L’Oncle Trump et la recomposition du monde : des nations s’élèvent, d’autres sont humiliées - Par Talaâ Saoud  al-Atlassi  

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L'Oncle Trump après s'être adressé à une session conjointe du Congrès au Capitole américain à Washington, DC, le 4 mars 2025. (Photo ALLISON ROBBERT / AFP)

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Le trumpisme s’impose comme un facteur clé des bouleversements géopolitiques mondiales. Donald Trump, en réactivant son Make America Great Again, affirme une politique offensive, dictée par les intérêts américains et assumée avec une communication percutante. Son approche pragmatique et parfois brutale redéfinit les rapports de force, inquiète l’Europe, et force des repositionnements stratégiques, y compris au Maghreb. Talaa Saoud al-Atlassi décrypte ce nouvel ordre en gestation, et la place qui pourrait y revenir au Maroc, fidèle à sa diplomatie d’équilibre, d’ouverture et de stabilité.

Le trumpisme est un concept politique dont les éléments constitutifs sont désormais bien intégrés dans le discours médiatique et qui tend à s’installer durablement dans les études géostratégiques. Ce concept appartient en propre à l’ex-président américain Donald Trump, qui l’a inauguré lors de son premier mandat sous le slogan "America First". Aujourd’hui, il le réactive, l’affine et l’enrichit avec un nouveau mot d’ordre :  Mak America Great Again (Rendre à l'Amérique sa grandeur), dans le cadre de son second mandat, officiellement entamé il y a moins de deux mois.  

Trump sur les chapeaux de roue 

Lors de la campagne présidentielle, le candidat Trump s’était habitué à lancer des déclarations empreintes de promesses et de menaces, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis. Beaucoup, aussi bien au sein du pays qu’au-delà, y voyaient des élucubrations résultant d’un excès d’ivresse face à la soif du pouvoir, ou d’un rêve inaccessible pour un simple prétendant à la présidence.  

Mais dès son accession à la Maison-Blanche, "Oncle" Trump a démontré au monde qu’il pesait chacun de ses mots et les assumait pleinement. Sa première action a été de signer en rafale plusieurs dizaines de décrets, dont certains visaient à restructurer l’administration américaine, notamment par le renouvellement de la direction de la CIA. D’autres confirmaient la mise en œuvre externe du trumpisme, en imposant de nouveaux droits de douane élevés sur les produits européens, chinois, canadiens et mexicains.  

Le président n’a pas laissé ses engagements politiques vis-à-vis des tensions internationales en suspens ni ne les a laissés s’évaporer. Il a exercé des pressions sur le Premier ministre israélien pour qu’il ordonne un cessez-le-feu à Gaza et accepte certaines conditions du Hamas. Il a dépêché son secrétaire d’État en Arabie saoudite pour une première réunion avec son homologue russe. Il a également convoqué le président ukrainien à la Maison-Blanche pour la signature d’un accord garantissant l’exploitation américaine des ressources minières ukrainiennes, tout en lançant un processus de négociation en vue d’un cessez-le-feu dans la guerre en Ukraine.  

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a cru que le chef de l’exécutif américain voulait simplement prendre des photos avec lui dans le Bureau ovale et habiller l’événement de discours promettant un mirage de paix à travers de longues négociations.  

Après l’algarade, le calme

Le trumpisme nécessitait une mise en scène hollywoodienne pour dévoiler son ADN autoritaire. La réunion houleuse à la Maison-Blanche, où Trump a haussé le ton face au "comédien" ukrainien, avant de le congédier, fut l’acte inaugural officiel du trumpisme dans sa version la plus brutale. Ce jour-là, Trump a annoncé non seulement à Zelensky, mais aussi au monde entier, qu’il était sérieux dans ses décisions, déterminé à les appliquer et que toute tentative de le minimiser serait sévèrement réprimée. Il a expulsé le dirigeant ukrainien et a ensuite annoncé la suspension de toute aide militaire américaine à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie.  

Le monde entier a suivi cette démonstration de force américaine depuis Washington. Dans l’esprit de nombreux acteurs internationaux, une célèbre maxime d’un homme politique américain a probablement refait surface : "Les ennemis de l’Amérique doivent la craindre une fois, mais ses amis doivent la craindre deux fois."  

