National
La Démocratie en galère…
Abdalilah Benkirane, « le produit de la vanité de la démocratie par l’urne »
Pour quelles raisons avais-je été amené à poster à nouveau une chronique vieille de plus de deux ans où je mettais en exergue la vanité de la démocratie par l’urne, et nos prétentions à reproduire chez nous les schémas de la démocratie occidentale malgré les images peu réjouissantes qu’elle offre de temps à autre?
Je me suis risqué sur ce sujet particulièrement sensible pour deux raisons. La première est le spectacle affligeant donné par les élections du 12 Juin dernier en Algérie, la seconde réside dans les perspectives inquiétantes que nous réservent nos propres élections en Septembre prochain.
S’agissant de l’Algérie, on constate que le taux de participation est toujours au plus bas et n’arrive guère à dépasser le seuil incompressible que n’importe quel régime arrive à égaler. Faut-il y voir juste le rejet de la junte militaire honnie par le peuple dont les aspirations légitimes sont constamment bafouées ? Est-ce l’expression du ras-le-bol face à la gabegie et l’incurie plébiscitées comme mode de gouvernance par le quarteron de généraux séniles qui peinent à tirer le pays du marasme où il se trouve ?
Délabrement moral d’une société en souffrance et délitement avancé d’un gouvernement en perdition, expliqueraient pour certains la désaffection massive à l’égard des urnes. On ne peut cependant affirmer que la situation chaotique du pays est à elle seule responsable de cette désaffection qui s’apparente à une démission de toute la nation de la chose publique.
Depuis l’indépendance, l’Algérien s’est progressivement détourné de l’urne, car instruit par l’expérience il a compris que ce n’est pas l’acte de voter qui conduira aux changements souhaités. La douloureuse expérience (communales de 1990 et les législatives décembre 1991-janvier 1992) qui a vu la victoire du FIS* (qui a profité d’un moment d’égarement de l’Etat profond), a montré que même avec des élections libres, des dérapages ne sont pas à exclure. Echaudé sûrement, mais sceptique aussi ! Sceptique à l’égard de l’acte de voter ou sceptique face à l’ensemble du jeu démocratique ?
Dans le subconscient collectif le vote est la voie royale vers la démocratie. Comme cette voie est pervertie, c’est toute l’image de la démocratie qui prend un sale coup.
Au Maroc la situation est radicalement différente, mais il existe des relents de scepticisme qui n’est pas sans rappeler celui des Algériens. Si le boycott des urnes par nos voisins a été salutaire en réponse à ce que leur fait endurer la junte militaire, un boycott des urnes par les Marocains serait extrêmement périlleux pour le pays.
L’abstention c’est la victoire garantie des islamistes et donc la troisième législature d’affilée pour le PJD. Une éternité ! Le discours crasse des islamistes, s’il arrive à endormir la vigilance du peuple, sait par contre réveiller les instincts grégaires et les relents nauséabonds et sombres du subconscient populaire. Un discours mobilisateur pour une frange, certes réduite de la population, mais suffisamment importante pour remporter haut la main des élections boycottées par l’écrasante majorité.
On se retrouvera, une fois de plus face à un immense paradoxe où le parti le moins démocratique serait le seul à jouer la carte de la démocratie par l’urne.
Quel gâchis pour la démocratie ! Mais quelle parade avons-nous pour que la mascarade des urnes ne nous oblige à reconduire pour cinq nouvelles années, un mouvement largement engagé dans son œuvre de démolition du pays ? La notion de vote démocratique vole en éclat, et a du mal à s’imposer
Le vote démocratique est un pléonasme, et surtout une grosse illusion. Pléonasme car un vote est d’essence démocratique. Car le vote est un choix fait en toute liberté, laquelle liberté est pour beaucoup la finalité de la démocratie. Pourquoi c’est aussi une grosse illusion ? Parce qu’en général il y a un doute sur la liberté réelle de nos choix, même dans le secret de l’urne.
Un doute légitime entoure cette liberté quand on voit les conditionnements auxquels sont soumises les populations et surtout celles qui sont généralement les plus promptes à courir les urnes. En Occident elles sont soumises aux matraquages publicitaires et médiatiques, et dans nos pays elles sont victimes de discours obscurantistes faits de religieux, de peur, de haine et même du fantasque. Rien d’étonnant qu’un peu partout dans le monde les votes aboutissent à des résultats grotesques. Trump, Bolsonaro, Urban, le mouvement cinq étoiles en Italie, la montée en puissance de RN en France, et ces jours-ci la victoire de Raïssi en Iran, autant de cas (non exhaustifs) qui dénotent que le vote ne saurait être la panacée pour une bonne assise démocratique.
La défiance à l’égard du vote est générale, car il ne permet plus les changements souhaités, pire, les changements qui en résultent des fois sont plus dommageables. La défiance à l’égard du vote prend dans certains pays la voie de défiance à la l’égard de la démocratie tout court. C’est une situation qui prend une tournure très inquiétante dans la mesure où les forces politiques, hors PJD, sont incapables d’un sursaut mobilisateur pour amener un maximum de citoyens aux urnes.
Faut-il interrompre le processus électoral ou laisser faire au risque d’un nouveau dérapage avec la victoire annoncée du PJD ?
On va tout mettre sur le dos des partis politiques. Ils ont bon dos, mais les responsabilités sont ailleurs. Nous étions pendant plus d’une année obnubilés par les risques de la pandémie, et depuis quelques mois trop occupés et passionnés par la «Ghali Gate» et maintenant nous essayons de décrypter tant bien que mal le Nouveau Modèle de Développement. Alors que l’urgence commandait qu’on commençât par mettre en place un Nouveau Modèle du Religieux. Pour contrer et mettre fin pacifiquement à l’aventurisme islamiste, il eût fallu réformer d’abord le Champ Religieux avec, au préalable, la refondation de la Commanderie des Croyants.
Nous n’avons d’autres choix que de conférer l’exclusivité du Champ Religieux à la Commanderie des Croyants, pour interdire implicitement à toute force politique d’utiliser le référentiel Islam pour couvrir ses agissements. (Cf. ma chronique : (https://bit.ly/3egsC5T).
C’est un chantier primordial, et pour sa mise en œuvre on peut parfaitement accepter le report de quelques mois des élections, au lieu de compromettre les cinq ans qui viennent.