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L’Armée algérienne et le coiffeur marocain
Les généraux algériens cherchent certainement à porter la tension à son paroxysme pour contraindre les puissances à ralentir les développements d’une situation au Sahara qui s’est accélérée d’une façon qui a commencé à leur échapper totalement
Les généraux algériens ont pris la mouche seulement parce que quelque part il a été dit que la glorieuse armée nationale populaire (ANP), héritière de la non moins glorieuse armée de libération, allait se « réengager », en même temps que le Maroc, aux coté du G5.
Le G5 est dans la région sahélienne l’interlocuteur de l’Alliance Sahel. Celle-ci est composée, selon le site du ministère des Affaires étrangères français, de la France, de l’Allemagne et de l’Union Européenne et compte 25 partenaires techniques et financiers. Jusque-là rien de bien extraordinaire. Tout s’inscrit dans le désir de Paris d’élargir le front qu’il a ouvert en 2013 au Mali par l’opération Serval contre les différents groupes jihadistes pour stopper leur assaut depuis le nord malien sur Bamako.
Où est donc le problème si l’Algérie devait se « réengager » dans ce combat contre le terrorisme qu’elle affirme maitriser mieux que quiconque en raison de sa longue et meurtrière guerre civile dans les années 1990 et dont elle encaisse encore les contrecoups que le pouvoir désigne par la formule fétiche et euphémique de « terrorisme résiduel » ? N’est-ce pas, entre autres, à cette fin que la constitution algérienne a été amendée de manière à permettre à l’APN d’intervenir en dehors de son territoire ?
Mais cette interprétation des faits obéit à une lecture logique et objective et avec les généraux algériens, il ne faut pas aller chercher la cohérence et la congruence là où elles sont incompatibles. Néanmoins tout cela aurait pu passer sous les radars si un communiqué du ministère algérien de la Défense n’était venu mettre la puce à l’oreille du commun des mortels distrait par la pandémie et la campagne de vaccination. Ce communiqué qualifie l’information de fausse, ce qui est peut-être vrai et, en tout cas, c’est son droit. Seulement il y a un hic et le hic c’est qu’il accuse le Maroc d’être à l’origine de ce qu’il veut faire passer pour une manipulation. Il s’en prend violemment aussi à des « portevoix de la discorde » » et à des « comptes subversifs » relayant « des intox qui ne peuvent provenir que d’ignares à la solde des services du Makhzen marocains et sionistes ». Pas moins.
Sans ultimatum, on franchit le mur du son et les élucubrations atteignent des altitudes stratosphériques. On tombe des nus, sans parachute, et on se perd en conjectures. On sait qu’Alger, depuis les dernières évolutions de l’affaire du Sahara, est dans une logique de tension permanente pour des raisons internes, mais pas seulement. La caste militaire n’a pas non plus gobé la reconnaissance américaine qui signe l’échec d’une stratégie devenue au fil des ans son ferment et sa raison d’être. Les généraux cherchent certainement à porter cette tension à son paroxysme pour contraindre les puissances à ralentir les développements d’une situation qui s’est accélérée d’une façon qui a commencé à leur échapper totalement au point de les contraindre à avancer de plus en plus à visage découvert.
Mais cette logique, pour cernable qu’elle soit, est une logique dangereuse qui peut déraper à tout moment. Cherchent-ils la confrontation ? C’est une question à ne pas négliger, et il serait ingénu de croire qu’en haut lieu elle le soit.
L’anguille sous roche
Pour comprendre l’approche des généraux algériens dans ce montage en épingle d’une affaire qui n’en est pas une, et saisir ce qu’elle a de surfait et de fallacieux, il faut revenir au journaliste algérien Hichem Aboud, installé aujourd’hui en France.
