Le remaniement gouvernemental – Seddik Maaninou

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Le Roi Hassan II (D), M’hammed Boucetta, ancien secrétaire général de l’Istiqlal, a été et ministre des Affaires étrangères

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Ces jours-ci, que ce soit dans l’espace virtuel ou lors de rencontres de détente, reviennent sans cesse les rumeurs sur un remaniement ministériel imminent. Certains vont même jusqu’à spéculer sur les noms des ministres sortants et ceux qui rejoindront le gouvernement, et des « influenceurs » sont allés jusqu’à publier la nouvelle liste du gouvernement comme s'ils avaient participé à sa formation.

Station d’hiver d’Ifrane

Ces rumeurs m’ont rappelé ce que j’ai reproduit dans mes Mémoires au sujet du même phénomène à l’époque de Hassan II, où j’ai écrit dans le troisième tome : « Hassan II passait de temps en temps des vacances dans la station d’Ifrane. Dès son arrivée, les gens établissaient un lien entre la présence du roi à Ifrane et l’imminence d’un remaniement gouvernemental. Plus la présence du roi se prolongeait, plus les listes de nominations circulaient », la formation des gouvernements devenant le sport favori des élites politiques, bourgeoises et médiatiques qui faisaient dans leurs spéculations sur les nouveaux ministres potentiels et les limogés éventuels, l’expression inconsciente de leur vœux et désirs. 

J’ajoutais : « Pendant cette période, des spéculateurs prétendaient avoir des connaissances et des prémonitions, affirmant que leur source d’information était proche de Dar al-Makhzen, du pré carré ou d’une ‘source décisionnelle’. Ainsi, le séjour du roi à Ifrane se transformait en une loterie nationale pour pronostiquer les changements à venir. Naturellement, les ministres en place étaient influencés par les rumeurs et les spéculations, les prenant au sérieux, se rassurant lorsque leur maintien à la tête de leur ministère était en vogue, et s’angoissaient lorsqu’ils étaient donnés parmi les débarqués. 

Découverte de pétrole

J’ai remarqué que pendant cette période critique, les ministres intensifiaient leurs activités, allant même jusqu’à créer des activités fictives pour apparaître à la télévision afin de se rassurer d’abord, puis de rassurer leur entourage. En conséquence, les bulletins d’information à la télévision se transformaient en un « baromètre » qui confirmait ou infirmaient les rumeurs : passer à l’écran était interprété comme un signe que le ministre continuait dans son poste, tandis qu’une longue absence était perçue comme un signe de disgrâce.

Au cours de l’un de ces épisodes, l’un des ministres, dans l’espoir de préserver son poste, a annoncé la découverte de pétrole à « Tahdrart » à partir du schiste bitumineux, et a présenté aux journalistes une petite bouteille qu’il prétendait contenir ce qui avait été trouvé, affirmant que ce pétrole découvert serait suffisant, bon marché et de haute qualité.

Le Roi

Enfin lors de cette retraite Royale à Ifrane, le remaniement gouvernemental a eu lieu et a été marqué par une cérémonie à la station hivernale même. Le roi m’a convoqué à l’étage du « chalet où il séjournait, qui avait déjà été utilisé par Mohammed V et voici ce que j’en ai rapporté dans mes Mémoires : « Le roi m’a demandé où nous allions placer les caméras ? Nous devions décider où se dérouleront les cérémonies et où la photo de groupe sera prise, car l’espace est étroit, avait précisé le souverain. J’ai remarqué que le roi était perplexe, et la salle destinée à accueillir la cérémonie était de taille moyenne, décoré de grandes cuves en cuivre en forme d’huitres difficiles à déplacer.

« J’ai répondu que nous étions à la disposition de Sa Majesté, et j’ai ajouté que les caméras et les appareils d’éclairage étaient montés sur de petites roues, ce qui permettrait de changer rapidement leur position. » Après cela, le roi a expliqué qu’il allait se tenir au haut des escaliers pour accueillir les ministres, et que la photo de famille se fera devant la porte en bois. Les ministres ont commencé à monter dans l’étroit escalier après s’être rangés en file. Les ministres à l’avant saluaient le roi, d’autres étaient encore dans l’escalier et un troisième groupe attendait son tour en bas.

Réception royale

J’étais près du roi et je l’entendais accueillir les ministres. Hassan II a remarqué que le ministre des Affaires islamiques et des Habous, l’istiqlalien Hachmi Filali, était vêtu à l’occidental, un costume sombre dont la veste avait du mal à se fermer autour de son ventre, avec des boutons si tirés qu’ils menaçaient de rompre., ce qui a fait sourire le roi qui l’a taquiné gentiment : « Fquih, c’est quoi cet habit ? Où est la Jalaba ? J’ai l’habitude de vous voir avec, Marhaba, Marhaba».

Le Parti de l’Istiqlal avait participé au gouvernement en 1977 rompant ainsi une rupture de quatorze ans avec le pouvoir jalonnée par de fortes tensions. Ce retour de l’Istiqlal au gouvernement avait énormément déplu au parti socialiste (USFP) de Abderrahim Bouabid resté seul dans l’opposition. Il en découlera une inimitié et de longues polémiques acerbes entre les deux partis, issus tous deux d’une même matrice, le mouvement national. Pour expliquer cette entrée au gouvernement, M’hamed Boucetta, chef de fil des istiqlaliens, nommé ministre des Affaires étrangères, écrit dans ses mémoires : « Nous avons participé à ce gouvernement pour soutenir le roi sur la question du Sahara et préserver les acquis réalisés par la Marche verte ainsi que pour contribuer de manière effective et surveiller les réformes que le gouvernement envisageait de réaliser... » Il a ajouté... « Abderrahim Bouabid a décidé de ne pas participer après y avoir été invité, même s’il avait transformé l’Union Socialiste des Forces Populaires en un parti qui a décidé de travailler et de militer sur la scène politique nationale intérieure... ». Pour n’être pas monté dans le train à cette station, l’USFP a dû passer vingt et une années de plus dans l’opposition avant de se résoudre à participer en 1998 à la faveur de l’alternance consensuelle.  Entre temps, Abderrahim Bouabid n’était plus là.  

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