National
Rien ne ressemble moins à Benkirane que Lachgar, et au PJD que l’USFP - Par Bilal TALIDI
Abdalilah Benkirane et Driss Lachgar : Ecarté du gouvernement en 2021, incapable malgré son avancée électorale relative de négocier dignement sa participation, l’USFP s’est retrouvée en interne dans la même situation que le PJD. A quelques différences près…
Nombre d’observateurs n’y ont pas prêté attention, mais le Parti de la justice et du développement (PJD) et l’Union socialiste des forces populaires (USFP) ont en commun les divergences qui divisent chacun des deux partis au sujet de la ligne politique.
Les opposants au premier secrétaire de l’USFP Driss Lachgar soutiennent que ce dernier a tué le parti, devenu sous sa férule une pâle copie des partis administratifs au service d’intérêts individuels. De manière similaire, les opposants à la direction précédente du PJD imputent à celle-ci, de par la ligne politique qu’elle a produite et sa gestion du parti, la débâcle aux élections du 8 septembre dernier. Sauf qu’aux échéances organisationnelles internes, les militants du PJD ont évincé, lors du Congrès extraordinaire du parti (octobre 2021), la direction décriée et ramené à la tête du PJD le symbole de leur opposition, Abdellah Benkirane, tandis que Driss Lachgar est parvenu à s’arroger, en dépit d’une opposition farouche, un troisième mandat au premier-secrétariat de l’USFP.
Le mauvais calcul de Lachgar
L’on pourrait opposer à cette analogie entre les deux formations le parcours propre à chacune des deux formations : Si le PJD a dégringolé aux dernières législatives de 125 sièges à 13, l’USFP a ajouté, lui, à son escarcelle des précédentes élections 15 sièges supplémentaires, renforçant d’autant la prétention de Lachgar à briguer un troisième mandat à la tête de son parti.
Mais si la réalité arithmétique, électoralement parlant, permet cette lecture comparative du cheminement des deux partis, celle-ci atteint ses limites dès lors qu’il s’agit de son impact politique. L’USFP, version Lachgar, a bâti sa ligne politique sur le rapprochement et l’alliance avec le RNI, mené sa campagne électorale sous cette bannière, et nourri le rêve de couronner ce parcours, en caressant l’espoir de voir ses alliés honorer leur engagement présumé de maintenir l’USFP au gouvernement. Les espoirs de Driss Lachgar lui semblaient d’autant plus légitimes que le président du RNI, Aziz Akhannouch, avait, lors du blocage de la formation du gouvernement par Abdalilah Benkirane en 2016, fondé son argumentaire sur la nécessité politique du maintien de l’USFP au gouvernement. Mauvais calcul. La suite on la connait : le limogeage de Benkirane et son remplacement par Saad Dine El Otmani, et le renvoi, cinq ans plus tard, de l’USFP à l’Opposition
Ecarté du gouvernement en 2021, incapable malgré son avancée électorale relative de négocier dignement sa participation, l’USFP s’est retrouvée en interne dans la même situation que le PJD. Aux yeux des hautes sphères, les deux formations sont devenues des partis non grata, émoussées et sans crocs qui leur permettraient d’assumer un rôle notable d’opposition.
Des différences importantes
Si telle est la situation des deux partis en termes de positionnement politique et de mécontentement interne, comment expliquer la pérennité de Lachgar à la tête de l’USFP et l’éviction de la direction précédente du PJD ?
Pour bien répondre, il convient d’attirer l’attention sur des différences importantes susceptibles, si elles ne sont pas clarifiées, de brouiller l’analyse.
Certains pourraient, par exemple, avancer que Benkirane, en tant que fondateur du mouvement islamiste, jouit d’une stature charismatique dans l’appareil du PJD, qu’il a quitté le Secrétariat général du parti sur la base d’une disposition statutaire lui interdisant un troisième mandat et non pour une raison politique, et que son limogeage constitutionnel était porteur d’un signal reçu cinq sur cinq par le PJD.
A l’opposé, Driss Lachgar ne fait pas partie des dirigeants fondateurs de l’USFP, et son parcours politique pose le problème de l’instrumentalisation à des fins personnelles du parti et son implication dans des batailles n’ayant d’autre finalité qu’un fauteuil ministériel.
Dans le cas de Benkirane, les arguments précités auraient été recevables si le PJD avait réussi à lui accorder un troisième mandat, comme le fit Lachgar. Mais ni sa stature charismatique de fondateur du parti, ni les victoires électorales qu’il a enchaînées (2011, 2015 et 2016) n’ont servi à Benkirane pour briguer un troisième mandat. En revanche, aucune des considérations accablantes retenues contre Lachgar n’ont servi à son éviction ou renforcé la position de ses opposants dont certains jouissent pourtant d’une crédibilité politique réelle.
Le PJD, réfractaire au changement subit
Pour démêler ce paradoxe, il ne sert à rien de s’en tenir à la politique stricto sensu, mais de piocher dans la sociologie politique, et plus précisément dans la composition sociale des deux partis et la nature de leurs structures organisationnelles.
