Entre ‘’lit légal’’ et histoire à dormir debout, la bien-pensance religieuse récuse l’ADN dans la filiation, absurde ! Par Soukaïna Regragui

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En toute bonne conscience, on récuse le recours à l’ADN pour l’authentification de la filiation et on se contente d’une demi-mesure. Sans se soucier de ce que cette demi-mesure induit comme déni de bébés jetés dans les poubelles, d’enfants livrés à la traite, de bambins entassés dans des centres de protection sociale, abandonnés à la rue dès leur majorité. Sans soucier non plus de ce que ce déni fait endurer aux mères célibataires. 

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Comment admettre en 2025 que l’expertise génétique ne soit pas autorisée pour sortir des enfants d’injustices, d’inégalités et leur assurer protection ! Le Code de la famille 2004 n’a pas garanti les droits des enfants nés hors mariage. Tous les enfants ne sont donc pas traités de manière égale. Ni coupables ni responsables de leur naissance, souvent issus de viols, que deviennent ces nouveau-nés, ces enfants, ces adultes de demain, exclus, déshérités, non du seul héritage matériel s’il existe, mais de toute ascendance et du reste. 

Leur naissance en devient un stigmate qu’ils porteront jusqu’à leur mort comme une balafre infamante : « wlad azina », bâtard. 

Enrayer les inégalités

Excusez la dureté, mais les gardiens du temple y tiennent ! Pourtant, en 2002, le Roi insistait sur « L’adoption inédite d’un habillage linguistique juridique contemporain, et parfaitement en phase avec les prescriptions et les finalités généreuses et tolérantes de l'Islam ». Il recommandait « Le droit de l'enfant à la reconnaissance de sa paternité, au cas où le mariage ne serait pas formalisé par un acte, pour des raisons de force majeure, le tribunal s'appuie à cet effet sur les éléments de preuve tendant à l’établir la filiation. Une période de cinq ans est prévue pour régler les questions restées en suspens, ceci pour épargner les souffrances et les privations aux enfants dans une telle situation. » 

Enrayer les inégalités est une urgence, tant la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels, entre filiation paternelle (nassab) et filiation parentale (bounouwa) est lourde à porter pour les enfants d’abord, et pour la société qui en paye à bas bruit le prix. 

Tous les enfants ont droit à une protection identique de la loi ? Non, assènent les oulamas impliqués dans les propositions de réforme ! 

Avec la Moudawana 2004, par exception et à la discrétion des juges, l'empreinte génétique ADN est admise pour reconnaître la filiation paternelle. Mais, la filiation parentale qui rétablit les mêmes droits pour tous les enfants reste rejetée même si l’ADN la prouve. Ainsi, le père n’est pas reconnu juridiquement, il est seulement reconnu père biologiquement, ce qui exclut « l’enfant d’azzina » de droits fondamentaux, dont l’héritage et, surtout, le confort mental, nécessaire à ses équilibres, de se sentir un enfant comme les autres. 

En toute bonne conscience, ils récusent. Sans se soucier de ce que cette demi-mesure induit comme déni de bébés jetés dans les poubelles, d’enfants livrés à la traite, de bambins entassés dans des centres de protection sociale, abandonnés à la rue dès leur majorité. 

Sans soucier non plus de ce que leur déni fait endurer aux mères célibataires

En refusant à des enfants qui n’ont rien demandé le droit à la paternité sans exclusif, ils en font de vrai-faux orphelins, s’auto-absolvant ainsi de la prescription cornique فأما اليتيم فلا تقهر (Quant à l’orphelin, ne le brime pas). 

Le dictat du corpus religieux est que les constantes, a-tawabit, sont le Coran, Sunnah, le fiqh, protecteurs de l’équilibre sociétal dont ils se proclament les jaloux gardiens. Soit. Mais le fiqh commande de la même manière l’Ijtihad, l’effort intelligent de réflexion jurisprudentiel, souple dans le rite Malékite. 