Quelques jours après l’incident de la Maison-Blanche, le président français a convoqué les dirigeants européens, leurs alliés et des experts à une réunion à Paris afin de discuter des répercussions du trumpisme sur l’Europe. Cet événement fut accompagné d’un débat médiatique, présenté comme une découverte, mettant en lumière la dépendance économique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis, sa faiblesse militaire et la fragilité de son union.

Lors de la rencontre, le Premier ministre britannique a déclaré qu’il travaillerait, avec le président français, à proposer un plan de paix concernant la guerre en Ukraine, afin de le soumettre au président américain. Quant à M. Zelensky, il a renouvelé l’expression de ses regrets tout en soulignant sa gratitude envers les États-Unis. Il s’est dit prêt à signer l’accord sur les ressources minières avec Trump, ainsi qu’à instaurer un cessez-le-feu et à rechercher un accord de paix avec la Russie. Et probablement qu’aujourd’hui, il prépare un costume civil respectable, espérant être invité par le président Trump à une cérémonie de remerciement et de signature.  

Là où les intérêts américains l’exigent

Le trumpisme est un facteur de changement dans l’équilibre géostratégique mondial, tel un séisme dont l’épicentre est aux États-Unis et dont les répliques se propagent à travers le monde… y compris dans la région arabe. Toutefois, le trumpisme ne relève pas simplement du tempérament de Donald Trump, bien que ce dernier y imprime sa marque personnelle. Il est en réalité l’expression des intérêts du complexe industriel américain, qui englobe les secteurs de l’immobilier, des technologies de l’information et des services. Trump en est l’interprète au sein de l’État profond américain, avec un style de communication politique singulier, caractérisé par une théâtralité soigneusement calculée. Il ne s’implique que dans les dossiers où les intérêts américains sont en jeu.  

Lors d’une récente conférence de presse, une journaliste afghane l’a interrogé sur les relations de l’administration américaine avec les Talibans. Mais cette question ne fait pas partie de ses priorités, ni de celles de l’État profond américain. Trump a donc esquivé avec élégance, complimentant l’élégance vestimentaire de la journaliste et la musicalité de son accent en anglais, avant de lui souhaiter, ainsi qu’à son pays, la paix. Une pirouette habile qui lui a permis d’éviter un sujet épineux, aujourd’hui relégué aux oubliettes par les États-Unis.  

Les transformations géostratégiques en cours redessinent la carte des alliances internationales, obligeant de nombreux pays à repositionner leurs engagements envers les grandes puissances en compétition sur la scène mondiale. Ce réalignement aura nécessairement des répercussions sur les foyers de tension les plus critiques, avec des effets potentiels d’apaisement ou, à tout le moins, de réduction de leur intensité.  

L’Ukraine est l’un de ces foyers de crise susceptibles d’être éteints. Sur ce point, les intérêts russes et américains se rejoignent, et l’Europe finira par s’intégrer à cette convergence. La situation au Moyen-Orient est plus complexe, en raison de l’agressivité structurelle de l’identité israélienne. Toutefois, les mutations géostratégiques mondiales pourraient contribuer à désamorcer certains conflits dans cette région. Le trumpisme jouera un rôle déterminant dans cette dynamique, du fait des liens du Moyen-Orient avec l’ensemble du monde arabe et son imbrication avec l’Asie. Derrière tout cela, il y a, bien entendu, des intérêts économiques et stratégiques majeurs pour les États-Unis, notamment dans le cadre de leur rivalité exacerbée avec la Chine.  

Alger à la quête des bonnes grâces de l’administration américaine

Cette tempête mondiale n’épargnera pas non plus la région maghrébine. Bien au contraire, elle en fait partie intégrante. Parmi les questions sensibles figure la dispute algérienne sur la souveraineté du Maroc sur le Sahara, un conflit né dans le contexte des affrontements internationaux d’une époque révolue – celle de la guerre froide. Cependant, ce différend a sa propre logique, distincte des rivalités de la guerre froide d’après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’un conflit né d’une illusion algérienne de leadership en Afrique, un statut que l’Algérie ne peut revendiquer faute de bases solides. Les pétrodollars du gaz ne suffisent pas à établir une hégémonie continentale.  

