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UN ALGERIEN RACONTE COMMENT IL EST DEVENU VANUATAIS (LETTRE OUVERTE A BOUTEFLIKA)
L’expéditeur a porté sa propre appréciation sur cette Lettre ouverte à Bouteflika*, UN REGAL, en guise de mise en bouche. Il a été en dessous de la réalité. Dans la catégorie du pamphlet, c’est une œuvre d’art. Son auteur, un natif des Hauts plateaux d’Algérie, dans ce qui est vraisemblablement une bourgade inconnue du monde extérieur, Zaouia d’El Hamel. Ecrivain et dramaturge, Mohamed Kacimi a fait parler mais ses tripes, mais sans bile. De l’humour. De l’humour décapant, du sarcasme lacérant. C’est un peu long, m’a averti l’expéditeur. Mais d’une longueur qu’on n’a pas envie de voir s’arrêter. Le texte est d’une telle violence que j’ai hésité à la reprendre, mais d’une violence si artistique que je n’ai pu m’en empêcher. NK
Monsieur le Président, C’est avec une grande joie que je viens d’apprendre que vous vous représentez une cinquième fois à la candidature pour la présidence de la « République algérienne, démocratique et populaire. Magnifique et fantastique, comme ironisait feu Aït Ahmed. Monsieur le Président, votre geste me remplit non seulement de joie mais aussi d’un réel sentiment d’éternité. Le jour de ma naissance en 1955, vous étiez déjà commandant dans l’armée de libération nationale, à Oujda, au Maroc, votre ville natale, alors que sur le site de votre gouvernement on vous fait naître à Tlemcen. Car marocain cela fait mauvais genre probablement. Je me demande justement pourquoi ils ne vous ont pas changé en même temps de date de naissance : Né à Tlemcen le 1er mai 1980, par exemple. L’Etat que vous incarnez est justement un État de contrefacteurs. N’est ce pas votre premier ministre qui vient de répliquer aux opposants à votre candidature : « Vous dites que le président est handicapé, alors que les handicapés c’est vous ». En fait, vous êtes dans la fleur de l’âge et vous avez le malheur de diriger un peuple de 40 millions de tétraplégiques. En 1955, année de ma naissance, vous étiez déjà commandant de l’ALN dans l’armée des frontières. L’Algérie était française, la France était dirigée par Mendès France, l’Union Soviétique par Khrouchtchev, la Chine par Mao, et les USA par Eisenhower, et moi je tétais ma mère. En 1962, année de la fin de guerre, et non de l’indépendance qu’on attend toujours, vous devenez ministre du tourisme, et moi j’entrais en cours préparatoire première année à l’école du plateau à Boussaâda. Vos comparses du FLN désignent alors à la tête de l’État un footballeur de Tlemcen, justement, avec le même QI que Franck Ribery : Ahmed Ben Bella. Les deux partagent la même passion pour l’Islam. Ce dernier pour éradiquer les séquelles du colonialisme, rafle tous les enfants cireurs d’Alger et les fout en prison, et, pour renflouer les caisses vides de l’État, dépouille toutes les algériennes de leurs bijoux. En 1965, ma famille s’installe à Alger, Au Golf puis à Baïnem. J’étais à l’école primaire de la Pointe Pescade. On se baignait à la plage Franco et le soir on allait se taper une toile au Majestic, en mangeant des créponets. Le colonialisme a commis certes des horreurs, mais il a réalisé un miracle d’architecture : Alger. Il faut dire la vérité. Tous les dirigeants qui se sont succédés à la tête de l’État depuis 1962 se sont acharnés à détruire, à saccager, à enlaidir cette ville à laquelle ils étaient tous étrangers. En 1965, avec vos complices de l’armée, vous renversez le pauvre président footballeur qui assistait à un match Algérie-Brésil. Le Colonel Boumediene vous nomme alors ministre des affaires étrangères. La France était dirigée par De Gaulle, la Chine par Mao, l’Union Soviétique par Léonid Brejnev et les USA par Lyndon B Johnson, vous les avez tous connus. Et vous les avez tous enterrés. Vos thuriféraires assurent que lors de votre rencontre avec De Gaulle ce dernier a été impressionné par vos yeux bleus, paraît-il aussi beaux que ceux de Michèle Morgan. Boumediene était un mélange de Raspoutine et de Beria. Flic dans l’âme il transforme l’Algérie en vaste caserne sous la haute surveillance de la sécurité militaire. Putschiste invétéré, il décide de liquider le sous développement de l’Algérie, comme il liquidait ses opposants, d’une balle dans la tête. Le colonel fou, ( Werner Herzog dit dans ses mémoires qu’il lui a proposé de jouer dans « Aguirre ou la colère des Dieux » à la place de Klaus Kinski ) fait un jour un discours pour nous annoncer que l’Algérie était un pays riche et qu’il n’avait