National
Bipolarité, du psychiatrique au politique
De d à g : Saad Dine El Otmani, chef du gouvernement marocain, Jared Kushner, alors conseiller du président américain et Meir Ben-Shabbat, Conseiller à la Sécurité nationale d’Israël au Palais royal de Rabat le 22 décembre 2020.
Mercredi 26 mai, la Chambre des représentants a adopté, à la majorité, le projet de loi relatif à l’usage licite du cannabis. Sans le groupe du chef du gouvernement qui, obtempérant à une injonction de Abdalilah Benkirane, a voté contre.
Le PJD est, jusqu’aux prochaines législatives, le premier parti du Maroc. A ce titre il dirige le gouvernement et y occupe des postes importants à défaut d’être clés. Le projet de loi sur le cannabis, avant d’atterrir à la Chambre des représentants, est passé par le conseil du gouvernement que préside celui qui est à la fois son chef et secrétaire général du PJD.
Dans toute démocratie normale ce texte passerait, peut-être pas comme une lettre à la poste, mais avec le soutien du groupe du chef du gouvernement. Or ce n’est pas le cas. Comment donc interpréter la position du groupe PJD à la chambre basse si ce n’est comme une censure et un vote de défiance à l’égard de leur propre chef de file, Saad Dine El Otmani.
Mardi 22 décembre 2020, le même Saad Dine El Otmani signait devant le Souverain la déclaration conjointe tripartite Maroc, USA et Israël. Les trois parties y disent être « conscients que l’établissement de relations diplomatiques complètes, pacifiques et amicales est dans l’intérêt commun des deux pays, et qu’il contribuera à faire avancer la Cause de la paix dans la région ». Ce qui vaut re-reconnaissance par le Maroc de l’Etat d’Israël à laquelle adhère le chef du gouvernement et donc son parti. Une position conséquente que même le tonitruant Abdalilah Benkirane a fait mieux que ne pas la contester, il l’a soutenue.
Vendredi 21 mai 2021, le re-même Saad Dine El Otmani, en sa qualité de secrétaire général du PJD, adresse au Hamas un message de félicitation pour ses victoires présumées sur Israël qu’il qualifie d’entité sioniste. Ce qui équivaut à une dénégation du caractère d’Etat qu’il lui a reconnu en apposant sa signature sur la déclaration tripartite.
Que Hamas, d’obédience sunnite très Frères musulmans, soit le fer de lance de la politique extérieure de l’Iran chiite, n’a aucune importance. Plus important c’est que dans les deux cas, celui du cannabis et d’Israël, au-delà de ce que cela comporte d’électoralisme dérisoire, on est en présence d’un double jeu : ce que le groupe ministériel des islamistes signe de la main droite, le PJD le renie de la main gauche. Ou, plus exactement, ce qu’El Otmani valide de la main gauche, honnie dans certaines lectures religieuses, le PJD l’abjure de la main droite promise au paradis.
Ce comportement est caractéristique d’un trouble maniaco-dépressif collectif, étendant la bipolarité, affection mentale individuelle, au groupe et au politique. Mais dans ce type de pathologie, même les plus qualifiés des psychiatres, Saad Dine El Otmani doit en savoir quelque chose, ont des difficultés à poser un diagnostic certain. Ce qui est sûr par contre, c’est que dix ans de participation gouvernementale n’ont pas suffi à transformer le PJD en parti de gouvernement. Qu’en retenir ? Qu’il est sans doute temps pour lui de regagner l’opposition en vue de retrouver sa cohérence intellectuelle et renouer avec sa cohésion organisationnelle