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L’INTERNATIONALE REACTIONNAIRE ET... POPULISTE - Par Mustapha SEHIMI
Elon Musk, désormais icone et mascotte de l’extrême droite. L’internationale réactionnaire n'est pas institutionnalisée comme a pu l'être l'Internationale socialiste. Mais elle prend forme, même chaotique, à l'image du monde d'ailleurs.
La cérémonie d'investiture de Trump, le 20 janvier, au Capitole, a attiré les leaders de mouvements populistes de la planète. La liste des personnalités étrangères conviées a ressemblé à un sommet informel de cette nouvelle "internationale réactionnaire" dénoncée par le président Macron dans sa conférence des Ambassadeurs à Paris, le 6 janvier courant, à propos du patron du réseau social X, le milliardaire Elon Musk.
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Cette expression avait été utilisée par Steve Banon de l'équipe Trump en 2019. Elle a été analysée comme étant une "diplomatie complotiste" avec de multiples facettes. Elle n'est pas institutionnalisée comme a pu l'être l'Internationale socialiste. Mais elle prend forme, même chaotique, à l'image du monde d'ailleurs. Javier Milei, chef d'Etat de l'Argentine était présent au Capitole ; il se vante d'avoir un "mépris infini pour l'Etat" - Trump dit qu'il est son "président préféré". Il était en bonne compagnie lors de la cérémonie d’investiture ; le président du Salvador, Nayib Bukele, icône de l’extrême droite mondiale, l'homme qui a plus de followers sur X ( 7,1 millions) que de concitoyens (6,3 millions; l'ex-président brésilien Jair Bolsorano invité mais qui n'a pas pu reprendre son passeport auprès de la justice et qui a été représenté par son épouse; dans un style différent, la première ministre d'Italie, Giorgia Meloni, la seule dirigeante européenne avec le Hongrois Victor Orban.
A l'ombre du trumpisme
D'autres Européens ont fait savoir qu'ils avaient été invités et ce parce qu'ils relevaient du même courant politique : Santiago Abascal, leader du mouvement d'extrême droite espagnol Vox ; Tom Van Grieken du parti belge Vlaams Belang; le Français Eric Zemmour de Reconquête! L'" Internationale réactionnaire " a d'autres candidats : au Canada, Pierre Poilievre, le chef du parti conservateur qui prône un "Canada First" et qui a les faveurs de Elon Musk; en Autriche, Herbert Kicki, leader du parti d'extrême droite FPO; sans oublier le parti de l'Alternative pour l'Allemagne ( AFD), de Alice Weidel, dont Elon Musk fait activement la promotion sur son réseau dans la perspective des élections législatives du 23 février prochain.
Ce mouvement mondial enregistre une dynamique ; il est regroupé à l'ombre du trumpisme. Une internationale réactionnaire ? Populiste aussi. L'année 2024 a été sans conteste celle de la force montante du populisme. Elle a été marquée par des élections pour plus d'un milliard d'adultes (Etats-Unis, Inde, Brésil, Royaume-Uni et les 27 pays membres de l’UE). Le trait commun à tous ces scrutins ? La montée continue des mouvements protestataires de droite et de gauche. Sur les 60 pays concernés, 31 sont des autocraties. Se distingue la diminution continue du nombre de démocraties au profit de la montée du modèle autocratique ou encore illibéral.
Fatigue de la mondialisation
L'arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2017 a sans doute donné le coup d'envoi d'une vague populiste : elle s'est répandu ensuite dans toutes les démocraties. Cette montée en puissance est un terreau des politiques avec leur discours vers les déshérités de la mondialisation. Le discours nationaliste, si prégnant aujourd'hui, colle bien à cette idée de protéger les frontières, contre les biens ou les personnes venus de l'étranger. Une raison qui explique que le monde tourne désormais la page de décennies de libre-échange. Le commerce entre nations facteur de paix et fauteur de troubles dans l'histoire renoue avec les rapports de force. Les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) chargée de lever justement les obstacles au libre- échange, n'avancent pas : tant s'en faut. Les négociations sur l'agriculture et la pêche se sont bien achevées en mars 2024 mais dans la cacophonie : aucun compromis n'a pu être trouvé, faute de consensus. Tout juste peut-on mentionner un accord pratiquement à l'arraché interdisant les subventions à la pêche illégale-maigre consolation...
Tout paraît se passer comme si s'installait de plus en plus une grande fatigue de la mondialisation chez les citoyens, les entreprises et les politiques. Une situation inévitable qui ne sera pas sans conséquences financières, économiques et politiques. Le protectionnisme qui est le crédo de la politique des taxes douanières de Trump nourrit l'agressivité économique et l'unilatéralisme de Washington. L'ouverture au monde est généralement considérée comme un garant de paix. Référence historique est faite à la théorie développée par Montesquieu selon laquelle les échanges commerciaux entre pays favorisent la bonne entente politique-ce que l'on a appelé le "doux commerce". La guerre serait difficile entre partenaires commerciaux, car leurs relations de dépendance sont telles que le cout du conflit serait trop élevé.
Vague de "dégagisme"
Des formations protestataires donc, qui sont "populistes" en ce sens qu'elles ont la prétention d'incarner, seules, " le peuple"; démagogiques aussi au sens où elles affirment détenir le remède miracle aux difficultés actuelles. Leur conception de la démocratie est partagée. Et le vainqueur des élections devient " démocratiquement" le propriétaire de 1'Etat.
Le vote commande aux institutions mais ensuite le politique l'emporte sur le juridique. La majorité politique veille alors à s’imposer ; la machinerie démocratique avec ses contre-pouvoirs, son indépendance judiciaire et le respect des normes juridiques est mise en équation. Il y a là une vague de "dégagisme" : "Sortez les sortants"! Le procès est fait aux élites ; les démocraties libérales n'arrivent pas à répondre aux demandes et aux aspirations des citoyens. Un processus servi et amplifié par la courbe de l'ascension des réseaux sociaux et la transformation du paysage médiatique. Ceux-là se prêtent sont particulièrement dans la maintenance et la promotion du populisme supplantant les médias traditionnels. Ils se prêtent à toutes les campagnes de désinformation et de manipulation de l'opinion, menées de l'intérieur ou de l'extérieur. Mais ils pénalisent pratiquement en toute impunité la place, la teneur et le rôle du débat démocratique.