Politique
Le part-pris d’un journal, quand Le Monde Déraille
Le Monde, un journal donneur de leçon mis à nu dans la Face cachée du Monde (édition Mille et une nuits - 2003) par les journalistes Pierre Péan et Philippe Cohen
Dans un éditorial du 21 mai 2021, le quotidien français Le monde prend ouvertement fait et cause pour l’Espagne qui accueille sur son sol, sous le prétexte fallacieux de « raisons humanitaire », l’un des adversaires du Maroc, qui prône le séparatisme au Sahara marocain, de surcroit poursuivi par la justice espagnol pour des crimes de guerre. L’article passe sous silence la colonisation anachronique de deux de nos villes et quelques îlots par l’Espagne. IL demande, en guise de conclusion, à l’Europe de sortir d’une certaine « naïveté dans le regard porté sur le Maroc ». À chaque tournure de paragraphe, ressort le parti pris flagrant dû principalement à une absence délibérée de discernement.
L’éditorial note que la montée de tensions à Sebta a de quoi alarmer. Mais omet d’informer ses lecteurs que cette ville, comme Mellilia et les iles Jafaarines, sont toujours colonisées par l’Espagne, et que Rabat ne cesse de réclamer leur retour à la mère patrie. Déjà sous le règne de Hassan II, le défunt souverain avait proposé aux espagnols l’instauration d’une cellule de réflexion afin de trouver ensemble une sortie honorable à ce différend qui empoisonne les relations bilatérales, et préserver aussi bien les intérêts de l’Espagne que les droits du Maroc. En vain.
Ne soulignant pas cet aspect anachronique, le journal Le Monde prend tout simplement position en faveur de la colonisation espagnole de ces présides que l’entêtement de la géographie s’obstine à les situer en terre marocaine.
Le lexique utilisé tout au long de l’article interloquerait quiconque voudrait comprendre, tant le parti pris est flagrant. Les migrants marocains ont réussi à se glisser dans l’enclave espagnole, écrit l’éditorialiste, sous l’œil passif de la police marocaine. Action mûrie et mise en scène par les autorités marocaines dont la police a quasiment montré la voie de Sebta à une jeunesse en pleine détresse sociale, assène-t-il, sans autre forme de preuves que son préjugé intime. Suite logique à une description négative de tout ce qui émane du Maroc, l’auteur finit par annoncer que l’émotion est vive, non pas à Rabat, mais à Madrid !
L’auteur passe ensuite à un autre stade de mise en bouquet de son article : Le Maroc n’avait guère habitué les Européens, en général plutôt bienveillants à son égard, à se comporter en émule du président turc Erdogan ou l’ex-président Kadhafi, qui n’ont pas hésité à jouer de l’arme migratoire en Méditerranée pour faire pression sur l’Europe. Des raccourcis peu heureux qui témoignent du recours prémédité aux torchons pour salir les serviettes. On ne revient pas sur l’assertion que les Européens sont bienveillants à notre égard, ça se voit tellement et on apprécie. Mais oser comparer le Maroc à la Turquie d’Erdogan et à la Libye de Kadhafi, des situations et contextes bien incomparables et différentes, démontre le strabisme divergent de l’analyse.
L’éditorial du journal le Monde en arrive par la suite à puiser ses sentences dans le code colonial, faussement paternaliste, dans le dessein manifeste de minorer sa cible, soulignant que l’attitude de Rabat constitue un fâcheux précédent, oubliant que le Royaume n’est plus à l’heure du général Juin et de ses disciples, mais qu’il a affaire à un État aux intérêts bien légitimes à défendre. En voulant expliquer la raison de la colère du Maroc, il souligne que Rabat a vécu la réception du chef des milices du Polisario comme un geste d’inimitié inacceptable. Inacceptable ! Un recourt inacceptable à l’euphémisme pour édulcorer la gravité de l’attitude espagnole. Du coup il oublie que le Polisario, dont il a l’habitude de prendre fait et cause, est précisément le fils illégitime de la Libye de Kadhafi, mis au monde en collusion avec les militaires de l’Algérie socialiste et de l’Espagne franquiste.
Qualifiant Ghali de chef suprême du Polisario, alors qu’il est recherché par la police espagnole pour des crimes graves, il passe sous silence le passé sanguinaire de ce triste personnage. Ce chef, qu’il qualifie de suprême, a été nommé par les services algériens pour exécuter fidèlement leurs basses besognes. A bonne école, Brahim Ghali a été si parfait dans l’exécution des exactions que les services algériens (et peut-être espagnols ?) ne lui trouvent pas d’alternatives à mettre à la tête du Polisario. Si bien qu’ils sont contraints d’essayer de le maintenir en vie, lui déjà gravement malade, sous une fausse identité et un passeport algérien, en Espagne où il a été transporté dans un avion affrété spécialement à l’insu du Maroc, lié pourtant à Madrid par des accords stratégiques importants. De tout cela rien dans l’article.
