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Carnegie Endowment : Analyse du retour marocain à l’UA
Le retour triomphal du Maroc à l'Union Africaine après une pause de trente-trois ans est le fruit d'une longue et intense offensive diplomatique visant à élargir son cercle d'alliés africains dont des nations clés dans des régions éloignées de sa sphère d'influence historique en Afrique. Compte rendu de l’analyse du “Carnegie Endowment”.
Maintenant que le royaume a réussi à rejoindre officiellement sa famille africaine, sa politique diplomatique et son comportement stratégique seront mis à l'épreuve dans une institution où ses adversaires politiques traditionnels, l'Algérie et l'Afrique du Sud, sont déterminés à bloquer toutes ses ambitions.
Selon le « Carnegie Endowment », le Maroc a des intérêts variés, mais se concentre sur deux grandes stratégies clés : attirer de nouveaux dirigeants africains modérés et pragmatiques avec des promesses d'avantages économiques et de sécurité dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant, et tirer profit de son poids économique croissant pour élargir son soutien politique sur la question du Sahara, que le Maroc a toujours considéré comme faisant partie intégrante de son territoire. Ces deux objectifs sont étroitement liés puisque les partenariats construits sur le pragmatisme assuré facilitent la coopération mutuellement bénéfique, ce qui créera des conditions d'entente politique.
Le récent rapprochement politique entre le roi Mohammed VI et le président Paul Kagame du Rwanda reflète ce nouveau principe d’organisation diplomatique, d'alliances politiques soutenues par des idées dynamiques et pragmatiques qui triomphent des dogmes idéologiques des époques précédentes, affirme le centre américain. Cette stratégie a été adoptée par la diplomatie marocaine pour la calquer sur le processus de normalisation avec l'Éthiopie, le Nigéria, le Ghana, la Tanzanie, le Sud-Soudan et la Zambie. La réorientation de la politique étrangère marocaine vers des régions longtemps considérées comme des territoires peu familiers ou hostiles a obligé le royaume à démêler ses propres paramètres de censure qui ont limité ses options diplomatiques aux pays qui appuient son gouvernement sur le Sahara.
Depuis que le Maroc s'est retiré de l'Organisation de l'Unité Africaine, qui est devenue l'Union Africaine en 2002, et ce en signe de contestation du nouveau siège de la République Démocratique Arabe Saharienne (RASD) autoproclamée (et c’est comme ça que l’appel le Carnegie Endowment, “autoproclamée”), il a pris position sur ce qu'il considère comme ses droits souverains inviolables. Au cours des trois dernières décennies, la question du Sahara a été un test décisif pour les relations entre le Maroc et l’Afrique.
Rabat a nourri ses alliés en Afrique francophone en déployant tous les outils économiques, culturels et de sécurité conventionnels pour consolider son cercle d'amis et déjouer les machinations de ses adversaires qui ont tenté de l'isoler de tous les groupements régionaux et internationaux.
Les fruits diplomatiques de cette stratégie ont été spectaculaires. En juillet 2016, lors du 27ème sommet de l'Union Africaine (UA) à Kigali, au Rwanda, vingt-huit pays africains ont écrit une lettre à l'UA demandant la suspension de l'adhésion de la RASD. L’ironie de cette démonstration diplomatique de force, est que bien que le Maroc bénéficie d'un soutien majoritaire au sein de l'UA, l'organisme est devenu ces dernières années une grande épine diplomatique pour le pays. Profitant de la désorganisation des alliés marocains au sein de l'UA, ses adversaires ont transformé l'organisation et ses différents mécanismes en entités de défense de la RASD au sein du conseil de sécurité des Nations Unies, de l'Union Européenne et d'autres institutions internationales. Le Maroc a également été délibérément exclu des plates-formes dirigées par l'UA pour la paix et la sécurité dans la région du Sahara sahélien, une région où le royaume a d'importants intérêts en matière de sécurité, d'économie et de culture.
