Que sait-on du Hamas ? Première partie : La genèse - Par Mohamed Chraïbi

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Le Hamas qui avait jusqu’en 2006 boycotté le processus électoral (prévu dans les accords d’Oslo), et notamment l’élection de Mahmoud Abbas comme président de l'Autorité Palestinienne en 2005, prit part aux élections législatives de janvier et les remporte. Ismail Hénié et ses partisans jubilent (photo)

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Tout le monde parle de Hamas, mais qui est Hamas ? L’article ci après tente de répondre à cette question en faisant de larges emprunts à un article récent de the Guardian (1). 

Genèse

Le nom du groupe, qui signifie « zèle », est un acronyme pour Harakat al-Muqawamah al-Islamiyyah, (Mouvement de la Résistance Islamique) a été formé en 1987 par des membres de la branche palestinienne des Frères musulmans dans le contexte de la première intifada, le soulèvement populaire palestinien qui s'est enflammé lorsqu'un camion israélien a tué quatre travailleurs palestiniens dans le camp de réfugiés de Jabalia à Gaza. Historiquement, les islamistes palestiniens avaient tendance au quiétisme croyant que la société palestinienne devait être islamisée pour vaincre Israël. « Lorsque l'oppression augmente les gens commencent à chercher Dieu » avait déclaré le cheikh Yassin, fondateur du mouvement, au défunt journaliste du Guardian Ian Black en 1998. Mais au fur et à mesure que l’occupation israélienne des territoires conquis en 1967 se durcissait, la lutte armée devenait LA voie vers la libération.

Les dirigeants fondateurs du Hamas sont, pour la plupart, des réfugiés nés dans ce qui est aujourd'hui Israël et forcés de fuir vers la bande de Gaza lors de la Nakba, le déplacement d'environ 700 000 Palestiniens pendant la guerre de 1948. Cheikh Ahmad Yassin, le chef spirituel du groupe, est né en 1936 dans le sud de l'actuel Israël. Hémiplégique en chaise roulante et parlant doucement, Yassin, vêtu d’une sorte de linceul blanc, incarnait la souffrance de son peuple et son destin tragique. Un missile tiré d’un hélicoptère israélien en 2004, mit fin à ses jours alors qu'il quittait la mosquée après la prière du Sobh.

La question de savoir si le radicalisme islamique de la charte fondatrice représente l'idéologie de l'organisation, a été débattue depuis la création du groupe. Certains experts voient la rhétorique religieuse du Hamas principalement comme un faire valoir au service de ses objectifs nationalistes : la libération de la Palestine, sa préoccupation centrale de sa naissance à nos jours.

Au plan idéologique, Hamas pratique deux modes rhétoriques : celui du djihad sans compromis et celui de la résistance anticoloniale. Au plan opérationnel, le Hamas a toujours marché sur deux jambes : la diplomatie et la violence armée, le but à atteindre demeurant inchangé, la libération de la Palestine historique. En cela, on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec le Front de Libération National Algérien.

Des accords d’Oslo au retrait israélien de la Bande de Gaza

En 1993, lorsque l'OLP, dirigée par Yasser Arafat, a reconnu l'État d'Israël et renoncé à la violence avec la signature du premier accord d'Oslo, le Hamas a clairement gardé le cap de la résistance armée appuyé en cela par l'intellectuel palestinien Edward Said (anti Hamas) qui a qualifié les accords d'Oslo de "reddition palestinienne, un Versailles palestinien", a écrit  dans un essai de 1993 qu' « Arafat a renoncé à la lutte armée contre Israël et aux droits internationalement reconnus des Palestiniens sur la Cisjordanie et Gaza, tandis que Israël n'a rien concédé.»

Tout au long des années 1990, le Hamas, opposé catégoriquement à Oslo, a intensifié sa lutte contre Israël. Au début, ses attaques revêtaient principalement les formes d’attentats à l’arme légère, de bombes artisanales et de tentatives de kidnapping de soldats israéliens. Cela a changé le 6 avril 1994, lorsqu'un militant du Hamas s'est fait exploser à un arrêt de bus à Afula, dans le nord d'Israël, tuant huit Israéliens, en réponse au massacre de 29 fidèles (et plus de 100 blessés) à la mosquée Ibrahimi (Al haram es sharif) de Hebron, mené deux mois plus tôt en plein ramadan, par un extrémiste israélien dans l'espoir de faire dérailler les pourparlers de paix entre le gouvernement israélien et l'OLP. Par cet attentat suicide, le Hamas signe clairement le changement de stratégie militaire du Mouvement. Les dirigeants du Hamas étant arrivés à la conclusion que la mort de civils était la stratégie de nature à éroder le sentiment de sécurité des Israéliens et, in fine, leur détermination. 

Après l’échec des pourparlers de Camp David en 2000 et l'éruption de la deuxième intifada, le Hamas est apparu comme un véritable challenger de l'OLP et de l'Autorité palestinienne (AP) récemment formée. Plus Israël poursuivait la construction de colonies, et renforçait le dispositif d’occupation militaire, la multiplication de points de contrôle et de murs, plus le Fatah et l'AP semblaient avoir capitulé, et plus la position intransigeante du Hamas gagnait en popularité l'encourageant à multiplier les attentats suicides tout au long des années 2000.  L'autre évolution notable dans les moyens de lutte du Hamas intervient en octobre 2001 (peut être en échos à l’attentat d’Al Qaeda du 11 septembre) lorsque celui ci a tiré ses premières roquettes depuis la bande de Gaza.

