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Nizar Baraka, né pour être (au moins) ministre…
Nizar Baraka au Forum de la MAP le 7 juillet 2021
Un tic. Du dos de la main il essuie certainement un larmoiement gênant de l’œil gauche, puis l’index et le pouce en clé à molette réajuste adroitement le cadre de ses lunettes sans en toucher le verre, à la bonne manière dont se tiendrait un jeune homme de bonne famille à table, posant délicatement le couteau et la fourchette en position parallèle, les pointes en opposition pour signifier sans verbiage inutile que les mets étaient succulents.
Très tôt il a dû apprendre à ne pas parler la bouche pleine et tout son exercice au Forum de la MAP ce mercredi 7 juillet va obéir à cette discipline de la bonne tenue. Rarement un mot plus haut que l’autre. Même quand il s’énerve, comme lorsqu’un journaliste reproche au programme de son parti de ne pas trop se préoccuper du monde rural, alors même que ce programme n’a pas encore été rendu public, son intonation dièse à peine et c’est avec mesure qu’il s’emporte.
Nizar Baraka a la colère douce. Mais n’en pense pas moins.
En se présentant devant un parterre réduit par la contrainte sanitaire, il n’a pas l’ombre d’un doute sur sa légitimité en tant que chef de file de l’Istiqlal. Petit fils de Allal El Fassi, père fondateur du parti, n’est-il pas. Gendre bien aimé de l’autre El Fassi, Abbas, successeur à la tête du parti de Mhammed Boucetta, et ancien Premier ministre dont il a été l’outil et la tête pensante économiques au poste de ministre délégué chargé des Affaires économiques et générales. Puis ministre plein de l’Economie et des Finances dans le gouvernement Abdalilah Benkirane.
Ai-je déjà évoqué une vague ascendance quelque part là-haut dans le jbel Alam, du saint soufi Sidi Abdeslam Ben Mchich ? Non ? Grave oubli ! Parce que c’est important pour attester de sa Baraka qui n’est pas qu’une question de filiation par la branche maternelle.
Le NMD, un canevas
Ssi Nizar a donc tout pour lui. Et l’essentiel pour plaire. Sauf peut-être le charisme du tribun qu’il n’est pas, mais ce n’est pas forcément un handicap. Ça ne l’a en tout cas pas empêché de battre au finish, en 2017 au 17ème congrès, le tonitruant Hamid Chabat, son prédécesseur, ni de laisser en rade un autre prétendant au secrétariat général de l’Istiqlal, son propre oncle maternel Abdelouahed El Fassi, coiffé au poteau sans avoir vraiment couru.
C’est dire qu’il sait ne pas faire dans le sentiment, qualité première s’il en est d’un bon politique. Semble-t-il.
Nizar Baraka a ceci de commun avec Obélix : C’est bébé qu’il est tombé dans la potion, à cette différence près que la sienne est politique. Magique, non ? Il a aussi fait de bonnes études et la réputation de bon économiste. Au Forum de la MAP, le secrétaire général de l’Istiqlal n’en était pas à sa première sortie. Ce qui a permis à mon ami Adnan Debbarh, fin observateur de la scène politique nationale, de s’interroger sur la sécurité alimentaire prônée par le chef de file istiqlalien, ou encore la souveraineté économique, Adnan considérant la première dépassée si elle signifiait l'autosuffisance alimentaire, tout autant que la deuxième d’ailleurs, le Maroc étant un pays endetté, contraint souvent au recours au marché international pour financer sa croissance*.
Mercredi dernier, dans l’attente de la publication du programme de l’Istiqlal, on a vu Nizar Baraka agiter surtout de grands principes généraux. Style mettre fin à la politique de privilèges accordés à certaines catégories. Le holà à la défense des intérêts de lobbies aux dépens de ceux des citoyens. Œuvrer résolument à la réduction des disparités sociales.
Naturellement l’Istiqlal adhère au Pacte national pour le développement porté par le Nouveau modèle de développement. Pouvait-il en être autrement ? Mais en lui apportant tout de même les ajustements nécessaires et la mise en œuvre appropriée. Il entend aussi lancer dans la foulée de l’après élections le débat sur la réforme politique pour la poursuite du processus de consolidation du choix démocratique. Entendez la révision de la constitution dix ans après son entrée en vigueur, un espace-temps suffisant pour en apprécier les vertus et les vices.
Le possible Maroc de l’égalité
Une autre idée, plus que d’autres, mérite qu’on s’y arrête. Certains diront que l’actuel secrétaire général de l’Istiqlal n’est pas le plus crédible pour parler de « bak sahbi » et de népotisme. Mais il fait mouche en indiquant que le Maroc de la rigueur et de l’égalité est possible en s’appuyant sur l’exemplaire campagne de vaccination, un modèle de Tous Egaux, indépendamment du statut de chacun, de sa position sociale, de son extraction familiale ou de son réseau relationnel.
C’est un truisme de la bonne politique : L’ambition personnelle n’est jamais illégitime quand elle est au service d’un projet de société et le presque sexagénaire Nizar Baraka, il a 57 ans, à la fois politique et technocrate, a sans doute l’aptitude de porter les deux. Au Forum de la MAP, on a eu le loisir de l’admirer esquivant habilement les questions qui fâchent, tels le devenir de Hamid Chabat qu’il avait détrôné sans ménagement, aujourd’hui de retour ; ou encore la candidature à Fès de son beau-frère, au nom prédestiné et prédestinant de Abdelmajid El Fassi, un jeune loup déjà fait député sur la liste des jeunes dans la Chambre finissante.
Aux à-côtés dont raffolent les médias, le chef de file des istiqlaliens a préféré - soyons sérieux - le développement de ce que lui et son parti sont et veulent pour le Maroc de l’après 8 septembre prochain. En même temps il n’a pu s’empêcher de brandir, sous le regard approbateur et satisfait d’Enaam Mayara, secrétaire général de l’UGTM, les résultats du syndicat istiqlalien aux élections professionnelles. Un trophée de guerre et un pied de nez à Hamid Chabat qui a construit sa carrière politique sur et dans le syndicalisme.
C’est que pour la première fois de son histoire, l’UGTM est en tête dans le privé, et deuxième sur l’ensemble.
La messe est dite. Dans ce décor et son décorum, on n’a aucune difficulté à imaginer Nizar Baraka se rêvant en chef de gouvernement. Pour lui comme pour d’autres chefs de parti arrivés à la tête de leurs formations dans le sillage des bouleversements produits dans la hiérarchie partisane par les électrochocantes législatives de 2016, seules quelques semaines les séparent de la nuit du destin. Ou plus exactement de son lendemain qui chante ou déchante.
Dans sa tête trotte le taux de participation aux élections professionnelles. 79%, largement suffisant pour le régler sur l’horloge de l’optimisme. Ce taux, inattendu, augure à ses yeux d’une mobilisation à contre sens de ce que l’on dit sur l’ambiance de défiance générale. Faut-il le rappeler, mais un fort taux d’abstention aux élections générales ne profiterait qu’au PJD de Saad Dine El Otmani. Un scénario catastrophe, à Allah ne plaise, qu’ils sont nombreux sur la ligne de départ à vouloir éviter.