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Le souffle de Mama Africa : sauver la maison de Miriam Makeba pour réveiller la mémoire d’un continent – Par Hatim Betioui

Persécutée par le régime d’apartheid sud-africain, Makeba trouva refuge en Guinée grâce au président Ahmed Sékou Touré. À Dalaba, elle découvrit bien plus qu’un toit : un sanctuaire de paix, de guérison et de création
Sur une colline paisible de Dalaba, en Guinée, la modeste maison de Miriam Makeba, en ruine mais toujours debout, témoigne du destin d’une femme exceptionnelle. Dans cette chronique, Hatim Betioui s’associe à une initiative qui veut la transformer en musée vivant, pour que l’écho de sa voix continue d’inspirer l’Afrique et le monde.
Une maison, une histoire, une voix
Sur une colline tranquille à Dalaba, ville montagneuse du centre de la Guinée, à quelque 280 km de Conakry, se dresse encore une vieille maison en terre battue. Presque effondrée, elle n’a pourtant pas perdu sa voix. Pas celle du vent ni des oiseaux, mais celle d’une femme africaine qui a chanté la liberté et vécu l’exil comme une terre natale : Miriam Makeba, surnommée Mama Africa.
C’est grâce à Oumar Teli Diallo, un habitant de Dalaba, que la maison tient encore debout. Sans mandat ni aide financière, il veille sur ce lieu par conviction
Ce n’est pas une nouvelle chanson qui remet aujourd’hui Makeba à l’honneur, mais une initiative pour restaurer sa maison oubliée et en faire un musée de mémoire. Construit pour elle dans les années 1970, ce foyer circulaire en argile fut le témoin d’un long exil, celui d’une voix qui a changé le visage de l’Afrique.
Persécutée par le régime d’apartheid sud-africain, Makeba trouva refuge en Guinée grâce au président Ahmed Sékou Touré. À Dalaba, elle découvrit bien plus qu’un toit : un sanctuaire de paix, de guérison et de création. Ce lieu vit également son histoire d’amour avec Stokely Carmichael, leader des Black Panthers, jusqu’à leur séparation. Malgré la perte de sa fille et l’oubli progressif, la maison resta le témoin silencieux d’une vie d’engagement.
Mémoire d’un exil, flamme d’un combat
L’exil de Makeba débute à la fin des années 1950, après sa participation au film Come Back, Africa (1959), dénonçant la condition des Noirs en Afrique du Sud. Bannie de son pays après sa projection à la Mostra de Venise, elle entame un exil de 31 ans.
Aujourd’hui, c’est grâce à Oumar Teli Diallo, un habitant de Dalaba, que la maison tient encore debout. Sans mandat ni aide financière, il veille sur ce lieu par conviction : il ne doit pas sombrer dans l’oubli. Malgré les tentatives de dégradation, certains objets de Makeba y sont encore préservés : livres, disques, meubles, et même un tableau signé par Sékou Touré.
Récemment, sa petite-fille, Zenzi Makeba Lee, est venue visiter la maison avec une délégation sud-africaine. Cette visite a ravivé l’espoir : le ministère guinéen du Tourisme s’est engagé à transformer la demeure en musée vivant, rendant hommage à une vie hors du commun. « Nous voulons que ce lieu continue à parler aux visiteurs de cette femme qui croyait que l’art pouvait changer le monde », a déclaré Zenzi.
Makeba, l’icône indomptable
Première Africaine à recevoir un Grammy Award, Makeba n’était pas seulement une chanteuse. Elle fut une voix puissante qui résonna jusque dans les tribunes des Nations unies, défendant inlassablement la cause des peuples opprimés. Elle a chanté dans plusieurs langues africaines, représenté son continent sur les grandes scènes internationales, et n’a jamais cessé de lutter contre l’injustice.
Le 9 novembre 2008, elle meurt à 76 ans, en Italie, sur scène, alors qu’elle chante pour soutenir le journaliste nigérian emprisonné Ken Saro-Wiwa. Elle est morte comme elle a vécu en chantant. Pour la liberté, comme si son art était le dernier message à laisser au monde.
Restaurer sa maison, c’est bien plus qu’un geste patrimonial. C’est un acte de justice historique et morale. C’est reconnaître que l’Afrique, qui a porté des figures comme Makeba, mérite de raconter son récit par ses héros. À l’heure des oublis organisés et des mémoires éclipsées, nous avons plus que jamais besoin de lieux qui nous rappellent que le combat n’est pas toujours armé, et que l’art peut être une balle douce qui change le monde.
Et si un jour, les murs de cette maison vibrent à nouveau au son de ses chansons, peut-être entendrons-nous, dans le murmure du vent, sa voix nous dire :
« Afrique, ma terre… Ne m’oublie pas. »