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Al Hoceïma : Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
La protestation est un droit constitutionnel qu’il est sain d’exercer, mais qu’il faut savoir arrêter. Une partie des Hoceimis a pratiqué ce droit. La réponse de l’Etat- qui n’est pas exempt dans cette affaire de toute erreur, a été double : maintien de l’ordre et négociation. N’est-il pas temps que la seconde s’impose à tous ?
Des extraits de ce que l’on présente comme un rapport du Conseil national des droits de l'homme (CNDH), un organisme officiel, sur les évènements d'Al-Hoceïma ont été divulgués. Ces fuites volontaires, c’est ainsi qu’il faut les appeler et dont il faut identifier les sources, font état de "mauvais traitements" qu’auraient subi les détenus et un possible recours à « des faits de torture » que les deux médecins chargés de l’expertise qualifient de crédibles, souvent en s’appuyant sur les seules déclarations des personnes poursuivies dans les troubles d’Al Hoceima qui n’ont que trop duré. Il va de soi que ces assertions ont scandalisé la Direction Générale de la Sureté Nationale qui a rejeté catégoriquement des « accusations » qu’elle qualifie de « graves ». Le CNDH, lui, s’est dit étonné de ces fuites, assurant que ses enquêtes sur Al-Hoceïma n'ont "pas encore abouti". Que les conclusions des deux médecins n’ont pas encore été validées par le conseil et ne sont en conséquence que partielles et donc pas définitives. Soit. Mais alors pourquoi les avoir remis au ministère de la justice pour qu’il puisse en user devant les tribunaux ? Sans oublier qu’il faut bien déterminer qui a fait circuler les documents dans l’enceinte parlementaire. Autant parler d’une véritable cacophonie, une destination sans plan de vol.
Le CNDH est un organisme promue par la constitution de 2011 au rang d’institution constitutionnelle et ne peut en conséquence supporter aucun amateurisme. Autrement il perdrait toute crédibilité, sachant qu’il a des rôles majeurs à jouer dans plusieurs régions du Maroc. Dans le cas d’Al Hoceima, une situation extrêmement sensible, il se devait d’observer la plus grande des rigueurs avant de jeter de l’huile sur le feu. C’est sûr, on n’entre pas dans un commissariat de police comme on entrerait dans un hôtel classé où l’on est accueilli avec les sourires et des verres de thé à la menthe. Il va de soi que s’il y a des cas de torture avérés, la sanction devra être exemplaire, c’est même le souhait du Roi expressément formulé à l’issue du dernier conseil des ministres. Mais entre la rudesse « habituelle » des comportements policiers et la torture il y a une grande différence qu’on ne peut franchir sans autre forme de procès que, la plupart du temps, les déclarations des détenus qui pourraient avoir tendance à amplifier les faits.
En dépit des heurts entre les forces de l’ordre et les manifestants, malgré les arrestations qu’on espère aboutiront à un moment ou un autre à des élargissements et à une grâce générale, il faut admettre que policiers et gendarmes ont fait preuve d’une certaine retenue. On est loin des interventions militaires de 1965, 1981, 1984 ou encore 1990. Si on oublie ce que j’appellerai par euphémisme ce détail, on ne peut comprendre le chemin parcouru par le Maroc dans la gestion des manifestations de rue. C’est un acquis qu’il ne faut pas perdre en cours de route. La protestation est un droit constitutionnel qu’il est sain d’exercer, mais qu’il faut savoir arrêter. Une partie des Hoceimis a pratiqué ce droit. La réponse de l’Etat- qui n’est pas exempt dans cette affaire de toute erreur, a été double : maintien de l’ordre et négociation. N’est-il pas temps que la seconde s’impose à tous ? Car une manifestation qui ne saisit pas la main tendue et ne se conçoit que dans un interminable rapport de force se transforme vite en désobéissance civile.