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La forêt de Haouzia, un bol d’oxygène et un puits de carbone menacés - Par Mustapha JMAHRI
A l’intérieur du site forestier, il y avait eu des coupures d'arbres, des ouvertures de voies, une exploitation du sable, des créations d’espaces récréatifs et du dessouchage. D’autres actions semblaient s'étendre sur le terrain forestier pour l'intégrer à l'espace clairière
Selon des anciens de la ville d’El Jadida, la petite forêt de Haouzia fut plantée dans les années 1939-40 de manière progressive. Située le long de la bande côtière, cette forêt à l'entrée d'El Jadida peut être considérée, à juste titre, comme source d'air frais et de puits de carbone pour cette ville. Elle a joué un rôle important notamment pour retenir le sable de la côte entre El Jadida et Azemmour et créer un microclimat bénéfique pour la région. Les voyageurs et les visiteurs de la ville, arrivant par la route nationale de Casablanca, étaient bercés à l’entrée par la fraîcheur légendaire de cette forêt d'eucalyptus, de pins, de mimosas, d’acacias, de plantes épineuses et de quelques araucarias.
Une côte classée zone forestière et SIBE
Vers 1933, Henri Pillet se souvient (courriel du 5 juillet 2024) que son grand-père Émile y exploitait quelques parcelles, car il n’y avait pas ou peu de bois dans ce secteur à l’époque. Celui-ci, pour faire un essai de culture d’endives, y avait creusé un tunnel ! La rampe en pente était dans la forêt actuelle à peu de distance de la route nationale et à la hauteur du virage de la faculté de Droit. Henri ajoute : « J’en avais retrouvé les traces en 2008 avec l’aide de mon oncle, mais il y avait trop de végétation pour aller jusqu’au tunnel proprement dit qui était quasiment sous une dune. Certains Marocains confondaient cet ancien tunnel avec des vestiges portugais ».
Un ancien journal paraissant au Maroc (Maroc Presse du 11 décembre 1950) signale que c’était Marcel Rivault, doyen de la commission municipale de Mazagan, qui était à l’origine de « la plantation des bois qui bordent la route d’Azemmour à Mazagan ». Si l’on en croit ce document, l’idée de créer cette forêt est donc partie, au temps du Protectorat, de la municipalité d’El Jadida alors que la zone concernée par ce boisement se trouve sur le territoire d’une autre commune, Haouzia.
En 1942, par arrêté viziriel, cette côte située entre Azemmour et El Jadida fut classée zone forestière et SIBE (Site d’intérêt biologique et écologique). Dans les années 1950, la forêt était bien dense et arborée. Selon Élie Acoca, les jeunes d’El Jadida s’y rendaient à bicyclette pour y passer la journée. D’autres, comme Suzanne Capelli et ses amies, y allaient dans les années 1960 pour cueillir des champignons et des asperges sauvages.
Un dépérissement progressif et préoccupant
Aujourd’hui la situation de la forêt Haouzia est bien préoccupante. Peut-être même qu'elle est en train de disparaître tout doucement. Ce dépérissement progressif a été constaté avec acuité ces dernières années notamment avec les sécheresses répétées, les changements climatiques et le manque d’entretien. À ce rythme, on ne s'étonnera pas si un jour elle ne soit plus qu'un doux souvenir de jeunesse.
Cet état est imputable, selon des connaisseurs, à plusieurs raisons. D’abord l’espace de cette forêt a vu l’installation, dans les années passées, de trois projets hôteliers successifs. Si l’implantation de projets touristiques dans le cadre du Plan Azur a sensiblement empiété sur la bande côtière de la forêt, ce n’est pourtant pas le principal facteur de la diminution de la forêt de Haouzia. En fait, la grande partie de la forêt qui est en voie d’extinction se situe surtout le long de la route reliant El Jadida à Azemmour, plus ou moins en face de l’ancien pénitencier agricole de l’Adir.
