National
Le PJD dans l’étau de la normalisation avec Israël - Par Bilal TALIDI
Le Roi Mohammed recevant Abdalilah Benkirane en novembre 2011
La normalisation avec Israël constitue pour le PJD un sérieux dilemme dont il peine à en sortir. La Déclaration de Rabat entre le Maroc et Israël a constitué un choc intense pour un parti qui a bâti sa position à l’égard de la cause palestinienne sur des fondamentaux qui en font une question doctrinale et existentielle.
Sous cet angle, la résistance demeure aux yeux du PJD la seule voie possible pour la libération de la Palestine, par ailleurs une obligation religieuse. Ces a priori de base étant établis, ils font du soutien inconditionnel de la résistance palestinienne et et de la lutte contre la normalisation sous toutes ses formes - indifféremment de son émanation, civile ou étatique - un principe irréfragable.
Une idée bien ancrée
Les islamistes sont profondément convaincus que tout processus de paix ne fait que renforcer la position d’Israël et servir ses politiques d’expansion et de judaïsation, et entraine en conséquence un affaiblissement des Etats arabes qui succombent aux sirènes de la normalisation. Ce qui induit que tout processus de paix avec Israël reviendrait à courir derrière des mirages. Selon cette perception bien ancrée dans la pensée des péjidistes, l’Etat hébreu n’a été obligé de recourir à la normalisation que pour desserrer l’étau de son isolement, visant dans cette entreprise autant les Etats que les sociétés civiles et les forces vives des pays cibles.
L’approche des islamistes du PJD trouve son écho dans tous les programmes d’endoctrinement du parti, qu’il s’agisse de productions intellectuelles, politiques ou artistiques, formatant des générations entières de leurs militants sur cette manière de penser. Leur entrée par la suite dans le jeu politique institutionnel n’a pas changé grand-chose à ces thèses et aux convictions qui en découlent. Si bien que lorsqu’il arrivait que des dirigeants du parti évoquent le plan de règlement, comme le fit Saad Dine El Otmani à plusieurs reprise, la réaction partisane était invariablement la même : une critique sévère et une accusation de déviance par rapport à la thèse du soutien inconditionnel à la cause palestinienne.
La règle et l’exception turque
L’arrivée du PJD à la tête du gouvernement a favorisé l’éclosion de de nouveaux éléments, étrangers à la pensée et à l’éducation politique originelles du parti. Au registre de ces nouveautés on peut porter la thèse de la politique extérieure du pays en tant que domaine réservé, la nécessaire distinction entre la position de l’Etat et celle du parti, les nuances marquées entre le PJD dans l’opposition et le PJD dans le gouvernement ainsi que la place belle faite à la realpolitik.
Ceci étant, le modèle turc qui entretient de fortes relations diplomatiques avec Israël n’était pas d’un grand secours aux tenants de cette realpolitik. Il a toujours été enseigné aux militants comme une exception à la règle. Il s’expliquait par le lourd legs de la Turquie ante-Erdogan qui a hérité de l’ancrage laïc de l’Etat moderne turc dont les islamistes de l’AKP étaient contraints de tenir compte.
De ce fait, il ne pouvait servir de modèle aux frères du PJD.
Dès lors, la signature par Saad Dine El Otmani de la Déclaration de Rabat a eu l’effet d’un choc violent différemment apprécié. D’un coté, une approche tenant compte de la raison d’Etat, de ses impératifs et de ses contraintes, se limiter à invoquer le parallélisme des formes pour signifier que le Chef du gouvernement aurait pu ou dû s’excuser auprès du Roi en prétextant que le signataire israélien n’était pas de rang de Premier ministre. De l’’autre, une approche fidèle à la position traditionnelle du parti hostile à la normalisation, soutenait que le PJD devait réitérer sa position de principe, arguant que si l’Etat avait ses raisons d’opter pour la normalisation, il revenait au ministre des Affaires étrangères, du reste un non-partisan, de signer la Déclaration de Rabat et d’épargner au parti cette épreuve.
L’ancien Chef du gouvernement a été incapable de produire en interne un discours convaincant pour les bases, ce qui a amené Abdalilah Benkirane à monter énergiquement au créneau. Il a développé à cet effet deux arguments équilibristes. Le premier faisait valoir que la politique extérieure étant l’apanage exclusif de l’Etat, c’est à lui et non au parti qu’incombait la responsabilité de la normalisation. Le second est que le PJD étant à tête du gouvernement, il ne saurait s’opposer à la politique extérieure de l’Etat.
La réémergence de la controverse
Ce nouveau discours qui a pris dans un premier temps au sein du PJD, a fait long feu. La raison en est que l’on s’attendait à ce que cette normalisation reste limitée en contrepartie d’un intérêt suprême du pays, en l’occurrence la question du Sahara, avec la reconnaissance pleine et entière des Etats-Unis de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud. Mais la récurrence des actes de normalisation et leur extension aux domaines sécuritaire et militaire, ont nourri de nouveau la controverse, surtout que le PJD était désormais affranchi de toute contrainte gouvernementale.
La dernière position de M. Benkirane a reflété la dynamique interne au sujet de la normalisation, mais le nouveau secrétaire général y a introduit de nouveaux éléments. Le premier est que la logique de l’Etat obéit à des considérations qui ne sont pas accessibles à tous. Le deuxième érige la confiance absolue en la politique extérieure conduite par le Roi en un déterminant fondamental, notamment lorsque les enjeux régionaux s’invitent dans le débat d’une normalisation instrumentalisée par le pouvoir algérien pour porter atteinte au Royaume. Le troisième nouvel élément appelle à ne pas prêter oreille à certains Orientaux et à se distancer surtout d’avec ceux d’entre eux qui profanent l’Etat marocain et ses symboles. Le quatrième enfin recommande vivement à l’Etat de tolérer une marge de contestation de la normalisation.
Raison d’Eta et raison de parti
Il est donc clair que les trois premiers arguments de Abdalilah Benkirane cherchent à convaincre le parti de comprendre les raisons de l’Etat ainsi que les causes qui ont commandé la normalisation, un processus qui n’a pas été sans un examen méticuleux et une évaluation minutieuse des impératifs, des besoins et des intérêts suprêmes du pays.
Le quatrième et dernier élément exprime vraisemblablement la volonté de M. Benkirane de convaincre ses bases de l’existence d’une marge de protestation et de rejet de la normalisation, tout en signalant à l’Etat que le verrouillage des marges de protestation donnerait l’occasion aux agendas hostiles au Maroc d’exploiter le mécontentement légitime et comporterait le risque de transformer les opposants à la politique de l’Etat en traitres pour la seule raison d’être réfractaires la normalisation.
C’est là un crédo que certaines tribunes médiatiques ont déjà commencé à anticiper en accusant les opposants à la normalisation de servir l’agenda d’Alger. Elles créent ainsi une situation malsaine qui devrait amener les responsables marocains à considérer la tolérance du rejet de la normalisation plus appropriée pour l’immunisation du front intérieur contre toute infiltration malveillante. Ils aideraient ainsi à l’ancrage de la saine idée de la distinction entre ce que dicte la raison d’Etat et ce qui traduit des positions de principe de certaines franges de la société marocaine.