besoin de rien. Du coup, il interdit toutes les importations, et comme le pays ne produisait ni assiettes, ni fourchettes, ni couteaux et encore moins des clous, nous avons vécu durant des années avec du vent, des pénuries et des chants patriotiques. Durant tout le règne de Boumediene, nous avons appris à faire la « chaine », la queue, pour tout, le pain, le sucre, la semoule, l’huile, le lait, et même pour prendre de l’air. Pendant qu’on crevait la dalle, le quotidien français le Monde, que l’Algérie achetait à des milliers d’exemplaires nous consacrait tous les trois mois un dossier spécial : « l’Algérie, le Japon de la Méditerranée »…Dès les années 70, le régime commence à faire le lit des islamistes : arabisation sauvage de l’enseignement et même de l’environnement, dissolution de l’Union des Étudiants Algériens, incarcérations des militants de gauche, création des lycées islamiques, suppression des filières de philosophie en français, instauration du weekend islamique, le jeudi et le vendredi, destruction de l’agriculture au profit d’une industrialisation catastrophique, etc. J’étais alors lycéen au Lycée Al Ghazali de Sour el Ghozlane, et la police faisait la chasse aux cheveux longs qui étaient tondus dans les commissariats, et les récidivistes on leur passait le crâne au goudron. Plus tard, on jettera de l’acide chlorhydrique sur les jambes des filles qui portaient des jupes. A la mort de Boumediene, en 1978, j’étais étudiant à l’École Normale Supérieur de Kouba. Et j’avoue que j’ai fait la fête avec mes amis à El Asnam. Vous avez fait l’éloge funèbre du dictateur, probablement empoisonné par ses proches, et vous avez cru lui succéder. Mais votre passion pour l’imparfait du subjonctif allait vous trahir. Dans l’armée algérienne quiconque dispose de plus de deux neurones est considéré comme élément toxique. On vous a préféré un colonel, Chadli, « l’homme qui comptait jusqu’à douze », comme l’appelaient les Algériens, pour sa passion du domino. Le candidat du FLN avait un double avantage, il ne savait lire ni écrire, ni l’arabe ni le français. C’est pour dire que la passion de la tétraplégie vient de loin. Afin de trancher avec la rigueur de son prédécesseur, Chadli, ouvre le marché et inonde l’Algérie de bananes. La liesse provoquée par l’arrivée des bateaux emplis de bananes de Côte d’ivoire fut plus grande que l’embarquement des troupes françaises en 1962. A ce moment, j’étais officier appelé affecté à l’Académie interarmes de Cherchell. J’ai passé les deux années de service militaire entre arrêts de rigueur et désertion. Ecarté par vos proches qui vous accusaient d’avoir mis la main dans la caisse - quelle blague - vous prenez les chemin d’un exil doré vers les pays du Golfe, où, d’après vos dires, vous avez passé des années à lire tout Hugo et tout Balzac ! De mon côté, le jour de ma libération du service militaire en 1982, j’ai pris mes clics et mes clacs pour Paris, avec l’intention de ne plus jamais remettre les pieds en Algérie. Avec Chadli, l’Algérie s’ouvre au marché et la misère gangrène la société. En octobre 1988, des milliers de jeunes sortent dans les rues d’Alger pour crier famine. L’armée ouvre le feu et tue plus de 500 enfants... Un haut responsable du FLN qualifiera ce massacre de « chahut de gamin ». Pris de court, le FLN, parti unique, décide de se convertir au multipartisme et jette en pâture « la démocratie » à une foule qui réclamait du pain. En une semaine pas moins de 62 partis politiques sont créés avec les subsides de l’État, bien entendu ainsi qu’une presse « d’opposition » financée par l’État aussi !!!! Cette « ouverture démocratique » va profiter uniquement au FIS, Front Islamique du Salut, qui, loin d’être un parti d’opposition, représentait en fait la logique mutation du FLN. La suite de l’histoire on la connaît… Les Islamistes gagnent les élections, l’armée dénonce le scrutin et arrête le processus électoral. Des milliers de jeunes prennent alors le maquis et mettent à feu et à sang le pays durant dix années. C’étaient les précurseurs de Daech. Après dix années de guerre, et après avoir vidé tous ses arsenaux, l’armée algérienne vous fait appel pour sauver ce qui restait du pays. Avec votre verve, et votre passion de l’imparfait du subjonctif, vous parcourez tout le pays et vous promettez le pardon absolu aux assassins, aux égorgeurs, aux massacreurs. On passe l'éponge, les islamistes n'ont jamais tué personne ! Mieux, vous offrez des primes à ceux qui déposent les armes. Les islamistes égorgeurs remportent du coup la cagnotte