Le retrait unilatéral (sans concertation avec l'Autorité Palestinienne pour dénier à celle-ci toute prétention à représenter tous les Palestiniens) en août 2005, de l’armée d’ Israël de la bande de Gaza et le démantèlement de la colonie de Nev Dekalim (plus de 8 000 colons expulsés manu militari) a été considéré par les dirigeants du Hamas comme preuve que sa stratégie de violence ascendante était payante. « Aujourd'hui, vous quittez Gaza humiliés », avait déclaré Mohammed Deif, alors commandant des Brigades Qassam (branche armée du shamas) dans un message filmé « Le Hamas ne désarmera pas et poursuivra la lutte contre Israël jusqu'à ce qu'elle soit effacée de la carte. »

La victoire de Hamas aux élections de 2006 et ses conséquences 

Une autre conséquence de cette victoire présumée de Hamas a été la remise en avant de son activisme politique. Dirigé  à l'époque par Khaled Meshaal, le Hamas signe la déclaration du Caire de 2005, qui affirme l'OLP comme "seul représentant légitime du peuple palestinien" et appelle à l'établissement de l'État palestinien. En conséquence de quoi, le Hamas qui avait jusque là boycotté le processus électoral (prévu dans les accords d’Oslo), et notamment l’élection de Mahmoud Abbas comme président de l'Autorité Palestinienne en 2005, prit part aux élections législatives de janvier 2006, sur une plate-forme de lutte contre la corruption et de règne de l’ordre et de la loi (autant d’allusions aux échecs présumés du Fatah). Au grand dam de l'Autorité Palestinienne, le Hamas en sortit victorieux avec 74 élus (dont huit détenus dans les prisons d’Israël) sur les 132 que compte le Conseil Législatif Palestinien (45 pour Fatah). Le premier gouvernement légitime de l’AP avec Ismaël Hanieh comme premier ministre et les postes clés aux mains de dirigeants de Hamas fut investi dans la foulée en Janvier 2006.

Visiblement, la victoire inattendue du Hamas (y compris pour Hamas lui-même selon J.P. Filiu) (2) a pris à contrepied les prévisions des acteurs des accords d’Oslo (Fatah, le clan de la paix en Israël, aux USA, UE) fondées sur la victoire du Fatah aux élections et partant une participation minoritaire du Hamas au gouvernement qui devait en découler et surtout la nature de l’Etat qui devait parachever le processus enclenché par les accords d’Oslo. Mais la victoire du Hamas fit surgir une autre possibilité : celle d’une Autorité palestinienne dirigée par le Hamas qui utiliserait son mandat populaire pour intensifier la lutte armée à laquelle il n’avait jamais formellement et sincèrement renoncé. A l’inverse d’une Autorité Palestinienne dominée par le Fatah (avec le Hamas comme partenaire junior) agissant dans la continuité de la situation pré-électorale qui eût conduit au maintien du statu quo ante. 

Le discours d’investiture de Hanieh à la fois rassurant sur la poursuite du dialogue ("Notre gouvernement sera prêt à dialoguer avec le Quartet international des moyens de mettre fin au conflit et d'instaurer le calme dans la région) (3) et ambigu quant aux résultats de celui ci ( L'invitation au dialogue ne veut pas dire que nous sommes d'accord avec toutes ses décisions) n’emporta pas la confiance du Fatah qui refusa de rejoindre le gouvernement dirigé par le Hamas. Décision prise en concertation avec Israël, les États Unis et l’Europe, comme le montrent les actions entreprises par chacun d’eux: Israël a resserré son blocus de la bande de Gaza et Les États-Unis et l'Union européenne ont rapidement coupé leur aide. Dès l'automne 2006, des groupes armés du Fatah et du Hamas s’affrontaient au moyen d’enlèvements suivis de tortures et  d’assassinats, lors même que les pourparlers entre Abbas (président de l’AP) et Meshaal (leader de Hamas) se poursuivaient. Le 14 juin 2007, après cinq jours de combats féroces à Gaza, le Hamas a expulsé l'AP du territoire  et, soudainement, s'est retrouvé en charge de la bande de Gaza alors que Cheikh Yassin dit avoir rejeté une offre israélienne d’administrer celle ci après le retrait d’Israël en 2005 refusant de jouer ainsi les supplétifs de l’occupant.

Demain : Deuxième partie : Le Hamas en charge de Gaza

(1)What is the real Hamas. Joshua Leifer. 21/3/24. Avertissement au lecteur: L’enchevêtrement des emprunts et de mes apports  personnels fait qu’il n’a pas été toujours possible de distinguer les uns des autres par des polices de caractères différentes et  le recours au « ». 

(2) dans son livre « Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné ». Ed. Seuil pp 299-300. Filiu affirme que Hanieh qui ne s'attendait pas à remporter les élections avait proposé à Abbas la formation d'un gouvernement d’union nationale que celui-ci a refusé

(3) le Monde 26/1/2006.