changement, mais la classe politique, les élites médiatiques et universitaires n'ont pas assumé leur responsabilité par une canalisation (des demandes) dans des projets politiques", dit-elle. Aucune personnalité connue n'a en effet proposé d'initiatives durant les plus de 100 marches du Hirak, note l'avocate.

"Répliques" 

Résultat, estime le sociologue Nacer Djabi, le Hirak "n'a pas atteint ses objectifs" alors qu'il s'agissait du "premier mouvement collectif à caractère pacifique et avec des revendications claires", exigeant un profond changement du système politique en vigueur depuis l'indépendance en 1962 ainsi que des médias et une justice libres.

De leur côté, les autorités ont "misé sur les élections pour sortir de la crise" alors que "l'expérience a montré, depuis l'instauration du multipartisme en 1990, que les scrutins ne règlent pas les problèmes", souligne M. Djabi. Car le régime gère les élections en "envoyant le message qu'elles ne sont pas un outil de changement" avec un poste de président qui "n'est pas mis en compétition".

Néanmoins, "le Hirak a provoqué une violente secousse au sein du régime dont les répliques perdurent à ce jour", estime l'avocat Abdellah Haboul, expliquant que "l'une des principales répercussions est qu'exercer une haute fonction en Algérie ne confère plus une immunité totale".

Ces cinq dernières années, des dizaines de dirigeants ont ainsi été condamnés pour corruption à de lourdes peines dont les deux ex-Premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, des membres de la famille de M. Bouteflika (décédé en 2021), d'anciens ministres et des hommes d'affaires.

Et même si environ 250 militants sont en attente de jugement ou purgent une peine de prison, le Hirak a "changé la mentalité des citoyens qui ont davantage d'audace", assure M. Djabi, convaincu que l'Algérie dispose d'"une génération de femmes et d'hommes qui ont pris part à la vie politique pour la première fois et acquis une expérience de leur participation" aux manifestations.

"Les élections ne changeront rien à la réalité avec un résultat connu d'avance et un pouvoir cherchant seulement à gagner le pari de la participation" mais le Hirak continue d'avoir un impact à travers "une prise de conscience chez les jeunes", estime le sociologue.

Les Algériens pourraient même, selon lui, reprendre le chemin de la protestation car "le Hirak est une idée et une idée ne meurt pas". 

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