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PJD : les profondes raisons d’une débâcle – Par Bilal Talidi
Entouré des membres de la direction du PJD, le secrétaire général adjoint annonce la démission collective du secrétariat général du parti, jeudi 9 septembre 2021 à Rabat
Proche du PJD, spécialiste des mouvements islamistes, Bilal Talidi procède dans cette chronique à une analyse sans concession de la défaite assourdissante du PJD et en livre les raisons profondes
La défaite des islamistes ouvrira indubitablement un large débat sur la scène politique marocaine, arabe, voire internationale. Car, il s’agit là d’un type différent d’islamistes que d’aucuns présentaient pendant longtemps comme étant les hérauts d’une fratrie atypique des «frères musulmans», pour avoir fondé un modèle singulier dans la gestion des deux ailes : le politique et la prédication. Ils comptent à leur actif leur aptitude à s’intégrer au système politique et à conserver un rythme croissant dans leurs performances électorales depuis leur première participation aux élections de 1997 jusqu’à la veille du scrutin de 2021.
Des justifications partielles
Des analystes pourraient conjecturer que c’est la parenthèse du printemps arabe dans son ensemble qui se ferme avec l’échec de la dernière expérience des islamistes dans la région, après celle de la Tunisie. D’autres feraient appel à l’impact de la conjoncture internationale et régionale pour expliquer ces résultats.
Les adeptes de la théorie du complot, iront sans autre forme de réflexion ressasser la rengaine du triomphe du «Makhzen» et de sa capacité redoutable à domestiquer tous les partis, y compris les islamistes, après avoir dompté les forces démocratiques.
Une chose est pourtant sûre. Au-delà de leurs divergences, ces conjectures à la fois hâtives et récurrentes ne sauraient éluder les raisons profondes de la débâcle électorale des islamistes.
Les bafouillages de la direction
La direction actuelle du PJD peine à trouver une explication normale et plausible au score maigre de ces élections (13 sièges, contre 125 en 2016). Abdelaziz Rebbah est allé jusqu’à avancer que les voix des militants du parti, ses proches et ses sympathisants auraient à eux seuls donné un score bien meilleur.
Le Secrétaire général Saad Dine El Otmani a clos, lui, la soirée électorale sur la page officielle du PJD et quitté le siège du parti après avoir donné lecture d’un communiqué laconique aux relents d’un éventuel recours contestant les résultats du scrutin, sous prétexte que des présidents des bureaux de vote n’ont pas remis aux représentants du parti des copies des procès-verbaux. Le lendemain c’est au secrétaire général adjoint, Slimane El Amrani, que reviendra le soin de donner lecture du communiqué annonçant la démission collective du secrétariat général.
A cette «explication», qui accuse implicitement l’administration territoriale d’altérer l’opération électorale, se superpose un amas d’autres justifications, allant de l’utilisation de l’argent et de l’achat des candidats et des électeurs, à la mainmise sur les médias et les réseaux sociaux par de colossale capsules de communication, en passant par un prétendu soutien de l’administration à certains candidats et l’incitation contre les candidats du PJD.
A l’opposé, une explication différente soutient que la défaite du PJD est l’œuvre d’un vote sanction sur fond de l’érosion de ses assises populaire au cours de la période allant de 2017 à 2021.
La leçon de 2016
Toutefois, les deux explications ne fournissent pas d’arguments convaincants. C’est que les élections de 2016 se sont déroulées dans des conditions pratiquement similaires si l’on se réfère au recours à l’argent ou au soutien des agents d’autorité au Parti authenticité et modernité (PAM). Les islamistes étaient également au gouvernail durant la période 2011-2016 et avaient pris des décisions impopulaires douloureuses pour maintenir l’équilibre budgétaire de l’Etat. Ce qui n’a pas empêché le PJD de rafler 125 sièges.
On se souvient que lors du débat sur la loi électorale, la direction du parti a catégoriquement rejeté le quotient électoral et la suppression du seuil électoral, estimant que cet amendement était destiné à saper la force du parti dans les villes où le PJD remportait habituellement plus d’un siège, alors que le nouveau quotient ne prévoyait qu’un siège par circonscription.
Or, paradoxalement, les résultats du scrutin ont démontré que le PJD était le plus grand bénéficiaire du nouveau quotient électoral.
La direction du PJD n’a visiblement pas appréhendé correctement l’impact du quotient électoral, obnubilée qu’elle était par la puissance supposée du parti et de sa popularité illusoire dans les centres urbains. Elle n’a pas suffisamment considéré l’autre revers de ce même quotient qui permet la dispersion des voix et leur distribution sur les partis, pour éviter le scénario d’une polarisation duale du spectre politique qui a tant bénéficié aux islamistes en 2016. Jusqu’à ne pas se rendre compte que le nouveau quotient impactait négativement la structure interne du parti.
En réduisant les chances de remporter plus d’un siège dans une circonscription, il a exacerbé la concurrence frénétique entre les militants du parti sur les têtes de listes, provoquant dans la foulée fissures, démissions et départs. Pis, il a engendré un abattement généralisé en interne et de larges franges de militants se sont refusées à toute participation à la campagne électorale, après que la direction du parti ait pris le contrôle de l’accréditation des listes.
Un parti fracturé
Cette défaite assourdissante tient aussi et surtout à la léthargie de l’appareil interne du parti ainsi qu’à la perte des atouts qui ont fait sa force en 2016, sa cohésion organisationnelle en l’occurrence. Le PJD est entré aux élections avec une double fracture au niveau de ses leaderships, El Otmani/Benkirane et El Otmani/Ramid. La direction du PJD n’a pas réussi à colmater cette fissure, qui a divisé en deux tendances l’appareil du parti pour s’étendre aux bases. Cette situation a eu également pour conséquence l’aliénation des services que pouvait rendre son ancien Secrétaire général Abdalilah Benkirane que nombre d’observateurs considèrent comme la force de frappe électorale par excellence du PJD.
Avec une préparation électorale anémique, la direction du parti a livré sa plus molle campagne articulée par une rhétorique au rabais qui s’est emmurée dans la défense du bilan gouvernemental, sans oser le débat politique avec les adversaires et les rivaux du parti. Ce faisant, elle a tronqué la thématique politique qui a constamment fait la force du parti lors de ses batailles électorales, se drapant dans un silence qui prétendait céder la parole aux « réalisations », laissant le champ libre aux adversaires et aux concurrents d’occuper allégrement l’espace des médias et des réseaux sociaux.
Impliquée dans des positions en porte à faux avec le référentiel et les principes du parti, tant aux niveaux politique, droit-hommiste qu’identitaire, la direction a assisté impuissante à l’érosion de ses bases traditionnelles.
Tant d’égarements et d’erreurs d’appréciation ne pouvaient qu’offrir un corps sans défenses au coup de grâce porté par la gestion de la pandémie du coronavirus. Des décisions gouvernementales ayant contribué à la paupérisation de larges franges et catégories sociales laissées sans autres alternatives convaincantes, ne pouvaient qu’alimenter l’énorme vague de colère populaire déjà à l’œuvre.
Abandonné dans la foulées par les partis partenaires au gouvernement, qui n’ont pas hésité à produire un discours hostile à l’Exécutif, le PJD s’est retrouvé, de par sa position à la tête de l’équipe gouvernementale, seul à payer les frais de ses positions, sans que sa direction, atone et ramollie, n’ait été en mesure de réagir promptement, correctement et efficacement.