et font main basse sur tous les commerces du pays… Vous avez réussi le miracle d’effacer deux cent mille morts victimes des islamistes comme on effacerait d’un coup de brosse un tableau ! Votre arrivée a certes barré la route du pouvoir aux islamistes, mais elle leur a offert en échange le contrôle et la mainmise sur toute l’Algérie. L’Islam qui était une culture est devenu une obsession, une pathologie nationale. Pour le moindre geste quotidien, chaque algérien est désormais contraint de passer par le Coran et par les dires du Prophète : pour mettre ses chaussures, nouer une cravate, ou mâcher un chewing-gum, rouler une pelle à sa femme ou se curer le nez avec le doigt. Le pays qui n’a pas vu la construction d’une seule salle de cinéma depuis 1962, se couvre, à vue d’œil, de mosquées. Il y a aujourd’hui autant de mosquées à travers le pays qu’il y a d’Algériens. Alors que les enfants s’entassent parfois à 60 dans les classes d’école, que les gens crèvent dans les hôpitaux insalubres, vous décidez de construire une mosquée à 3 milliards de dollars qui portera votre nom ; et du haut de son minaret de 265 mètres le muezzin criera la grandeur de Dieu sur ce désert culturel absolu qu’est devenu Alger. Savez vous qu’il y a plus de galeries d’art à Gaza qu’à Alger ? Et que l’université de Ramallah, Bir Zeit, c’est Harvard à côté du dépotoir qu’est devenue l’Université algérienne ? Ce cher Lénine assurait qu’avec le triomphe du communisme n’importe quelle cuisinière pourrait gérer les affaires de l’État… La stratégie du FLN est presque pareille, puisque la fonction première et essentielle de l’État algérien est la rapine, n’importe quel abruti - fut-il tétraplégique ou même anencéphale, excusez ma franchise, pourrait faire le boulot. D’où l’insistance de cette armée de pillards et de rapineurs à vous garder à la tête de l’État qui en fait n’est rien d’autre qu’une association de malfaiteurs. J’ai toujours pensé que les dirigeants de cette horde du FLN sont convaincus depuis 1962 que l’Algérie est leur butin de guerre. Leur prise de guerre arrachée aux mains des français. En cela ils sont aussi les dignes successeurs des barbaresques de la Régence d’Alger qui sillonnaient les mers pour détrousser les chrétiens, pour les convertir ou les revendre. Le régime actuel fait partie de la lignée des janissaires, il s’est juste, pour la piraterie, replié sur les terres pour détrousser un peuple exsangue, sombre et névrosé, en lui promettant le paradis dans l’au-delà. Enfin, Monsieur le Président, je tenais à vous dire une chose qui me coûte mais que je vais dire quand même : On sait l’histoire de la colonisation, sa sauvagerie, ses crimes, ses enfumades du Dahra, les massacres de Bugeaud, les hécatombes de Guelma, la déportation de milliers de paysans, les pluies de Napalm sur les Aurès, mais ce que vous avez fait en vingt ans a détruit d’avantage la nature, le paysage, la terre, la beauté de l’Algérie que 130 années de colonisation. A coups de milliards de la rente pétrolière vous avez transformé le pays en vaste et morne banlieue, hérissée de HLM chinois qui vont parfois jusqu’au 20 étages mais toujours sans ascenseurs, les même HLM, jaunes et marrons, qui défigurent le pays, d’Alger à Tamanrasset et des autoroutes, décorées avec des palmiers morts, qui mènent nulle part, qui s’effondrent au bout de quelques années ; et à l’infini des carcasses de béton inachevées avec des briques rouges et des herses de barres de fer de béton qui griffent partout le ciel d’Algérie. Votre règne sera marqué à jamais par cette construction effrénée de la laideur à coups de milliards de dollars. Monsieur, le Président, comme je parcours beaucoup le monde, on me pose à chaque fois la question, « « Vous êtes de quelle origine ? Je réponds bien sûr « algérien ». A chaque fois mon interlocuteur me regarde avec de grands yeux avant de me dire « C’est malheureux ce qui arrive à ce pauvre pays »… Que ce soit à New York, à Jérusalem, à Pondichéry, à Prague ou à Téhéran. Lassé de ce malheur, sans cesse répété, qu’on me lance à chaque fois au visage, j’ai trouvé la parade, je dis désormais, que je suis originaire du Vanuatu, parce que je ne connais pas ce pays et que personne ne le connaît non plus. Et je suis d’autant plus heureux que je ne pourrais pas voter pour vous, car je suis désormais un heureux citoyen vanuatais, corps et âme, qui n’a plus rien à avoir avec ce pauvre pays, l’Algérie, que vous allez entrainer dans votre tombe."
Mohamed Kacimi Paris le 24 février 2019
*Publié dans le blog de Mediapart