Yassine Bouzrou, un personnage de roman

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Si on qualifie Moretti « d’acquitator », qu’on me permette pour Bouzrou le syntagme « procédurator »

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Qui se souvient d’Abou soufiane Moustaïd ? Personne. On pourrait penser à un nom de guerre daechien. Il n’en est rien. Ce jeune français de la communauté marocaine lyonnaise eut son heure warholienne avant de s’abîmer dans l’anonymat. Il fut le principal prévenu dans une affaire de proxénétisme, avant d’être condamné, en 2014. Abou Soufiane était un produit de la télé-réalité avant de tenir un bar, le « Zaman café», un établissement sur les champs Elysée. Il sera accusé d’être à la tête d’une cohorte de « michetonneuses » de luxe. 

Dans son écurie, il y avait une gagneuse du nom Zahia Derrar, une mineure, aux mensurations irréellement plantureuses qui, en 2010, allait ébranler le football français. Entre 1000 et 2000 Euro la passe, elle fut, parait-il, offerte comme cadeau d’anniversaire à Franck Ribéry et a eu des relations tarifées avec Karim Benzema. Accusés pour relations avec une mineure, ces deux derniers vont être blanchis. Zahia est depuis à la tête d’une entreprise prospère. Abou Soufiane n’est plus bon que pour les archives. Cependant, c’est à l’occasion de son procès que sera révélé un autre personnage, un jeune avocat qui, de prime abord, ne paie pas de mine. Mais à force de dossiers sensibles et médiatiques, il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus brillants pénalistes de sa génération et de France. Il s’appelle Yassine Bouzrou. 

Bouzrou est né, dans le Val-d’Oise, en 1979. Plus précisément à Bezons. Cette commune fut tenue durant cent ans par le parti communiste. Au mois de juin dernier, une jeune, Nesserine Menhaouara, française d’origine algérienne, l’a arraché au profit du parti socialiste. Yassine, le pénaliste, partage un point commun avec le docteur Éric Raoult. Ils ont eu tous deux une scolarité atypique. Si cela a participé à la légende romancée du virologue marseillais, le parcours scolaire mouvementé, ponctué de bagarres et d’exclusions, donnera lieu à quelques quolibets comme celui de la chaîne LCI qui le présentera, en février 2020, comme un ancien cancre, vêtu d’un bonnet d’âne. Ce n’était pas pour déplaire aux xénophobes. Cette séquence, toutefois, poussera le Conseil national des Barreaux, indigné, à saisir le Conseil supérieur de l’Audiovisuel.

La coupe de cheveux est toujours stricte, presque martiale, avec un dégradé. Toujours tiré à quatre épingles, avec un costume noir bien ajusté qui épouse une silhouette élancée, « du Smalto », dévoilera la journaliste Elsa Vigouroux qui lui avait consacré un grand format dans l’Obs. Ses chemises blanches, presque toujours ornées d’une cravate, fine et noire, participent d’une élégance qui met en relief un visage au teint naturellement halé, qu’on dirait sorti tout droit des dunes de Merzouga. 

 Ses débuts d’avocat donnent la mesure de l’audace et du caractère trempé. A 27 ans, il ose l’exploit, en 2007, de s’installer à son compte, aux Champs-Elysées, le jour même de sa prestation de serment. C’est à dire sans passer par une collaboration avec des séniors, pour au moins deux ans, comme le veut la tradition. Cela en fera un « sans précédent ». Dix ans plus tard, avec une ascension fulgurante qui ne se démentira plus, il sera classé par le magazine masculin et de mode « GQ » parmi les trente avocats les plus puissants de France. Bravo l’artiste.