De plus, la tentative algérienne d’isoler le Maroc de son ancrage africain, en promouvant une entité artificielle destinée à couper Rabat de l’Afrique, n’a fait que renforcer l’attractivité du Maroc sur le continent. En effet, après près de cinquante ans de tensions nourries par l’Algérie à l’encontre du Maroc, le résultat est sans appel : le Sahara a été réintégré au sein de la nation marocaine, consolidant ainsi son unité territoriale et nationale. Cette réalité est de plus en plus reconnue à l’international. Par ailleurs, le Maroc s’affirme désormais comme un acteur clé en Afrique, renforçant et diversifiant ses partenariats sur le continent.  

Dans le contexte international actuel et face aux mutations géostratégiques en cours, la position de l’Algérie sur la question du Sahara apparaît de plus en plus anachronique et source de confusion. Elle affecte en premier lieu les relations de l’Algérie avec l’Afrique et l’espace méditerranéen. Aujourd’hui, cette posture pèse sur la diplomatie algérienne, qui tente de rétablir ses relations avec l’Espagne après les avoir détériorées en raison du soutien de Madrid à la souveraineté marocaine sur le Sahara. De même, l’Algérie traverse une crise dans ses relations avec la France, qu’elle a elle-même provoquée en raison de la reconnaissance par Paris de la marocanité du Sahara.  

Face à cette nouvelle donne, la direction algérienne multiplie les gestes de bonne volonté envers les États-Unis, tout en évitant soigneusement d’évoquer la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara par l’administration Trump. Elle cherche ainsi à ne pas s’attirer les foudres de Washington. Mais avec les secousses provoquées par le trumpisme, Alger redouble d’efforts pour s’attirer les bonnes grâces de l’administration américaine. Cette posture révèle clairement, pour qui ne le savait pas encore, que la question du Sahara, pour l’Algérie, n’est qu’un simple prétexte pour nourrir une hostilité tenace à l’égard du Maroc. Elle l’instrumentalise de manière opportuniste et sélective dans ses relations extérieures, souvent avec un grand tapage, mais sans réel impact.

Choix de l’équilibre et de l’ouverture dans les relations internationales du Maroc 

Le choix du Maroc en faveur de l’équilibre et de l’ouverture dans ses relations avec les différents acteurs des conflits internationaux est une ligne directrice de sa diplomatie depuis son indépendance. Il respecte ses alliances internationales sans jamais s’y laisser enfermer. Ses relations avec les grandes puissances ont toujours été caractérisées par un respect mutuel et des limites clairement définies en matière de coopération, y compris pendant les périodes les plus intenses de la guerre froide, dans les années 1950 et 1960.  

Ainsi, le Maroc n’a pas besoin de changer de cap ni de se fatiguer à chercher sa place dans les transformations en cours. Il demeure constant et clair dans ses choix. Concernant la question du Sahara, le Maroc adopte la position juste : celle de la défense de son droit national à l’unité territoriale, une position qui suscite une compréhension croissante sur la scène internationale et qui s’appuie sur la légitimité du droit international. Donald Trump, qui inquiète certains pays, dont l’Algérie, a depuis plus de quatre ans une lecture claire de ce dossier et un soutien explicite au Maroc – bien avant son retour rapide à la présidence américaine sous l’étendard du trumpisme.  

Mais laissons le trumpisme à ses dynamiques propres. Ce qui m’importe ici, c’est le Maroc.  

La sagesse marocaine dans la gestion de ses relations extérieures découle d’un État forgé par l’Histoire, qui détient une expertise historique singulière. Cette sagesse repose sur une confiance en soi, renforcée par une indépendance nationale inébranlable, ainsi que sur une ouverture au monde, matérialisée par la volonté d’exposer le Maroc à toutes les opportunités que peut offrir l’évolution du contexte international.  

C’est pourquoi le Maroc s’est toujours trouvé en adéquation avec le sens de l’Histoire, jouant un rôle actif et intégré, aussi bien sur la scène mondiale qu’au sein de la région maghrébine. Alors que les secousses géostratégiques résonnent ici et là, le Maroc est prêt à en tirer profit de manière constructive, à son avantage et dans l’intérêt de ceux qui, parmi ses voisins et partenaires, savent faire preuve de discernement et de pragmatisme.

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