International
L’apprentissage du mépris instrument de la banalisation du mal
Une soldate israélienne posant souriante en 2010 0 côté de prisonniers palestiniens aux yeux bandés et aux mains liées. La photo a été ensuite été diffusée par ses soins sur Facebook
Dans un livre remarquable paru en 2020 (réédité et mis à jour en 2023), sous le titre L’ETAT D’ISRAËL CONTRE LES JUIFS, Sylvain Cypel, ancien rédacteur en chef du journal français Le Monde, s’étonne de la capacité de cet état à imposer sa politique identitaire, à multiplier les lois antidémocratiques, à faire taire toutes les critiques et à promouvoir un modèle où la « lutte au terrorisme », la xénophobie et l’islamophobie assumées jouissent d’un soutien massif au sein de l’ethnie majoritaire [la population juive]. Il se demande également pourquoi de Trump à l’indien Modi, du Hongrois Orban au Brésilien Bolsanaro, ces dirigeants dits illibéraux dont certains cultivent leurs franges antisémites plébiscitent Israël.
Pour répondre à ces questionnements le livre commence par décrire des scènes de la vie quotidienne en Cisjordanie dans les années 2018/2019 (solidement documentées) telles que: Le « policier qui tire sur un palestinien pour s’amuser » (15/10/18), l’armée qui jette des bombes lacrymogènes dans une salle de classe de Hebron (6/12/18), le handicapé abattu d’une balle dans la nuque à faible distance (13/12/18), le Palestinien obligé de raser sa maison et celle de sa fille de ces propres mains à Jérusalem-est (7/3/19)…etc.
L’auteur s’attarde ensuite sur une scène observée au check point qui contrôle l’accès à Jérusalem en provenance de Bethleem emprunté quotidiennement par des travailleurs palestiniens. Ceux ci attendent des heures avant qu’un clignotant vert ne signale l’ouverture d’un passage. A peine ont-ils le temps de s’y précipiter que celui-ci se referme et que l’ouverture d’un autre ne soit annoncée par un autre clignotant. Et la scène se répète plusieurs fois au grand bonheur des jeunes soldates en charge du check point. Cette manœuvre, nous apprend l’auteur, fait partie des exercices par lesquels l’armée enseigne à ses jeunes recrues « l’apprentissage du mépris » [du Palestinien, bien entendu].
Un autre exercice consiste à faire irruption dans une maison palestinienne au milieu de la nuit, comme à la recherche d’un suspect, de la mettre sens dessus-dessous, de brutaliser (par le verbe et les actes) ses occupants avant de partir vers la suivante sans arrêter personne (d’où le nom de cet exercice : maatser démé en hébreu, arrestation bidon). Selon le témoignage de l’activiste de l’ONG « Beaking the silence » (1) Yehuda Shaul , les « bleus » [jeunes conscrits], vivent mal leurs premières expériences mais, progressivement elles s'y font .
Quand ça devient une routine, "il faut une personnalité exceptionnellement indépendante pour préserver son quant à soi... ça prend un peu de temps d’instruire les recrues au pire. Au début, pour un sniper, tirer sur un gosse de 12 ans, ça n'est pas évident. Pareil pour le soldat qu'on fait entrer dans une maison qu'on va saccager. Quand tu veux pisser tu vas dehors. A la vingtième fois, t'es habitué, tu pisses sur le tapis. La dimension de l'habitude est essentielle. Rares ceux qui en sortent indemnes. Des générations d'enfants palestiniens ont grandi dans cette peur avec les traumatismes qu'elle laisse".
Cette cruauté apparemment gratuite et indéchiffrable pour ceux qui la subissent est en fait planifiée et organisée pour inculquer aux jeunes juifs le mépris du peuple soumis (2). "La déshumanisation du Palestinien devient le seul moyen de préserver l'estime de soi" nous dit Cypel qui nous apprend que "cette cruauté réfléchie, qui participe d'une incohérence très cohérente, a été étudiée par le psychologue Martin Seligman qui a collaboré avec la CIA pour élaborer sa théorie de "l'impuissance acquise" (voir Wikipédia) dont les applications ont été mises en œuvre par l'armée US en Iraq et dans les "centres de détention" établis dans de nombreux pays amis.
Klu Klux Klan Juif
Après les forfaits commis par l'armée en Cisjordanie, Cypel dresse un sombre tableau des abus et crimes commis par les colons à l'encontre des Palestiniens ruraux dans une impunité quasi totale. Cela va de l'arrachage d’oliviers, d’incendies de récolte et autres déprédations aux crimes de sang. Cypel cite le cas de Aicha Al Rabi, mère de sept enfants, lapidée à mort par cinq jeunes élèves de la Yeshivah (école talmudique) d’une colonie juive, Rehelim, en janvier 2019. Il rapporte également le cas de la famille Saad Dawabsheh, brûlée vive en 2015 dans le village de Douma qui a fait dire à l'avocat israélien Michael Sfard : Nous assistons à l'épanouissement d'un Ku Klux Klan juif autorisé par le procureur de l'Etat Avishai Mandelbit qui valide le droit de saisir la terre de Moussa pour la donner à Moché.
Le plus remarquable est la participation aux déprédations (en plus de militaires gradés et d'universitaires) de rabbins qui inculquent à leurs ouailles que chaque arpent de la terre de l' Israël biblique est sanctifié et que s'en emparer est un commandement divin, les autorisant ainsi à perpétrer leurs crimes en toute bonne conscience. Crimes qui ne font que très rarement l'objet d'enquêtes "par manque d'intérêt public". « Pourquoi enquêter si l'opinion s'en fiche ».
Le lecteur remarquera que dans cette chronique nous n’avons fait qu’effleurer certains des questionnements soulevés par Cypel dans son livre. Ce qui nous oblige à y revenir à d’autres occasions.
(1) « Briser le silence ». Organisation d’anciens conscrits repentis qui dénoncent les abus qu’ils ont commis sur ordre de leurs supérieurs ou dont ils ont été témoins.
(2) Et accessoirement elle vise à rendre à ce dernier la vie insupportable sur sa terre, le poussant ainsi à s'exiler.