Hicham Aboud est un enfant du sérail. Il a commencé par l’école des élèves officiers, mais c’est le journalisme, aussi bien dans sa formation que dans sa nature, qui l’emporte chez lui. Après quelques escales dans la presse civile, c’est, à la fin de ses études, tout naturellement au sein de l’armée qu’il fait ses premières armes dans le journalisme et s’aiguise aux arts du métier dans les rangs du « commissariat politique de l’armée algérienne ». Il est en charge, selon sa biographie, de la version francophone de la revue El Djeich. Ecarté, il va travailler par la suite aux cotés du général Lakhel Ayat, un des pontes à l’époque de la sécurité militaire.
Mais dès les débuts des années 1990, Hichem Aboud s’annonce en rupture de ban. Il fait ensuite un passage auprès du général Betchine, un autre sécuritaire de l’armée qui finira sa carrière en tant que ministre conseiller du général Liamine Zeroual, président de la république pendant la deuxième moitié de la décennie noire (1995 à 1999). H. Aboud ne reste à ses cotés que 11 mois avant de prendre le large pour de bon. Depuis, ses démêlés avec la justice de son pays ne se comptent plus, en même temps que ses condamnations toujours en rapport avec l’exercice du journalisme. Au fil du temps, il devient l’opposant notoire aux généraux et a pour tête de turc privilégié le général à la retraite Khaled Nezzar, un des parrains de l’armée algérienne depuis qu’il a conduit le coup d’Etat en 1992 contre le président Chadli Benjedid.
C’est ce paria des généraux, dont il maitrise les ficelles, qui, le premier sur sa WebTV sur Youtube, déniche l’anguille sous roche et amplifie l’écho du réengagement de l’armée algérienne au Sahel au sein de l’Alliance parrainée par la France. Et c’est lui vraisemblablement que le communiqué du ministère de la défense algérien vise comme « portevoix de la discorde » » et « comptes subversifs » à la solde « des services du Makhzen marocains et sionistes ».
Pourtant la source de cette information colportée et commentée par H. Aboud n’est autre que le président français Emmanuel Macron lui-même. Il en a fait état publiquement lors de sa conférence de presse à l’issue du Sommet du G5 à Ndjamena au Tchad.
Dès lors, on est en droit de se demander si E. Macron aurait pu livrer l’information du réengagement algérien au Sahel si ce n’était déjà acté ? Le doute n’est pas permis. Mais peut-être aussi qu’il a pris pour argent comptant un accord de principe ou une position ambivalente et dilatoire de ses interlocuteurs algériens. Ils en ont l’habitude. A ce stade, seul l’Elysée est en mesure d’apporter une version circonstanciée de ce qu’il s’est passé.
Cerner pourquoi le chef de l’Etat français s’est cru autorisé de divulguer le réengagement algérien et comprendre pourquoi les généraux de l’APN ont cru utile de monter sur leurs grands chevaux mériteraient un article à part. Mais déjà quelques questions s’imposent, au-delà de la crise politique du pays : Le réengagement algérien a-t-il fait l’objet d’un désaccord post-accord au sein de l’état-major de l’armée algérienne ? Pour s’en libérer, quoi de mieux alors que de prendre prétexte sur le Maroc ? La révélation de ce réengagement qui devait peut-être rester secret pour une armée qui élève la cachoterie au rang de religion et de doctrine de management politique, a-t-il provoqué un trouble assez fort au point de précipiter un reniement inattendu ? Ou est-t-il l’expression de la colère des généraux contre le président français qui a dévoilé l’information, qui plus est, en même temps que celle concernant le « réengagement » du Maroc ?
Peut-être tout cela à la fois. Quoi qu’il en soit, il est bien commode de se défausser de ses problèmes sur le Royaume, c’est un réflexe atavique chez les généraux algériens. Un proverbe maghrébin rend bien l’absurde de ce « bouc-émissairisme » : Le minaret est tombé, pendez le coiffeur ! Mais quoi qu’on en dise, l’arbre ne peut cacher la forêt. Quant à la qualification de la fébrilité du pouvoir algérien et de son inélégance légendaire, vaut mieux en laisser la responsabilité à Hichem Aboud ; il est le mieux placé pour en parler dans sa vidéo.