En une décennie, le « bonnet d’âne » a déjà à son actif une quarantaine d’acquittements et une centaine de relaxes. Avec cet ovni, on est bien loin de l’exubérance d’un Jacques Verges et des volutes de ses gros cigares arrogants. Et aussi d’un Karim Achoui, aujourd’hui rayé du barreau pour ses tripatouillages avec les truands. Il en a probablement tiré une leçon. Et si la modestie n’est qu’apparente pour cet amateur de belles bagnoles, Porches ou Maserati, on serait mieux inspirés de faire le parallélisme avec autre célèbre avocat, Dupont Moretti, aujourd’hui ministre de la justice. Si celui-ci est le fils d’une femme de ménage, Yassine est le fils d’un chauffeur livreur à Rungis et d’une mère garde malade. Dupont est d’origine italienne, le « bad boy » est d’origine marocaine. Et si les deux partagent la même rage qu’ils déploient dans les prétoires, le premier dévore la vie de manière gargantuesque que ses habits amples dissimulent à peine, tandis que le second, filiforme comme un roseau « qui plie mais ne rompt pas », semble vivre son ascension comme une revanche sur des injustices qu’il a personnellement vécues, notamment durant sa scolarité décousue. L’ancien « cancre » a des honoraires qui varient entre 350 et 450 € l’heure. « J’ai la dalle, pas le temps » aurait-il affirmé devant une journaliste. On qualifie Moretti « d’acquitator ». Qu’on me permette pour Bouzrou le syntagme « procédurator » que je m’autorise. 

Car Bouzrou est considéré comme un redoutable procédurier. Il est, semble-t-il, à l’origine de la mutation d’au moins deux procureurs, Yves Jannier et Xavier Tarabeux. On ne le lui attribue pas, mais il est aussi à l’origine, en 2020, du camouflet infligé à la ministre de la justice, Nicole Biloubet, en conseillant à la famille Traoré d’adresser une fin de non-recevoir à son invitation à venir discuter du dossier. Cet affront a été cher payé par la ministre qui a vu son éviction confirmée lors du dernier remaniement. Dans le même temps, très marconien pour le coup, Bouzrou semble être fort apprécié par les magistrats puisqu’il fut, sur un dossier au moins, l’avocat du syndicat Unités Magistrats.  

Ce pénaliste, qu’on dit pugnace, est un avocat 2.0. Il utilise les moyens de notre époque.  Ce qui est remarquable, c’est qu’il plaide le plus souvent dans des affaires extrêmement sensibles, emblématiques pour la plupart et fortement médiatiques. Si aujourd’hui, il est identifié comme l’avocat de la famille Traoré, dont l’affaire date de 2016, revenue en force dans le sillage de la mort de Georges Floyd, l’avocat n’avait forcément besoin de cette ampleur médiatique pour se forger une réputation de spécialiste des violences policières. Des bavures, Il en a suivi d’autres dont celle qui a inspiré le film Les Misérables, grand succès de l’année 2019 et César du meilleur film.  Il est, selon l’un de ses proches « intolérant contre tout usage dévoyé de l’autorité ». 

Eclectique et touche à tout, il fut aussi l’avocat d’un syndicat de police dans l’affaire Benalla.  Il demandera, à cette occasion, le dépaysement du dossier tant les accointances entre le procureur et l’Elysée lui paraissait patentes. Avocat de la famille de Yanis, un enfant fauché par le camion du terroriste tunisien, dans l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, il n’hésitera pas à porte plainte contre l’Etat. C’est d’ailleurs son kif, porter plainte contre l’Etat. Il le fera en tant que conseil de nombreuses parties civiles comme dans l’affaire Lactalis, ce géant de l’agroalimentaire ou dans le crash du vol Rio-Paris. On le trouvera aussi dans l’épisode des « gang des barbares », cette affaire crapuleuse fortement teintée d’antisémitisme qui, en 2006, avait secoué la société quand sera dévoilé le martyr d’Ilan Halimi. Il sera un temps, lors des dérives sexuelles de Tariq Ramadan, son avocat avant, initiative propre, de se dessaisir du dossier. Il est impliqué dans la défense de Zineb Redouane, cette octogénaire décédée, à Marseille, suite à un tir de grenade lacrymogène et ce dans le sillage d’une manifestation des gilets jaunes. Il est enfin choisi comme défenseur par Piotr Pavlenski, l’activiste russe, tombeur de Benjamin Griveaux, furtif et malheureux candidat à la mairie de Paris. N’en jetez plus.

Cela n’a rien à avoir, mais son appartement, acheté du côté du jardin du Luxembourg, est juste à quelques encablures de la rue Monsieur-le Prince où, en 1986, Malik Oussekine avait trouvé la mort sous les coups des policiers voltigeurs. Bouzrou avait à l’époque 7ans. 34 ans plus tard, la police redoute, dans une affaire, la présence de ce pénaliste teigneux. Son nom est plébiscité dans la banlieue. De quoi donner l’urticaire aux identitaires de tous poils. Un rappeur n’avait-t-il pas chanté « l’important, c’est que tu appelles Bouzrou, si tu es au trou ». C’est dire.