Elections 2021 : L’Etat ancestral – Par Naïm Kamal

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Le Roi Mohammed VI au Palais royal de Fès, 5 juillet 2021 : l’Etat de toujours, incontournable dans sa continuité, n’est pas étranger à la débâcle du PJD

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Au siège du RNI à Rabat, jeudi en milieu de journée, l’ambiance est joyeuse et le ton festif. Ils le seraient à moins. L’arrivée en tête des partis au scrutin du 8 septembre, pourtant, attendu prend d’autant plus des allures de triomphe que le PJD, avec ou sans Benkirane, est à terre. « Je crois que même l’Etat n’a pas prévu pareille débâcle», glisse, mi- taquine mi- sérieuse Maria Moukrim, patronne de Febrayer.com. 

Il n’y a pas mille et une façons de qualifier la Bérézina islamiste : Une divine surprise. 

Mais Aziz Akhannouch qui avait déjà ‘’atterri’’ a la victoire humble et le ton modéré : «notre but n'a jamais été de faire face à un courant politique ou à un parti précis, mais plutôt de répondre à l'initiative de militantes et militants du RNI aspirant à l'édification d'une formation forte qui interagit avec les attentes des citoyens.».  Sans prétention, il esquisse la majorité que son parti veut former, cohérente et harmonieuse, autour du programme du RNI, mais aussi et surtout pour porter les grands chantiers fixés par le Souverain. La messe est ainsi dite.

Un parcours sans faute

Analystes et essayistes auront sans doute à revenir sur le parcours des cinq dernières années de cet homme qui, froidement, ne s’est laissé à aucun moment démonter ou distraire de son objectif, imperturbable face aux vents et marées. Quelle que soit la suite, il aura marqué de sa griffe la vie partisane et la manière de faire la politique au Maroc à l’ère du tout informatique, stimulée tout aussi bien que compliquée par le contexte pandémique. 

La carte politique qui a émergé de ce scrutin donne une palette de combinaison pour la formation d’une majorité, mais l’embarras du choix se réduit d’autant dès que l’on pose la question qui fâche : qui pour tenir l’opposition parlementaire nécessaire à l’animation de la vie normale d’un Parlement, le PJD n’étant plus en mesure de jouer ce rôle ? Le PAM ou l’Istiqlal ? L’Istiqlal et le PAM ? L’Istiqlal et l’USFP en perspective d’une future alternance ?  

L’impossibilité dans laquelle se retrouve le PJD de jouer ce rôle après son crash reste à comprendre. Mais tout ce que les islamistes du gouvernement pourront invoquer pour justifier leur défaite ne peut rendre compte de ce qui s’est passé ce mercredi 8 septembre 2021. Ni les lois et le découpage électoraux, ni l’adoption d’un nouveau quotient qui - in fine - lui a sauvé la mise, ni le présumé usage de l’argent, ni le recours aux notables ancré dans le tissu social, ni la transhumance politique routinière depuis les premières élections qu’a connues le Maroc ne sont suffisants pour expliquer des dégâts qui n’ont épargné même pas son secrétaire général, Saad Dine El Otmani, déménagé de Mohammedia, parachuté à Rabat pour lui assurer un siège. 

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Dans sa chronique, Bilal Talidi, spécialiste des mouvements islamistes que l’on ne peut soupçonner d’hostilité au PJD, livre les raisons profondes de la débâcle de Saad Dine El Otmani et de ses amis. Mais une des clés de compréhension réside dans la nature même du PJD que l’on oublie souvent : Un regroupement à l’arrachée d’une constellation de mouvances islamistes locales et groupusculaires dont les divergences ont rythmé son parcours depuis sa création à travers des polarisations parfois frontales et sanguines. Les observateurs assidus de la vie du PJD se rappellent encore la violence de la sortie de Abdalilah Benkirane contre Abdelaziz Rebbah, en public et en sa présence, lorsqu’il lui a lancé « tu commences à sentir mauvais » (rihtaque 3tate a Rabbah).