La leçon de l’endormi 

Les finalités de l’islam étant le rétablissement de la justice et l’équité, les premiers fouqahas n’auraient-ils pas reconnu l’ADN si cet outil avait existé à leur époque, outil quasi infaillible de ce rétablissement de la justice et de l’équité auxquelles l’enfant né en dehors du mariage, dans l’esprit même de l’Islam, a un droit irréfragable ? Il est permis de penser que oui, sachant que les jugements reconnaissaient déjà la filiation par la simple ressemblance au père, de même qu’ils admettaient arraged, le ‘’fœtus endormi’’ dans l’utérus, une histoire à dormir debout, qui se réveille miraculeusement des années après l’absence ou le décès du mari. N’était-ce pas pour protéger enfants et mères ?  Assurément, en dépit de toutes les hypocrisies sociales que recèle ce procédé.

L’ADN, outil scientifique fiable à 99,99 %, est déclaré non fiable à 100 % ! Le même ADN qui permet de dater des squelettes, des crânes, dont un Homo-sapiens remontant à 130.000 ans, récemment découvert au Maroc. De même qu’est déclarée irrecevable l’égalité entre tous les enfants, ratifiée dans les conventions internationales, inscrite dans la Constitution 2011, l’article 32 stipulant : « Une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, abstraction faite de leur situation familiale »

L’injonction des oulamas est que la filiation parentale ne peut être légitimée que par zawaj Charia, et alfirach, littéralement « le lit, légal », et non par l’ADN car c’est charia qui légitime le et non l’ADN. 

Auraient-ils peur de se retrouver dépossédés d’une autorité que leur confère le « gardiennage » de la charia ? 

Reconnaître l’ADN reviendrait à décourager le mariage charîi (légitime), et à encourager les naissances d’enfants ignorant leurs géniteurs, favoriser également la débauche et l’inceste, affirment-ils. Sans même se rendre compte que ces travers sociétaux communs aux sociétés humaines, se soucient peu de la légalisation du recours à de l’ADN ou pas, pour trouver leur voie à l’accomplissement, sachant que précisément, entre autres objectifs, la reconnaissance de la filiation par l’ADN quête la réduction autant que faire se peut des drames et dégâts collatéraux de ces phénomènes sur ces laissés pour compte. 

Alors que les sciences et la médecine particulièrement ont fait des pas de géants, que l’Intelligence artificielle est en train de révolutionner le monde, que la physique quantique est en passe de bouleverser la notion même du temps et de l’espace, les fouqahas nous disent :« nous restons-là où nous sommes » (إنا ها هنا قاعدون). Accablant !

`Pourquoi ne s’inspirent-ils pas de Omar Ibn Al Khattab qui, en temps de disette, décréta de ne pas couper la main du voleur, commandement pourtant coranique ? Coupe-t-on aujourd’hui la main de voleurs ? Tout aussi commandement coranique, la lapidation des « coupables » d’adultère. La lapidation est-elle pratiquée ? 

Certes, le double référentiel de la Moudawana pose problème et le posera tant que les approches ne sont pas pensées dans une perception islamique humaniste. Car il n’existe réellement aucune opposition ou contradiction entre référentiel religieux et référentiel des droits humains universalistes. Les valeurs humanistes de justice, de dignité auxquelles appelle l’Islam sont ces mêmes valeurs universelles. Le Coran interpelle toujours l’humain dans son humanité. Et c’est dans ce même sens de l’humanité que les annonces du 24 décembre 2025 rejetant l’authentification de la filiation par l’ADN ne sont pas acceptables. Les politiques doivent renoncer à leurs calculs électoraux. Le projet de Moudawana est encore en débat. La société civile réaffirme ses revendications : l’intérêt supérieur de l’enfant, la non-discrimination par la loi, le recours à l’expertise génétique.   

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