Politique
Ce qui se passe au PJD (Par Bilal Talidi)
Pour se dégager du piège dans lequel l’a enfermé Benkirane, El Otmani a opté pour l’ambiguïté, usant des subterfuges chers aux fouqhas.
Deux questions primordiales s’imposent au sujet des tensions internes au sein PJD. La première consiste à sonder les raisons ayant amené son ancien Secrétaire général, Abdalilah Benkirane, à geler son adhésion au parti et à rompre toute relation avec cinq membres du Secrétariat général. La seconde porte sur les scénarii futurs de cette tension.
Benkirane est un animal politique qui opère avec des équations très habiles, dont il faut impérativement cerner les dessous pour comprendre la position de l’homme. A l’évidence, il n’a pris cette décision qu’après avoir recueilli suffisamment de données sur l’entorse à l’indépendance de la décision partisane, à même de lui permettre d’isoler la direction politique du parti.
Lors de ses trois rencontres, le Secrétariat général n’a pas tranché sa position sur la loi relative à la légalisation du cannabis, mais s’était d’ores et déjà dégagé une majorité qui lui était hostile. La même tendance s’est dessinée lors de la rencontre de réflexion convoquée par le Secrétaire général du PJD, Saad Dine El Otmani, avec la participation d’experts et de spécialistes de plusieurs domaines (droit, médecine, science), qui ont conforté la propension à souligner les risques de cette loi.
De ce fait, Benkirane savait pertinemment que la décision du parti n’était pas favorable à El Otmani et aux autres dirigeants qui portaient cette loi et œuvraient à susciter un courant d’opinion interne qui leur serait favorable. Fort de ce renseignement il a tenu à annihiler leur marge de manœuvre par la menace de geler son adhésion au parti si le Secrétariat général venait à approuver la loi sur le cannabis.
A partir de là, le piège s’est refermé sur El Otmani qui ne pouvait ni s’accommoder de la tendance générale au sein de son propre parti, ni s’opposer à la présentation du projet de loi en Conseil de gouvernement. Pour sortir de l’embarras, il a opté pour l’ambiguïté, usant des subterfuges chers aux fouqhas. Ainsi a-t-il choisi d’ajourner la décision du Secrétariat général pour contourner la menace de Benkirane, avant de surprendre son monde en le mettant devant le fait accompli : l’adoption de la loi en Conseil de gouvernement. La ruse consistait à vider l’opposition du Secrétariat général de tout impact condamnant ainsi les deux groupes Pjdistes au Parlement (chambre des représentants et chambre des conseillers) soit à voter contre la loi ou à s’abstenir, pour enfin ouvrir au projet de loi la voie de l’adoption par tous les partis représentés au parlement à l’exception du PJD.
Auparavant, Saad Dine El Otmani a rendu visite à A. Benkirane à son domicile avec l’objectif clair de le persuader d’adhérer au projet, et à défaut de tempérer sa réaction éventuelle. Mais la rencontre s’est terminée par l’engagement d’El Otmani de tenter de parler à qui de droit pour obtenir le report de l’examen du projet de loi au Conseil du gouvernement.
Benkirane n’avait qu’une exigence : que la décision revienne à l’institution du parti et que le Chef du gouvernement rejette la loi controversée puisque la majorité de la direction du parti lui était hostile. A défaut, il devrait envoyer un message aux partisans de cette loi leur signifiant que la fin de son mandat en cours n’est pas le moment approprié pour son adoption.
La logique de Benkirane repose sur une évaluation politique bien calculée. Après le coup du quotient électoral, il n’est pas question pour le PJD d’essuyer le coup de l’adoption d’une loi présentée par le PAM dans une conjoncture électorale similaire et que le Secrétariat général du parti avait rejetée par un communiqué circonstancié en 2016.
Cette même logique s’appuie aussi sur la règle qui fait consensus au parti. Elle veut que toute tentative avérée de soustraire une question aux institutions du parti met en danger son autonomie de décision. Les contrevenants se devraient d’être recadrés et le parti d’assumer ses responsabilités en leur demandant des comptes au sein de ses propres institutions. Au cas contraire, de prendre, pour le moins, ses distances avec une formation qui aurait renié ses principes, à la tête desquels son autonomie de décision.
En l’état actuel des choses, les scénarii envisageables ne sont pas légion. La directive d’El Otmani de s’abstenir de tout commentaire au sujet de la décision de Benkirane postée sur les réseaux sociaux, pas plus que les assurances données en interne sur l’intention du Secrétariat général de prendre des initiatives d’«entente et de mutuelle compréhension», ou encore la tenue le weekend prochain d’une réunion du Conseil national du parti, ne seront d’une quelconque utilité, si ce n’est de servir d’exutoire et de fournir un espace à un débat dûment «encadrée» au sein des institutions du parti dans l’espoir de juguler les épanchements à la marge.
Nul autre scénario n’est donc attendu de la direction actuelle hormis l’exutoire. Une chose est pourtant sûre : la tension à l’œuvre poussera de nombreuses élites, dont d’anciens partisans de l’actuel Secrétaire général, à réfléchir à un Congrès extraordinaire du parti pour régler la question par la voie de la démocratie interne.