National
Elections : La Fédération de la Gauche dans tous ses états
Mohamed Sassi, une certaine idée (utopique ?) de la gauche et Nabila Mounib, au nom du pragmatisme…
L’expérience de la gauche au Maroc présente de multiple facettes de la fragmentation, mais que des expériences très limitées d’unité.
Aux débuts, le scissionnisme a pris sur un différend portant autant sur les choix idéologiques que la tactique à adopter face au pouvoir : l’option révolutionnaire, le rapport à l’Etat, la longue controverse sur la rupture vs l’attentisme et le combat avec ou indépendamment des masses populaires ont si occupé la gauche marocaine qu’à la fin elle s’est fracturée sans avoir vraiment tranché.
Cette longue gestation a accouché de trois lignes : la première, réformiste incarnée par Abderrahim Bouâbid ; la deuxième, révolutionnaire prônant l’action armée menée par Fqih Basri, et la troisième, syncrétique, tentant l’improbable conciliation de ces deux lignes à laquelle s’est attaché Abderrahmane El Youssoufi.
Une longue tradition de scission
Les divergences au sein de la gauche « classique » issue elle-même de la scission au sein du mouvement national (Istiqlal) s’amplifieront sous le poids de facteurs régionaux (défaite face à Israël de 1967, courant panarabiste lui-même fracturé etc.). Leurs répercussions sur la situation de la gauche au Maroc, couplées aux hésitations et reflux dans la réalisation du projet révolutionnaire furent telles qu’elles ont ouvert la voie à l’émergence de la Nouvelle gauche sur un référentiel franchement marxiste-léniniste. Mais très vite cette Nouvelle gauche va voir à son tour éclore en son sein des tendances au référentiel maoïste et trotskystes. Si bien qu’avant même d’avoir pu prendre véritablement forme dans le « front des étudiants progressistes », le mouvement marxiste-léniniste au Maroc va se décliner en une kyrielle de mouvances groupusculaires qui vont se faire connaitre sur le campus sous le label trompeur de « frontistes».
L’expérience du rêve et de poussière [de la gauche marocaine], pour reprendre l’expression de l’écrivain et ancien gauchiste Abdelkader Chaoui, a abouti à l’enfantement d’un peuple de gauche « pluriethnique », dont le flanc réformiste est traversé par des partis multiples. Certains partis ont conservé leur ossature en opérant des modifications substantielles dans leurs allégeances idéologiques (PPS), d’autres ont introduit des changements de fond sur leur ligne politique (l’USFP lors du congrès extraordinaire de 1975), marquant une rupture voulue totale, néanmoins ambiguë, avec l’option révolutionnaire au profit de l’option démocratique réformiste, la considérant désormais comme principale voie d’accès à la libération. D’autres ont pris des trajectoires différentes sans pour autant échapper au mal
de la division (OADP).
Une prometteuse expérience
Le front radical, lui, est entré dans une spirale interminable de scissions dont il continue à ce jour de subir les contrecoups.
Cette perméabilité de la gauche aux démons du fractionnement, n’a d’égale que son inaptitude à produire des expériences unitaires larges et durables. Les unes ont été dictées par des considérations organisationnelles et électorales (USFP Parti travailliste et une partie de l’OADP reformée sous le sigle PSD), d’autres ont obéi à des motivations de proximité idéologiques et politiques (Gauche socialiste unifiée et Fédération de la gauche).
L’idée des courants défendue par Mohamed Sassi (ancien USFP et ex-Congrès Narional Itihadi), et par bien d’autres, a donné lieu à une prometteuse expérience unioniste qui regroupe l’ancienne nouvelle gauche, ce qui restait de l’OADP et d’anciens usfpéistes qui s’étaient rangés sous la bannière de Noubir Amaoui au sein du parti du Congrès, ainsi que du PADS issu d’une scission antérieure au sein de l’USFP. Fondé sur le principe de l’alternance des courants sur la direction du front, elle a pu créer l’illusion d’une reconstitution au sein d’une même force de composantes de la gauche. Sauf qu’à l’épreuve de sa mise en œuvre, elle est restée otage d’un certain clanisme qui risque, à l’approche des échéances électorales, d’en signer la fin.