Pendant plusieurs décennies, le Maroc a cherché à maintenir son influence dans l'Union Africaine tout en optant pour la chaise vide. Pourtant, ces dernières années, il est devenu clair qu'une chaise vide a créé un avantage stratégique à son adversaire. Le seul recours était de renverser des décennies de doctrine étatique, dont la pierre angulaire était d'expulser ce que le Maroc appelle un «fantôme», la RASD, de la seule organisation qui la reconnaît dans le monde. La décision de rejoindre un organe qui contient la RASD en tant que membre requiert un courage politique et une prospective stratégique importante, même si le Maroc ne cessera pas ses efforts pour mettre fin à ce qu'il considère comme une curiosité de la politique internationale.
Le retour du Maroc à l'Union Africaine est tenu de secouer l'organisation, car le pays est déterminé à s'opposer à toutes les actions, politiques et stratégies qu'il juge hostiles à ses intérêts vitaux. C'est exactement cette perspective qui a poussé ses adversaires, à savoir l'Algérie et l'Afrique du Sud, à faire de grands efforts pour tenter de bloquer son retour à l’UA. Le fait qu'ils aient été surpassés par l'offensive marocaine est un témoignage du solide soutien du royaume au sein de l'UA et un signe pour les batailles diplomatiques pour venir sur la question du Sahara et la tension maroco-algérienne perpétuelle sur le leadership régional dans la région subsaharienne.
L'objectif immédiat du Maroc est de pousser l'UA vers la neutralité, puis de gagner graduellement son soutien à une solution politique gagnante pour la question du Sahara. Avec son nouveau style de diplomatie affirmée tempérée par le pragmatisme, le royaume évite que son différend affecte sa volonté d'élargir le marché de ses produits et de ses entreprises en Afrique. La principale préoccupation du Maroc a toujours été la crainte d'être encerclée de par ses frontières orientales avec l'Algérie, ainsi que par la Mauritanie au sud.
Avec la montée du roi Mohammed VI au trône en juillet 1999, le Maroc a acquis une valeur économique importante pour ces partenariats stratégiques, au-delà des considérations de sécurité antérieures, ainsi que les relations personnelles traditionnelles étroites avec plusieurs dirigeants. Le récent rapprochement du royaume avec l'Afrique anglophone et sa poussée à rejoindre l'UA sont guidés par le même spectre d'encerclement géostratégique. Les relations commerciales du Maroc avec l'UE se sont trouvées empêtrées dans les décisions judiciaires et les considérations juridiques sur la question du Sahara. L'impératif pour le royaume étant de réduire sa dépendance vis-à-vis du marché européen et de rééquilibrer les économies africaines à plus forte croissance.
Le Maroc bénéficie d'un avantage comparatif significatif par rapport à ses concurrents régionaux, ce qui fait de lui, le premier investisseur en Afrique de l'Ouest et le deuxième plus grand investisseur du continent. Ses entreprises de pointe (y compris les banques, les assurances et les télécommunications), les entreprises industrielles (surtout les phosphates), les industries de plus en plus sophistiquée (aéronautique, électronique et automobile) et les capacités croissantes en énergies renouvelables, lui permettent de jouer un rôle de grande envergure dans l'avancée du roi Mohammed VI Dans cette optique, le pays a récemment lancé de grandes initiatives pour renforcer la durabilité de l'agriculture et améliorer la sécurité alimentaire grâce à la construction de méga engrais adaptés aux sols locaux dans plusieurs pays africains, notamment le Rwanda , L'Éthiopie et le Nigéria - trois pays qui ont longtemps refusé de soutenir le front Polisario. Un autre partenariat Sud-Sud ambitieux et stratégique est celui du récent accord entre le Maroc et le Nigéria pour construire un gazoduc transcontinental.
Maintenant que le Maroc a réussi de par ses forces diplomatiques et économiques à retrouver son siège à l'Union africaine, il est confronté à un nouveau contexte dans lequel il doit défendre ses intérêts fondamentaux tout en prouvant qu'il est un acteur responsable dont l'adhésion profite à l'UA, plutôt que d'approfondir les divisions du continent. Seul le temps nous dira si le mantra marocain du pragmatisme affirmé en diplomatie marquera le début d'une nouvelle ère de développement et de coopération mutuellement bénéfique pour le continent africain.