International
Tunisie dans la tourmente : affrontements devant le Parlement après sa suspension
Des militaires tnisiens gardent les alentours du Parlement, à Tunis, le 26 juillet 2021
Des affrontements ont éclaté lundi devant le Parlement tunisien au lendemain de la suspension de ses activités par le président Kais Saied et du limogeage du Premier ministre, plongeant la jeune démocratie dans une crise constitutionnelle. L'armée a aussi encerclé à Tunis le siège de la présidence du gouvernement empêchant le personnel d'y accéder, ont affirmé des fonctionnaires de la Kasbah. Réagissant à la décision du président Saied, le chef de file islamiste, Rachad Ghannouchi, a dénoncé ce qu’il a qualifié de « coup d’Etat ».
Le Premier ministre Hichem Mechichi qui a été démis de ses fonctions dimanche soir par le président -- dans un contexte de fort ressentiment populaire envers le gouvernement pour sa gestion de la crise sociale et de la pandémie -- était injoignable lundi en début d'après-midi.
Les premières réactions à l’étranger sont venus d’Ankara, allié d'Ennahdha,qui a notamment appelé à restaurer la "légitimité démocratique" et Berlin à "revenir à l'ordre constitutionnel le plus rapidement possible". Pas très loin de cette position, l'Allemagne a également appelé au "respect des libertés civiles, qui est l'un des gains les plus importants de la révolution tunisienne" de 2011.
Des forces de sécurité repoussent des manifestants devant le Parlement, à Tunis, le 26 juillet 2021
Durement touchée par la crise sanitaire et économique, la Tunisie qui semblait avoir le mieux réussi le passage de la dictature benalienne vers une démocratie balbutiante mais qui bénéficiait à l’international d’un préjugé favorable, est entrée désormais dans une crise politique sans précédent depuis la « révolution du jasmin » qui avait emporté le régime de le régime de Zine El-abidine Ben Ali. Incapable de dégager une majorité de gouvernement claire, contrainte à subir les aléas du jeu des alliances et leurs arrière-pensées et petits calculs, la Tunisie a sombré progressivement dans la paralysie politique, lestant du coup l’initiative économique et sociale
Des forces de sécurité repoussent des manifestants devant le Parlement, à Tunis, le 26 juillet 2021
Dimanche soir, après une journée de manifestations dans de nombreuses villes du pays, le président Saied a annoncé "le gel" des activités du Parlement pour 30 jours. Il a aussi démis de ses fonctions le chef du gouvernement Hichem Mechichi dans un contexte de fort ressentiment populaire envers le gouvernement pour sa gestion de la crise sociale et sanitaire.
Il se chargera lui-même du pouvoir exécutif "avec l'aide d'un gouvernement dont le président sera désigné par le chef de l'Etat", a-t-il annoncé à l'issue d'une réunion d'urgence au Palais de Carthage avec des responsables des forces de sécurité.
Un bras de fer en cours depuis six mois entre M. Ghannouchi et M. Saied, paralyse le gouvernement et désorganise les pouvoirs publics.
Échangeant des jets de bouteilles et de pierres devant le Parlement à Tunis, plusieurs centaines de partisans du président Saied ont empêché lundi les partisans du principal parti parlementaire Ennahdha de se rapprocher de leur chef, M. Ghannouchi, également président du Parlement.
Stationné en voiture devant la porte close du Parlement depuis plusieurs heures, M. Ghannouchi est empêché d'y entrer par des forces militaires qui bloquent les portes de la chambre.
Ennahdha, formation d'inspiration islamiste, a fustigé les mesures de M. Saied dénonçant "un coup d'Etat contre la révolution et contre la Constitution", dans un communiqué publié dimanche soir sur Facebook.
Le président de la République se chargera lui-même du pouvoir exécutif "avec l'aide d'un gouvernement dont le président sera désigné par le chef de l'Etat", avait déclaré la veille M. Saeid à l'issue d'une réunion d'urgence au Palais de Carthage avec des responsables des forces de sécurité.
Bras de fer
La foule célèbre dans la rue après la décision du président tunisien Kais Saied de geler les travaux du Parlement pour 30 jours et de s'octroyer le pouvoir exécutif, le 25 juillet 2021 à Tunis
Un bras de fer en cours depuis six mois entre Rached Ghannouchi et le président Saied, paralyse le gouvernement et désorganise les pouvoirs publics, alors que la Tunisie fait face depuis début juillet à un pic de coronavirus.
Avec ses quasi 18.000 morts pour 12 millions d'habitants, le pays a l'un des pires taux de mortalité au monde.
Vers 03H00 du matin (02H00 GMT), M. Ghannouchi s'est rendu devant le Parlement avec des députés d'Ennahdha ainsi que la vice-présidente de l'Assemblée Samira Chaouachi, du parti allié Qalb Tounes.
"Nous voulons entrer au Parlement ! (...) nous sommes les protecteurs de la Constitution", a déclaré Mme Chaouachi aux militaires déployés derrière une porte fermée du Parlement, selon une vidéo publiée par des médias locaux et partagée sur les réseaux sociaux.
"Nous sommes les protecteurs de la nation", a répondu l'un des militaires avant d'ajouter qu'il appliquait "les instructions".
"Le peuple tunisien n'acceptera jamais un pouvoir autoritaire quelques soient vos tentatives, donc ne continuez pas dans ce jeu", a réagi alors M. Ghannouchi.
Tension populaire
Outre Ennahdha, les partis de sa coalition, Qalb Tounes et le mouvement islamiste nationaliste Karama, ont condamné les décisions de M. Saied.
Dans l'opposition, le Courant démocratique, parti socio-démocrate qui a plusieurs fois soutenu le président Saied, a rejeté sa prise de pouvoir.
Le Courant démocratique a néanmoins imputé la responsabilité de "la tension populaire et de la crise sociale, économique et sanitaire et le blocage des horizons à la coalition au pouvoir dirigée par Ennahdha".
Pour le président, ces décisions ont été prises "afin de sauver la Tunisie, l'Etat et le peuple tunisien".
Après le discours de M. Saied, des Tunisiens, exaspérés par les luttes de pouvoir et la dégradation de la situation sociale et sanitaire, étaient sortis dans la rue dimanche soir, en dépit du couvre-feu, tirant des feux d'artifice et klaxonnant avec enthousiasme à Tunis et dans plusieurs autres villes.