L’expérience de la direction collégiale dans laquelle Nabila Mounib a pris ces derniers mois une place proéminente, le travail probant de leur seul député qui les a rejoints plus tard, Omar Balafrej, à la Chambre des représentants laissaient entrevoir une certaine réussite et un rayonnement éthique de la Fédération. Mais derrière ce paravent modèle, les différends internes n’ont cessé de s’amplifier.
Certains tentent de réduire les prémisses du divorce au sein de la Fédération de la Gauche Démocratique à une histoire d’égo ramenée à la personnalité de Nabila Mounib, à ses erreurs dans la gestion de l’organisation, à ses écarts en matière de communication politique et à une certaine raideur dans sa gestion du relationnel. Mais le problème semble beaucoup plus compliqué.
L’effet du nouveau quotient électoral ?
La récente décision de Mme Mounib d’entrer en campagne électorale loin de la Fédération de la Gauche, alors même que ses composantes avaient déposé ensemble auprès du ministère de l’Intérieur leur résolution de se présenter sous la bannière de la FGD, révèle que la question ne se résume pas à des considérations subjectives, mais concerne une donne bien objective. Les lois électorales, ayant substantiellement réduit les chances de voir ce spectre de la gauche remporter des sièges, ont compliqué la procédure de candidature en interne avec ce qu’elle implique en termes de gestion organisationnelle astreinte à tenir compte de l’équilibre entre les différentes composantes de la Fédération.
C’est sans doute la faible probabilité de remporter des sièges qui a en définitive amené Nabila Mounib à retirer le PSU et à faire cavalier seul aux élections générales au lieu de faire cause commune avec les autres composantes de la Fédération de la gauche. Estimant sans doute qu’ainsi elle a plus de chances. C’est dire qu’en définitive le facteur électoral a eu raison des affinités idéologiques et des considérations unionistes.
Mohamed Sassi, Mohamed Moujahid, et Mohamed Hafid, qui ont tous défendu l’idée d’une union de la gauche sur la base des courants, mènent une révolte organisationnelle qui conteste la décision de Nabila Mounib de sacrifier le bien commun sur l’autel électoral en engageant le PSU à entrer aux élections sans considération pour les positions des autres composantes de la Fédération de la gauche. Ils fondent leur position sur les statuts de la Fédération qui soustraient à la décision partisane unilatérale trois domaines majeures : Les questions d’ordre constitutionnel, la cause nationale et les élections. Mais leur tentative a peu de chance d’impacter le cours des évènements, la bataille étant en définitive entre le normatif « sassien » et le pragmatisme « mounibien » qui monte au front électoral en solitaire au prétexte d’aller au contact des électeurs.
La ligne pragmatique l’emportera, car la rareté des chances électorales, ainsi aggravée par la modification du quotient électoral, a amené une partie du PSU à faire prévaloir ses intérêts électoraux aux dépens de l’idéal unioniste qui conditionne en principe la force et le poids de la lutte démocratique. Il est tout aussi probable que le courant électoraliste agisse également au sein des autres composantes de la FGD, car le temps ne joue pas en faveur de la consolidation de l’unité de la Fédération, mais plutôt de l’entrée sans attendre dans l’opération électorale pour assurer le minimum de chances aux ambitions personnelles de se retrouver sous la coupole parlementaire.
Forte de son intégrité idéologique, la ligne « normative » jouit d’une crédibilité dans la défense de ses options, mais elle semble en déphasage avec les transformations qui se sont opérées au sein du peuple de la gauche. Mohamed Sassi, qui reprochait à l’USFP d’avoir substitué l’électoralisme à sa vocation réformiste, est en train d’assister au même processus à l’œuvre au sein de Fédération de la gauche dont la construction et la promotion sur la base de l’unité dans la pluralité, lui ont demandé tant de sacrifices et d’abnégation.