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Aïd al-Adha, le mouton de la discorde – Par Bilal Talidi
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Déjà Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, avait admis, devant la Chambre des représentants, l’échec de l’expérience de soutien à l’importation des moutons (500 dirhams par tête)
Samedi dernier, lors d'un meeting au centre de la commune d’Ouled Frej, dans la province d’El Jadida, Nizar Baraka, secrétaire général du Parti de l'Istiqlal, a formulé des accusations explicites à l’encontre des importateurs de moutons, les accusant d’avoir spéculé sur les prix des sacrifices l’an dernier. Il a rappelé qu'ils avaient bénéficié d’une aide gouvernementale de 500 dirhams par tête tout en important les moutons à 2 000 dirhams et les revendant à 4 000 dirhams, aggravant ainsi les souffrances des familles marocaines. Derrière ces déclarations se profilent les échéances électorales.
Ces déclarations interviennent après que Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, a reconnu en novembre dernier devant la Chambre des représentants, lors de la session de vote des amendements et de l’examen de la première partie du projet de loi de finances 2025, l’échec de l’expérience de soutien à l’importation des moutons (500 dirhams par tête) pour garantir des prix abordables aux Marocains. Elles font également suite à une déclaration forte de Mohamed Oujjar, ancien ministre et membre du bureau politique du Rassemblement National des Indépendants (RNI), qui a déploré l’existence d’une "élite économique qui ne prend pas ses responsabilités en tant que bourgeoisie nationale". Au lieu de réaliser des profits raisonnables, "elle prend le soutien de l’État de 500 dirhams sans que cela ne se reflète sur les prix du marché", qualifiant cette situation de "crime contre la nation et l’économie nationale".
En réalité, nous sommes face à trois discours distincts, chacun appartenant à une composante de la coalition gouvernementale. Toutefois, à l’exception de la déclaration de Fouzi Lekjaa, les autres relèvent davantage d’un discours d’opposition que de celui d’un gouvernement en exercice.
L’intervention du ministre du Budget est une exception car il s’est exprimé devant les représentants de la nation avec un langage clair, admettant ‘’l’échec de la politique gouvernementale’’ en matière de réduction des prix des sacrifices l’an dernier. En revanche, les propos de Nizar Baraka et de Mohamed Oujjar s’apparentent davantage à une posture d’opposants qu’à celle de partis au pouvoir, qui devraient, au lieu de baisser les bras face aux spéculateurs, adopter une position ferme contre ces élites ayant abusé de l’État, engraissé leur capital et aggravé la souffrance des citoyens en une occasion religieuse censée être un moment de joie.
Un soutien sans contrôle
Ce discours, qui met la charrue avant les moutons, cache une réalité importante que Fouzi Lekjaa a, en partie, exposée avec franchise. Le gouvernement, en accordant ce soutien, avait omis la manière d’obliger les bénéficiaires à lier cette aide à l’objectif attendu : la baisse des prix des sacrifices. L’argent public a simplement été versé dans les poches de ces privilégiés, sans suivi, laissant les familles à la merci de la voracité des spéculateurs, au point que le prix des moutons a dépassé les 6 000 dirhams.
De plus, contrairement au discours optimiste selon lequel "l’offre dépasse la demande", le marché s’est retrouvé totalement vide de moutons l’année dernière. Certains députés ont même souligné que les bêtes importées n’ont pas été destinées à l’Aïd al-Adha, mais réservées aux mariages d’été, où elles ont été vendues à des prix exorbitants.
Nous ne sommes donc pas seulement face à une crise d’élites économiques avides et spéculatrices, à qui Nizar Baraka demande "de craindre Dieu" et que Mohamed Oujjar appelle le gouvernement à sanctionner. La solution à ce problème ne devrait pas être aussi simple, puisque les importateurs de moutons ayant bénéficié du soutien sont connus, avec des listes et des noms identifiés. Mais le problème est plus vaste :
Le gouvernement n’aurait pas respecté de critères de transparence dans l’octroi des aides, tandis qu’un grand nombre de professionnels ignore encore comment les licences d’importation des moutons ont été accordées*et pourquoi certains en ont bénéficié et d’autres non. Aujourd’hui, une controverse grandit sur les bénéficiaires des autorisations d’importation de viandes rouges et sur leurs liens avec tel ou tel camp.
Un gouvernement dans l’impasse
Le gouvernement est pris dans un véritable dilemme. Il cherche à satisfaire certaines élites économiques proches de ses partis, sans pouvoir ni les sanctionner ni adopter une politique stricte à leur encontre, et pour contourner le dilemme il adopterait un discours d’opposition pour se dédouaner de toute responsabilité, évitant ainsi un conflit avec ses propres élites.
Le problème devient encore plus complexe lorsque certains partis de la coalition évaluent différemment la situation. Pour eux, les élites économiques responsables de cette "délit", selon Mohamed Oujjar, ne sont pas liées à leur propre formation, mais à des partis alliés. Ils refusent donc d’en endosser la responsabilité.
Les déclarations de Nizar Baraka ce mois-ci montrent clairement que l’échéance électorale commence à dicter de nouvelles stratégies, quitte à remettre en cause la "solidarité gouvernementale". Lors d’un entretien avec un média, Naïma Ben Yahya, ministre de la Solidarité, de l’Intégration sociale et de la Famille, a souligné les effets négatifs de certaines déclarations de Abdellatif Ouahbi sur la réforme du Code de la famille, affirmant que son parti, l’Istiqlal, travaille discrètement en coulisses pour éviter certains dérapages, sans que cela ne soit visible du grand public*.
Aujourd’hui, le Parti de l’Istiqlal semble décidé à passer à la vitesse supérieure, en privilégiant ses propres intérêts. Il cherche à se dissocier du scandale des prix exorbitants des sacrifices de l’an dernier et de tout ce qui pourrait se produire cette année, si la logique du soutien électoral à certaines élites économiques au détriment des familles marocaines persiste.