Abdellatif Ouahbi, plus vite que son ombre – Par Naïm Kamal

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Le secrétaire général du parti de l’Authenticité et Modernité, Abdellatif Ouahbi, et Hicham Lakhal, directeur des Médias (M24 et RIM), modérateur du Forum de la MAP

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A ma grande surprise, Abdellatif Ouahbi n’a pas fait dans l’Akhannouch bashing, sa marotte depuis qu’il a décidé de monter frontalement au créneau pour tenir le premier rôle dans le feuilleton du Parti Authenticité et Modernité (PAM). En politique, particulièrement au Maroc, bien mieux qu’un programme qu’on ne pourra ni chiffrer ni tenir, il vaut mieux avoir un adversaire sur qui taper pour mobiliser et exister. C’est une loi universelle. Les Américains avaient l’Union Soviétique et maintenant la Chine. Abdalilah Benkirane, quand sa thématique des crocodiles et autres afarites a cessé de faire recette, avait pour tête de turc l’arrière-prédécesseur de l’actuel secrétaire général du PAM, Ilias El Omari. Abdelatif Ouahbi, lui, avait jeté son dévolu sur le président du RNI. Là encore c’est une règle universelle : plus on se fait les dents sur plus gros mieux c’est. 

A bonne école

Et voilà qu’au Forum de la MAP du mardi 27 juillet, le désormais patron du PAM livre à la dérobade sur le ton de la confidence sa rencontre avec Aziz Akhannouch. Au contraire de sa réunion avec le PJD de Saad Dine El Otmani, ce n’était pas une concertation de parti à parti, plutôt un tête-à-tête. Il n’en dira pas plus, mais on comprendra de la tonalité globale de son intervention qu’il cherche à ne pas insulter l’avenir. C’est ce qu’on appelle tenir plusieurs fers au feu. Des noces contre nature avec le PJD, un modus vivendi avec le RNI, une alliance avec le PPS et une coordination avec l’Istiqlal, que demander de plus, des fois que pourrait se présenter à lui l’opportunité de devenir ministre. 

Il faut dire que Abdellatif Ouahbi a été à bonne école, une école de la guérilla où la tactique n’est dialectiquement liée à la stratégie. Jeune avocat, il a fait ses débuts au cabinet de Maitre Ahmed Benjelloun, un marxiste pur et dur qui n’a jamais dévié ni manqué aucune aventure de la gauche marocaine, chaque fois qu’il a été question d’aller plus à gauche : de L’UNFP à l’USFP à une nouvelle scission débouchant sur la fondation du PADS, Parti de l’Avant-garde Démocratique et Socialiste. C’est lui qui le prend sous son aile, établit une relation quasi filiale avec lui, l’introduit à la très gauchiste Association Marocaine des Droits de l’Homme et l’amène à fréquenter les padsistes. Il ne fera cependant pas de vieux os dans ces lieux où les narcissismes cohabitent en s’entrechoquant. Abdellatif Ouahbi était trop indépendant à leur goût, témoigne un de ses confrères du barreau de Rabat. « Il comprend vite et réagit au quart de tour, pas toujours forcément dans le bon sens », ajoute-t-il avant d’avoir pour lui cette jolie formule : «Rarement il attendra que le feu passe au vert pour traverser la rue ». 

Les passages cloutés ne sont donc pas faits pour lui, ce qui lui donne cet air légèrement imbu de sa personne. Une pénétration de lui-même telle qu’un jour je l’ai entendu dans une émission revendiquer son extraction sociale aisée en déclarant n’être pas un « fils du peuple », semblant ignorer qu’un fils du peuple qui arrive, ça se mérite. Sinon, en dehors de ces petits travers, c’est un garçon sympathique, qui a de la verve. Rodé aux effets de manche, il sait meubler le temps et occuper l’espace. Un peu trop peut-être. 

L’enfant prometteur

Une personnalité affirmée et une indépendance qui vont le faire éjecter de ces milieux gauchistes où il est apparemment déjà lui-même à l’étroit. Cette indépendance qui l’a desservi ici va paradoxalement lui réussir au PAM. Dès ses premières apparitions au Parlement sous cette étiquette jetée en pâture dans sa version originale à la vindicte populaire par le mouvement du 20 février où le tempo est donné par les islamistes, il se fait remarquer par ses clins d’œil au PJD triomphant de Abdalilah Benkirane. Presque une trahison sans que les pamistes n’arrivent à lui en vouloir. Clairement, nettement, il est à la recherche d’une place au soleil et sans doute déjà, sans même le savoir, à la conquête de ce PAM qui porte cet enfant prometteur du Souss à la présidence de son groupe parlementaire. Les circonstances et des vents favorables, mais aussi l’évolution cahoteuse de ce parti créé pour cantonner l’islamisme, vont l’aider au bout de dix ans de luttes internes, de dissensions convulsives et de coulisses pas toujours avouables, à se faire sacrer secrétaire général avec le concours de la très en vue Fatima-Zahra Mansouri, alias la première femme maire d’une grande ville qui plus est l’emblématique Marrakech. Seule Asmae Chaabi l’avait précédée à ce prestige, mais à la tête d’une ville de taille moyenne, Essaouira.  

Au Forum de la MAP où Ahmed Akhchichen aux rares apparitions s’est déplacé pour lui apporter son appui, Abdellatif Ouahbi, le programme de son parti n’étant pas encore public, va se déployer à offrir de lui l’image transcendante du chef au-dessus de la mêlée. Il veut concilier les courants, un terme un peu fort, qui traversent son parti et réconcilier le PAM avec les acteurs de la scène politique, y compris le PJD. « Surtout le PJD », précisera-t-il. Ainsi vêtu pour l’échéance électorale, il vise la victoire. Et ne lui demandez pas s’il n’est pas prétentieux de prétendre à la première place aux législatives du 8 septembre ? Il vous répondra : « Que voulez-vous que je vous dise, que je vais arriver dernier ? Oui, je vais être premier ! ». Oui, pourquoi pas, le juriste qu’il est sait qu’aucun code au monde n’interdit de rêver.