Le PJD est un parti conservateur dans sa structure. Réfractaire aux changements subits et révolutionnaires, il tend toujours à mûrir ses mutations dans un cadre institutionnel où la dimension organisationnelle tient une place centrale. L’on peut même oser dire que la forte présence des procédures et leur respect méticuleux constituent le cœur battant qui n’a pas cessé de fonctionner avec une grande efficience, empêchant du même coup toute velléité de monopolisation de l’appareil au service d’un individu ou d’une catégorie.
Certes, le PJD est désormais interpelé sur son modèle organisationnel qui, selon certains, a montré ses limites et devrait céder la place à de nouveaux mécanismes. Mais, in fine, ce sont toujours les procédures qui régissent le débat, maintiennent l’équilibre de l’appareil du parti, et servent de mécanisme fondamental pour la préservation de sa cohésion interne.
Le PJD a connu un débat houleux et inédit sur les arguments politiques de chacune des positions rivales. Mais les protagonistes qui s’opposent ne représentent à eux seuls pas toute la structure du parti car, en marge des deux courants, existe une large masse centrale qui, elle aussi, porte des arguments et probablement des polarisations et des positions tues. Par respect aux procédures et pour des considérations pédagogiques, cette masse flottante préfère ajourner l’annonce de ses positions à l’instant de la décision institutionnelle.
Le PJD est traversé par des blocs adossés à des considérations diverses faites des loyautés antérieures à l’actuel conflit, de népotisme pour certains, de divergences dans l’appréciation politique pour d’autres, parfois d’humeurs, voire d’antagonismes sectaires qui trouvent leurs sources dans la composition originelle du PJD, un brassage du Mouvement Réforme et Renouveau et la Ligue de l’avenir Islamique, eux-mêmes déjà un composite. Néanmoins ce n’est pas la synthèse de ces antagonismes qui décide du résultat, mais plutôt cette masse centrale flottante qui, en dehors des blocs, fait souvent la différence.
L’absence de la masse stabilisatrice
A la différence du PJD, L’USFP dispose d’une expérience plus ancienne et plus ancrée. Il est donc normal que ses blocs et ses élites soient plus nombreux et diversifiés. Toutefois, bien des élites opposées à l’actuelle direction ont déserté l’appareil du parti ou sont restées à sa marge. Même les divergences opposant les élites encore en place, sont devenus secondaires, tant et si bien que nul ne sait au juste ce qui oppose Driss Lachgar, Habib El Malki ou encore Abdelwahed Radi et d’autres qui sont restés au sein de l’USFP.
Les considérations ayant servi de socle aux blocs au sein de l’USFP ont connu une profonde érosion et plus rien ne les justifient, sinon le népotisme, la proximité de la direction du parti, ou la recherche de nouveaux positionnements politiques. Ce mauvais pli est d’autant plus vrai que la ligne politique produite par Lachgar, au gré de son alliance avec le RNI, était perçue par les «élites loyales» comme la voie royale de l’ascension politique et la réalisation d’aspirations individuelles.
La structure organisationnelle de l’USFP qui faisait autrefois sa force, devenue son maillon le plus faible, a fini par se transformer en un outil dans les mains de la direction qui l’utilise et la façonne à sa guise. Il n’importe plus alors que les listes du dernier Congrès du parti (janvier 2022) ne soient pas affichées dès lors que les articulations de l’appareil sont toutes sous contrôle. Dépossédés de tout accès aux preuves qui peuvent étayer leurs accusations contre la direction, les opposants à la direction ne pouvaient plus, par exemple, que suivre impuissants, le cours des évènements. Même leurs recours en justice pour le rejet du troisième mandat n’a reçu qu’une fin de non-recevoir. Sorti vainqueur de sa bataille organisationnelle interne, Driss Lachgar, a trôné sans partage sur les travaux du Congrès.
La structure organisationnelle de l’USFP révèle au grand jour, à la lumière de ce congrès, sa fragmentation, en l’absence d’une large frange au centre, cette masse stabilisatrice, décrite plus haut dans le cas du PJD, capable de maintenir le parti en équilibre et en vie. Ainsi, le navire Lachgar vogue et tangue au gré d’un nouveau-venu mû par des considérations opportunistes, d’un opposant qui mène une guerre interne sans accès aux armes, ou d’un matelot en rade qui, ayant déserté le navire, continue tout de même de mener la guerre depuis une berge.
Au bout du compte, la différence entre l’USFP et le PJD s’explique par deux paramètres. Le premier, d’ordre organisationnel, consiste en la présence étoffée de cette large masse centrale au sein du PJD et son absence flagrante à l’USFP. Le second concerne les procédures organisationnelles qui, religieusement observées par le PJD lui permettent de gérer efficacement ses conflits, alors que, côté Ittihadi, elles sont mises à mal, façonnées sur mesures, sciemment utilisées pour assécher la masse stabilisatrice du parti, poussant toujours et encore les récalcitrants à passer par-dessus bord.