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Le miracle chinois à l’épreuve de la démographie et des Etats Unis d’Amérique - Par Abdelghani AOUIFIA
Les institutions de Bretton Woods estiment même que la Chine sera le moteur de la croissance mondiale en 2023. En même temps, le pays a vu en 2022sa population diminuer, signalant l'ampleur du défi démographique pesant sur la seconde économie mondiale soumise plus à une guerre économique américaine sans merci.
Par Abdelghani AOUIFIA (Correspondant permanent de la MAP à Pékin)
Beijing - La Chine ne cesse d’impressionner. Après avoir tourné la page du séisme sanitaire du Covid-19 au début de l’année 2023, la croissance économique du pays a renoué avec une trajectoire haussière.
Cependant, le rythme de la reprise laisse planer des doutes quant à la durabilité du « miracle chinois », ou l’ascension économique fulgurante du pays durant les trois dernières décennies.
L’année 2022 a été particulièrement difficile pour le pays. Les fermetures des hubs économiques et industriels dans le cadre de la politique dite de zéro Covid-19 ont freiné la croissance de l’économie. Le PIB s’est installé à 3%, un score modeste par rapport à la période allant de 1979 à 2010, quand « le miracle chinois » s’opérait. Durant cette période, le PIB augmentait d’environ 10% chaque année. En 2021, lorsque la pandémie battait son plein dans le monde, la Chine a réalisé une croissance de 8%.
Encouragés par les signes de forte reprise durant les deux premiers mois de 2023, les dirigeants chinois se sont fixés l’objectif de réaliser une croissance de 5% sur toute l’année. Une cible jugée trop ambitieuse par les sceptiques.
Les institutions financières internationales, dont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, semblent être emportées par l’optimisme en provenance de Chine. Selon elles, le PIB du géant asiatique devrait atteindre 5,1% et 5,2% respectivement cette année. Les institutions de Bretton Woods estiment même que la Chine sera le moteur de la croissance mondiale en 2023. Encore plus, des banques internationales d’investissement portent les projections à plus de 6%.
Selon des chiffres rendus publics récemment par le bureau national chinois des statistiques, le PIB du pays s’est installé à 4,5% durant le premier trimestre de l’année en cours.
Cependant, les perspectives de croissance semblent fragilisées par des défis majeurs. Ceux-ci sont liés en particulier à la situation géostratégique mondiale et à l’incertitude qui plane sur le monde. Les autorités du pays au plus haut niveau en sont conscientes.
Les analystes estiment que l’expansion chinoise demeure en grande partie tributaire de la réussite du processus de modernisation, érigée en priorité absolue par le parti communiste au pouvoir. Au cœur de ce processus, les percées que le pays ne cesse de réaliser dans les nouvelles niches économiques, notamment les nouvelles technologies et l’économie numérique, sont d’une importance vitale.
Sur ce front, la Chine livre une bataille sans merci avec les Etats-Unis, la première puissance économique mondiale. En toile de fond se trouve le contrôle de l’industrie des puces électroniques, ces composantes devenues incontournables dans tout ce qui fait l’économie de demain : de l’automobile aux télécommunications, en passant par les appareils électroménagers et autres.
La question de l'approvisionnement en puces électroniques pose un réel défi pour la Chine, qui souhaite accélérer le développement des industries à haute technologie, notent les analystes, qui prévoient une escalade de la guerre avec les Etats-Unis sur cette question.
La semaine dernière, la Chine a rehaussé le ton. « Il n’est dans l’intérêt d’aucune partie de rompre les chaînes d'approvisionnement et perturber le marché », a dit Mao Ning, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
Le pays, qui demeure le plus grand marché de puces électroniques au monde, s’est dit déterminé à défendre ses « droits et intérêts légitimes ».
Les États-Unis et la Chine se disputent le leadership mondial de cette industrie. En automne 2022, Washington a annoncé l’instauration de nouveaux contrôles à l'exportation visant à limiter la capacité de la Chine à acheter et fabriquer des puces dont le monde entier connaît actuellement une forte pénurie. La décision a provoqué la colère de Beijing.
La démographie est une autre source de préoccupation pour la Chine. En 2022, le pays a vu sa population diminuer, signalant l'ampleur du défi démographique pesant sur la seconde économie mondiale.
Selon les chiffres officiels, la population du pays, estimée officiellement à plus de 1,4 milliards d'habitants, a chuté pour la première fois depuis les années 1960.
La nation la plus peuplée du monde a perdu 850.000 habitants l'an dernier, du fait d'une natalité en berne, d’après les chiffres du Bureau national des statistiques (BNS). Au total, 9,56 millions de Chinois sont venus au monde, un total insuffisant pour compenser les 10,41 millions de décès enregistrés dans une société rattrapée par le vieillissement, où les nouvelles générations sont réticentes à avoir des enfants. Le taux de fécondité a chuté à 1,15 enfant par femme en 2021.
La situation est tellement préoccupante qu’elle a fait l’objet d’un examen, la semaine dernière, au sein de la Commission centrale des affaires financières et économiques (CCFEA). Il s’agit d’un organe stratégique, placé sous la présidence de Xi Jinping, président de la république et secrétaire général du Comité central du Parti communiste.
Le message était clair : accélérer la modernisation du système industriel de la Chine tout en promouvant un développement humain de haute qualité en phase avec la nouvelle réalité, celle du recul démographique.
Des orientations ont été données pour l’éclosion d’un système industriel moderne holistique, avancé et sécurisé en mettant à profit les opportunités offertes par la nouvelle révolution technologique, notamment l'intelligence artificielle.
Sur le plan démographique, les dirigeants du pays préconisent le perfectionnement de la stratégie nationale de développement humain dans la nouvelle ère tout en s'adaptant aux nouvelles réalités par le biais du maintien d’un développement démographique équilibré du pays à long terme.
Les analystes argumentent que la Chine navigue dans un environnement national et international délicat qui devrait tester la capacité du pays à éviter tout facteur de fragilisation à court et moyen termes et revenir, par la même occasion, au rythme de croissance des années du « miracle ».