La défense des propres intérêts marocains n’est nullement évoquée par l’auteur, qui se limite à ne voir dans l’attitude du Maroc qu’un effet du succès diplomatique autour du fameux deal du siècle signé sous l’ère Trump et sa reconnaissance de notre intégrité territoriale. Le Royaume chérifien s’est senti assez sûr de lui pour défier l’Espagne à Ceuta. Ainsi l’auteur juge que le flux migratoire vers la ville occupée de Sebta est un pari risqué. Et s’inquiète, fort gentiment, de la réputation internationale du Maroc qui risque fortement d’être dégradée selon lui. Mais persister à coloniser encore au 21eme siècle des territoires en Afrique par l’Espagne, du reste membre de l’Union européenne, ne pose apparemment aucun problème éthique au journal Le Monde. L’éditorialiste cherche à apporter l’estocade, une pratique bien espagnole, pour signifier que la complicité de la police marocaine trahit le cynisme d’un pouvoir prêt à sacrifier froidement sa jeunesse sur l’autel de ses intérêts diplomatiques. Rien que ça.
L’extrapolation de ce jugement à toute l’institution sécuritaire, alors qu’il s’agit de simples douaniers aux frontières, relève plus d’un jugement de valeur que d’une pratique journalistique. De même, généraliser un épiphénomène migratoire pour en faire une politique délibérée d’un État contre toute sa jeunesse, démontre, à n’en pas douter, une mauvaise fois flagrante, quand on connait les efforts menés par le Maroc dans ce domaine ou en le comparant tout simplement aux pays voisins. Pour s’en convaincre, il lui suffisait pourtant de revenir à l’entretien accordé, quelques jours auparavant, par l’ambassadrice de France à Rabat, où elle témoigne des efforts du Maroc dans la lutte contre la migration clandestine.
Le raisonnement de cet édito rappelle, pour ceux qui l’ont vécu, le comportement de certains journalistes européens, ceux du Monde particulièrement, lors de la marche verte en 1975, désarçonnés qu’ils étaient de voir des milliers de marocains décidés à chasser les colonisateurs espagnols - encore eux- du Sahara. A cette époque, l’Espagne comme l’Algérie, voulaient y créer un micro État à leur solde pour étouffer le Maroc et l’isoler de sa profondeur africaine.
Tout en reconnaissant que le Maroc dispose incontestablement d’atouts précieux, Islam éclairé, coopération sécuritaire et migratoire, le journal ajoute que ce capital diplomatique a occulté la réalité d’un pouvoir à l’inquiétante régression autoritaire comme en témoignent les emprisonnements de journalistes et d’intellectuels. Et encore une fois il omet délibérément qu’à l’intérieur même du Maroc, le débat fait rage pour élargir les libertés, et que les Marocains n’attendent pas l’aide étrangère pour faire évoluer leur système. Le glissement de l’analyse d’un problème politique- hébergement de Brahim Ghali- aux droits de l’homme, est une attitude désuète pratiquée par certains pays européens pour obtenir des gains politiques. Elle ne trompe désormais plus personne et surtout pas le Maroc. Un chantage dont nul n’ignore l’hypocrisie.
Enfin, sans une once de bon sens, le Monde n’adresse aucune critique à l’Espagne, ni à sa colonisation de territoires marocains, ni à la montée dangereuse de l’extrémisme au sein même de sa classe politique. Au lieu de ramener le différend à un niveau bilatéral, il demande, au contraire, à l’union européenne de venir en aide à l’Espagne contre le Maroc. Au nom d’une amitié qui doit rester exigeante, le moment est venu pour les Européens de signifier au Maroc que son crédit à l’étranger est entamé et que la défense de ses intérêts légitimes ne doit pas le dépenser de traiter décemment sa population. Une attitude qui n’est pas sans rappeler le discours européen, soit disant civilisateur, du 19ème siècle pour dissimuler les plus sombres projets colonialistes, ou alors le droit d’ingérence du 20ème siècle, derrière lequel se cachaient les appétits néocolonialistes.
L’Union européenne, qui ne dispose pas de politique extérieure claire digne d’une grande puissance mondiale, à l’instar des États-Unis ou de la Chine, est souvent maladroitement appelée à prendre position pour venir en aide à un de ses membres, souvent dans le tort, face un Etat tiers, essentiellement lorsqu’il s’agit d’un pays émergeant. La rapidité par laquelle elle a agi concernant le préside occupé de Sebta, contraste avec son silence assourdissant face à la guerre à Gaza.
Peut-on rappeler à notre mémoire, comme à celle européenne, qu’au 19ème siècle, et exactement en 1884-85, il y a eu la Conférence de Berlin en Allemagne, pour partager l’Afrique entre les puissances européennes, ce qui a abouti, entre autres, à la colonisation espagnole au Sahara marocain. En 1906 c’était une autre conférence, la conférence d’Algesiras, pour instaurer cette fois-ci le protectorat directement sur le Maroc. L’histoire bégaie et a parfois des tournures imprévisibles. Mais l’Europe, qui sait que les vents de la géopolitique soufflent d’ailleurs que du vieux continent, s’accroche désespérément à ses lambeaux de puissance. Mais pour combien de temps encore ?