Les hôtels Mazagan Beach & Golf Resort, et Pullman Royal Golf ont des espaces verts très bien entretenus, et la construction du Zéphyr Mazagan n’a sacrifié qu’une toute petite partie de la forêt.
Ensuite, l’accès à l’eau souterraine est devenu plus difficile suite au rabattement de la nappe phréatique de ces dernières décennies. On peut évoquer aussi le fait que les pieds d’arbres ont été plantés depuis plus de 80 ans et qu’ils ont donc très probablement atteint leur limite de longévité. De plus, l’absence d’association de ces arbres (du côté de la route d’Azemmour) avec d’autres espèces végétales compatibles ne contribue pas à la création d’un sol végétal susceptible de favoriser leur longévité. Enfin, la situation climatique exceptionnelle vécue par l'espace marocain et méditerranéen en général dans les cinq dernières années, sans négliger l’action de l’homme, ont également une influence.
Le géographe Abdelwahed Hafid constate que la conjoncture caractérisée par la sécheresse du fait de l’augmentation de la chaleur et du recul des précipitations a conduit à la diminution de la nappe phréatique dans la province d'El Jadida. Il ajoute aussi un autre fait historique relatif à la pression exercée sur la nappe phréatique au niveau de la zone côtière de l'Oulja depuis l'arrivée des colons européens qui exploitaient les terres étendues sur la route côtière entre Bir-Jdid et Oualidia. Après le départ des colons cette pression n'a pas faibli car leurs successeurs exploitants marocains continuèrent presque sur le même rythme, ce qui a réduit le volume d'eau dans la nappe phréatique de l'Oulja. Au long de cet espace, dont Haouzia fait partie, des arbres furent plantés notamment des eucalyptus. Mais ce genre d’arbres importés de la région tropicale ne convient pas au climat et à la nature du sol marocain. Cette difficulté allait s’accentuer dès lors qu'on s'éloignait du Sahel.
Un sérieux risque d’extinction
L’association « Doukkala Mémoire pour la Préservation du Patrimoine » avait noté, pour sa part, qu’à l’intérieur du site forestier, il y avait eu des coupures d'arbres, des ouvertures de voies, une exploitation du sable, des créations d’espaces récréatifs et du dessouchage. D’autres actions semblaient s'étendre sur le terrain forestier pour l'intégrer à l'espace clairière. Cette même association avait d’ailleurs pris l’initiative d’organiser une entrevue de son président, Abdelahad Fassi-Fehri, avec le Directeur de l’Agence nationale des Eaux et Forêts dans ses bureaux à Rabat il y a déjà quelques mois. L’état de la forêt de Haouzia fut parmi les points soulevés et discutés.
Si l’on n’y remédie pas la forêt de Haouzia peut disparaître. D'autres forêts en Doukkala pourront connaître aussi le même sort, telle la forêt de Bouhmame (sur la route régionale 202) près de Sidi Bennour qui a presque disparu.
Le réchauffement climatique, le manque de précipitations, l’absence d’entretien des arbres et la salinisation de la nappe provoquent inévitablement la sécheresse des sols et la dégradation de la forêt. La disparition de la flore entraîne la disparition de la faune. Si l’on y ajoute l’action de l’homme, la forêt ne pourra résister longtemps.
Précisons enfin que si la longue période de sécheresse que connais la région a une influence, elle est minime. Une forêt bien plantée et soigneusement entretenue résiste à la sécheresse. Régulièrement il faudrait que des arbres soient abattus et dessouchés, et d’autres arbres replantés, avec des espèces variées et bien adaptées à notre climat.
Une intervention rapide pourrait stopper les dégâts et garantir la renaissance de ce bel patrimoine forestier permettant ainsi la sauvegarde de ce puits de carbone absolument nécessaire pour freiner, au niveau de cette région, les conséquences déplorables du changement climatique.