2011 et 2016, des votes vengeurs

L’élan de ce que l’on appelle abusivement le printemps arabe et la dynamique victorieuse qui en a découlé, sur lesquelles la personnalité prégnante et tonitruante de Abdalilah Benkirane avait admirablement pris, avaient permis à l’esprit unitaire de prévaloir sur les divergences de sensibilité et de tendance. L’exercice d’une parcelle du pouvoir et l’excroissance des egos qui l’ont accompagné ont vite fait de favoriser la réémergence de l’hétérogénéité du mouvement que cachaient de plus en plus mal les appétits et les ambitions personnelles, favorisés ou contrariés par l’accession aux postes gouvernementaux, aux cabinets ministériels qu’ils ouvrent et aux promotions administratives qu’ils facilitent.

Les victoires grisantes du PJD aux législatives de 2011 et 2016 n’ont été possibles que parce qu’une partie importante de l’électorat, quoique difficilement quantifiable, essentiellement urbaine, mais assurément pas forcément islamiste, s’était portée sur le parti de la lampe. Dans une société travaillé par la foi, la virginité politique du PJD, son discours axé sur la vertu véhiculée par des hommes pour la plupart d’extraction populaire et paradoxalement « ruraux », l’on fait apparaitre comme une salvatrice alternative à des élites politiques réputées corrompues et soumises au pouvoir. La personnalité haut en couleur de Abdalilah Benkirane et son art consommé de la polémique qui ne répugne pas à la diatribe ont fait le reste. 

Mais, si l’on n’y fait pas très attention, le pouvoir ne pardonne pas. Dans le cas du PJD, Il était presque écrit que ces qualités, réelles ou supposées, ne résistent pas à l’exercice du gouvernement, ses honneurs et ses apparats corrupteurs. Sans revenir nécessairement sur les multiples exemples qui en attestent, les chantres de l’éthique fondamentalement religieuse se sont transformés, sans se rendre compte eux-mêmes des dégâts ainsi causés, en parangons du vice peu soucieux de la congruence du discours avec les comportements. Il n’en fallait pas plus pour que la dévotion religieuse finisse par devenir aux yeux des populations bigoterie. 

Le maitre des horloges

Tout à leurs querelles d’épiciers présentées comme autant de saines pratiques de la démocratie interne, les meneurs du PJD n’ont pas pu ou su détecter cette défection populaire qui couvait. Pourtant ses signes étaient perceptibles sur les réseaux sociaux, dans les discussions de café et les échanges entre taxieurs et ‘’taxiés’’. Tout au plus les prenaient-ils pour de dérisoires opérations de déstabilisation téléguidées par « l’Etat profond ». A leur décharge, même les pronostiqueurs les plus avisés n’ont osé imaginer la dimension sidérale de cette défection qui a pris les allures d’une répulsion collective et d’un rejet sans recours.  

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Reste à préciser que l’Etat de toujours, incontournable dans sa permanence, n’est pas étranger à cette débâcle. Avec la patience inhérente aux institutions séculaires, se focalisant sur l’essentiel, il a laissé, en maitre des horloges, le temps faire son travail. Dix ans, c’est long. Et l’Etat, pour reprendre la formule d’un fin connaisseur de l’histoire du Maroc, est « une machine formidable et implacable à digérer toutes les contestations ». Son retour affirmé, depuis le discours du trône de 2017, sur le terrain du social que le programme d’ajustement structurel des années 1980 lui avait fait quitter, a reconfirmé son indispensabilité cependant que le PJD offrait le désastreux spectacle de s’opposer à lui-même et d’enrayer la mécanique. 

L’épisode du projet de loi sur la légalisation du cannabis qui a vu le groupe parlementaire du PJD déstabiliser son propre chef du gouvernement n’est que le dernier en date d’une série d’incohérences et d’inconséquences. La forte présence de l’Etat et de ses hommes dans la gestion de la crise sanitaire, son efficacité jusque-là dans le cantonnement du coronavirus ont convaincu plus de 50% des inscrits, un taux quasi historique dans une conjoncture des plus compliquées, à s’en remettre à l’Etat ancestral plutôt que de continuer à se livrer à des dévots, ou prétendument tels, qui lui font perdre son temps précieux en se crêpant la barbe sur des évidences censées ne pas faire débat. 

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