Moins d’Etat ou plus d’Etat ? Mieux d’Etat ! Par Mustapha SEHIMI

5437685854_d630fceaff_b-

25 mai 2021 - Le Roi présidant la cérémonie de présentation du rapport général de la Commission Spéciale sur le modèle de Développement : l’institution monarchique, par sa centralité assume le cahier de charges dont elle est investie au triple plan religieux – Imarat Al Mouminine -, constitutionnel- Roi et Chef d’Etat – et politique – est le garant de l’essentiel national et du bon fonctionnement des institutions.

1
Partager :

http://www.quid.ma/uploads/details/musss5.jpg

L’année qui finit a remis au premier plan, entre autres problématiques celle de l’Etat. C’est vrai au Maroc - à l’international aussi. La triple crise sanitaire, sociale et économique a ainsi posé de tout son poids pour appréhender, autrement, la place et le rôle de l’Etat. 

Au cours du XXème siècle, la mondialisation s’est imposée comme une expansion planétaire du système capitaliste. Elle a été porteuse d’une intensification des échanges de toutes natures. S’est-elle développée historiquement « hors » ou « contre » l’Etat ? Une tendance de fond a été celle de l’interventionnisme croissant de l’Etat. Mais en même temps, lors des précédentes décennies 1980 et 1990, il vaut de noter que les dirigeants occidentaux libéraux (Reagan, Thatcher,…) ont organisé le retrait de l’Etat en laissant se développer une régulation par les marchés. L’Etat s’est-il ainsi trouvé génétiquement modifié ?

PAS : Idéologie néolibérale

A un premier niveau d’analyse, l’étatisme, dans ses formes très différentes, a reculé par suite de la mondialisation. L’Etat-providence a été de plus en plus détrôné par l’idéologie néolibérale. D’où ce constat d’une triple crise de l’Etat- providence : de financement, d’efficacité et de légitimité. Et un nouveau modèle de gouvernance par les marchés s’est alors imposé.  Porté par le FMI, le Trésor américain et la Banque mondiale, ce dogme s’est incarné dans les programmes d’ajustement structurel (PAS) appliqués dans les années 1980. Au cœur de cette idéologie, ce que l’on appelle le consensus de Washington avec ses « dix commandements » (déréglementation, privatisation, ouverture,…). Les forces du marché organisent l’économie et leur déterritorialisation outrepasse les capacités de contrôle de l’Etat ; il y a là un débordement des Etats, un basculement d’autorité de ceux-ci vers les firmes multinationales. En lien avec l’affaiblissement des Etats, les frontières ont changé de nature et de fonction : elles sont devenues des interfaces, des zones plus épaisses et fortement polarisantes.

D’où, à un autre niveau d’analyse, le déclin de l’ «Etat territorial ». Un double effet a poussé dans ce sens : celui d’«intrusions  verticales » aviation, satellites,…) et celui d’«intrusions  horizontales » par suite de l’accroissement des échanges. Ce n’est plus seulement le territoire de l’Etat qui est affecté, mais bien les capacités des institutions et administrations à décider de manière souveraine : elles sont en effet insérées dans des réseaux de plus en plus denses de liens et d’acteurs internationaux et d’intérêts divers.

Une nouvelle gouvernance de crise

Avec le début du XXIème siècle, que constate-t-on ? La redéfinition des prérogatives de l’Etat et du rôle des frontières. L’Etat est-il tellement soumis au pouvoir des firmes ? N’existe-il pas des interactions « positives » entre les firmes et l’Etat ? La formule des champions nationaux traduit bien cette relation. De plus, l’Etat développe parallèlement une nouvelle gouvernance de crise avec le sauvetage, lors de la crise des subprimes (2008), à travers des plans de sauvetage des banques et de l’industrie. Les Etats, européens surtout, ont renforcé la réglementation du système bancaire et de marchés financiers. L’Etat va encore plus loin. Il redéfinit ainsi son action économique dans la mondialisation. Comment ? En s’adaptant à la nouvelle donne internationale : diplomatie commerciale, action des entreprises publiques et des banques sur les marchés, pratique du néoprotectionnisme, usage d’un droit extraterritorial comme les Etats-Unis, constructions régionales,…

S’opère aussi le « retour » des frontières. Cette réactivation des frontières (terrestres, ports, aéroports) a débuté après le 11 septembre 2001. Vingt ans plus tard, le contrôle de frontières est apparu comme une clef de maîtrise de la pandémie de Covid-19. Les prophéties fin de siècle sur un monde de mobilités accrues et d’interdépendances apaisées ne sont pas probantes ; les cas de réaffirmation des identités nationales et du fait frontalier se multiplient. Le Brexit  est significatif à cet égard :il marque une volonté populaire de reconstruire une frontière entre le Royaume-Uni et le continent…Le XXIème siècle, lui, débute comme étant celui de leur sécurisation. L’Etat-nation reprend alors de la vigueur sous la forme notamment d’un protectionnisme crispé.

Qu’en est-il  au Maroc ? L’Etat n’a pas été épargné par les multiples séquences connues dans l’environnement international, en particulier depuis les années quatre-vingt du siècle dernier : tant s’en faut. Le PAS préconisé par le FMI et la Banque mondiale a ainsi été appliqué de 1983 à 1993. Depuis, la tendance globale a été marquée par de multiples réformes de déréglementation. De libéralisation. Et d’ouverture. Une contrainte liée à l’insertion progressive de l’économie nationale dans la mondialisation. Elle a été sanctionnée aujourd’hui par 54 accords de libre-échange avec pas moins d’une centaine de pays. Du « gagnant-gagnant » ? Pas sûr, tant les avantages nationaux restent modestes par rapport à ceux engrangés par d’autres pays (Etats-Unis, Turquie,…).

NMD : un « Etat fort… »

La lecture que fait le Nouveau Modèle de Développement (NMD), publié à fin mai dernier, est intéressante à rappeler. Il est ainsi proposé une « nouvelle doctrine organisationnel » : celle de la « complémentarité entre un Etat fort et une société forte ». