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Syrie : De la révolution à l'État – Par Samir Belhasen

Des membres des forces de sécurité fidèles au gouvernement intérimaire syrien posent avec leurs armes à feu sur la côte méditerranéenne de la ville de Lattaquié, à l'ouest de la Syrie, le 9 mars 2025. (Photo OMAR HAJ KADOUR / AFP)
« Tandis que l'État existe, pas de liberté ; quand régnera la liberté, il n'y aura plus d'État. »
Lénine
« Le progrès ce n'est rien d'autre que la révolution faite à l'amiable. »
Victor Hugo
La Révolution syrienne, survenue en 2011, est le produit d’une conjoncture socio-politique ô combien complexe.
L’insurrection qui a soulevé, dans un premier temps, l’espoir d’un changement démocratique et radical s’est irrésistiblement transformé en cauchemar, vers la guerre civile, la souffrance humaine et la destruction massive.
Le cadre historique de la Révolution syrienne remonte au fil de l’héritage d’une répression politique, de la corruption et d’inégalités économiques accumulées pendant plusieurs décennies, dans le cadre du fonctionnement, chaotique en matière de droits humains, du régime baasiste institué dans les années 1960, entre périodes de contrôle militaire et répression. L’indifférence du régime aux tensions socio-politiques exacerbées par les réformes promises – et légèrement amorcées après les mouvements du Printemps arabe – s’est muée en insatisfaction grandissante, jusqu’à exploser à l’aube du printemps 2011, lorsque des milliers de Syriennes et Syriens investissent la rue, à l’égal de certaines populations arabes, afin de revendiquer leurs plus élémentaires droits et une plus grande liberté.
Les derniers développements dans le sahel syrien soulèvent la question de la transition de la Révolution syrienne au moment de formation d’un État légitime après la défaite de l’ancien régime de Bachar al-Assad.
Quels sont les défis spécifiques liés à la réconciliation nationale, à l'établissement d'institutions démocratiques et à la mise en œuvre d'un nouveau cadre constitutionnel, tout en tenant compte des multiples acteurs impliqués à la fois sur le plan national et international ?
Les origines de la révolution
Sous le régime de Bachar Al-Assad, la Syrie a connu une stagnation économique croissante, accentuée par le népotisme et la corruption au sein du régime. Les réformes économiques entreprises dans les années 2000 n’ont profité qu'à une élite restreinte, laissant la majorité de la population dans la pauvreté. Le mécontentement face aux violations des droits de l'homme et à la répression sanguinaire a finalement abouti à la demande d'un changement radical à travers des manifestations pacifiques.
Les inégalités sociales et économiques et le voisinage conflictuel, ont également contribué à une désillusion généralisée face à un État inefficace et oppressif.
Rappelons que c’était la capture et la torture d’un groupe de jeunes manifestants à Daraa, qui avaient graffiti les murs de la ville avec des slogans révolutionnaires inspirés par d'autres mouvements arabes, qui est à l’origine des manifestations publiques massives.
La répression brutale avait provoqué une onde de choc à travers le pays, incitant des milliers de Syriens à manifester pour réclamer liberté et dignité. Les manifestations pacifiques avaient été sévèrement réprimées par les forces de sécurité, exacerbant le cycle de la violence et plaidant pour l'émergence d'un conflit armé à grande échelle.
La chute de Bachar al-Assad
La chute du régime de Bachar al-Assad a été le résultat de la révolte populaire et d’interventions militaires. Dès le début des années 2010, la Syrie a été plongée dans un conflit profondément sectaire. Une perte d’immunité qui a autorisé l’intervention d’acteurs étrangers : l’Iran, le Hizb Allah et la Russie soutenant le régime, la Turquie, Israël qui en a profité pour bombarder régulièrement les territoires syriens et annexer le Golan, ainsi que diverses puissances occidentales et régionales menées par les Etats Unis d’Amérique, qui ont soutenu les opposants.
Cette mosaïque d'intervenants internes et externes a rendu le paysage politique de la Syrie extrêmement explosif et largement volatile, favorisant une lutte pour l'hégémonie qui a eu et qui aura encore des répercussions sur l'avenir du pays. Il y aurait aujourd’hui plus d’une centaine de fractions armées.
Des millions de Syriens ont été contraints de fuir vers des pays voisins ou l'Europe, la Syrie a subi une dévastation massive de ses infrastructures, avec des villes réduites à des ruines.
Le passage de la révolution à l'État
Après la prise du pouvoir par El Joulani, devenu Ahmed Charaa et intronisé Président, le passage de la révolution à l'État en Syrie représente l’enjeu majeur du moment.
Après des années de conflit où El Joulani a su réunir autour du projet révolutionnaire des factions armées très diverses, le pays se trouve aujourd’hui confronté à la nécessité de rétablir l'autorité de l'État tout en répondant aux aspirations des citoyens pour une gouvernance démocratique. Ahmed Charaa est amené à redéfinir les rôles des factions armées et à limiter leur armement et leurs actions.
Les tensions communautaires exacerbées par la guerre compliquent cette transition, rendant difficile la mise en place d'institutions stables et inclusives. L'influence des acteurs externes (Iran et Israël) et les luttes de pouvoir internes poseront des obstacles significatifs à un règlement pérenne, exigeront une stratégie concertée pour reconstruire un Etat et une société pacifiée et résiliente face aux fractures créées par le conflit.
Les gesticulations Iraniennes par leurs bras armées sur place, l’opportunisme Israélien, et la maitrise des fractions amies seront les principaux défis immédiats. Cette dynamique sécuritaire devra accompagner la reconstruction.
La reconstruction
La reconstruction post-conflit en Syrie est le chantier crucial pour l’avenir de la Syrie. Il nécessite un engagement concerté tant au niveau national qu'international. Les infrastructures de base touchées par des années de destruction, doivent être restaurées au plus vite pour relancer l'économie et améliorer la qualité de vie des citoyens. Les sanctions et la corruption constituent un défi majeur à cette reconstruction.
La réhabilitation des services de santé, d'éducation et d'approvisionnement en eau nécessite des investissements urgents. L’implication de la diaspora et le soutien d'organisations internationales, seront nécessaires pour rétablir des conditions de vie humaines pour favoriser l'inclusion sociale et la cohésion nationale.
Le dialogue et la réconciliation nationales sont nécessaires pour surmonter les divisions accumulées au cours du conflit syrien.
Le dialogue se doit d’être plus inclusif mais l’établissement de vérités judiciaires, ainsi que la mise en place de mécanismes de réparation, sont fondamentaux pour restaurer la confiance entre les acteurs en conflit.
La réconciliation est un défi à long terme qui nécessite une volonté collective pour bâtir une identité syrienne unie et résiliente.
La reconstruction de l’Etat implique aussi des réformes politiques, économiques et sociales cruciales. Le défi essentiel est l'établissement d'une autorité centrale légitime, la création d'institutions démocratiques efficaces et la gestion des attentes des populations locales.
Le processus constitutionnel en Syrie n’est qu’un élément de la reconstruction. Il nécessitera la rédaction d'une nouvelle constitution qui garantisse les droits fondamentaux et établisse les structures de gouvernance. Les discussions doivent être accélérés et élargies à tous les acteurs politiques.
Les scénarios possibles
L'avenir de la Syrie pourrait se scinder en plusieurs scénarios distincts, chacun reposant sur des facteurs internes et externes.
Le premier scénario, optimiste, mais peu probable, se résume en un renouveau démocratique, où la société civile, soutenue par des ingérences constructives de la communauté internationale, jouerait un rôle clé dans la mise en place d'institutions légitimes.
Un second scénario, pessimiste, pourrait déboucher sur un retour de l'autoritarisme, où des factions militarisées domineraient le paysage politique.
Enfin, un troisième scénario pourrait voir la Syrie se fragmenter en plusieurs territoires autonomes, entraînant une instabilité à long terme.
L’avenir de la Syrie dépendra non seulement des dynamiques internes, mais aussi de l'évolution des relations internationales, ce qui devient plus incertaine que jamais.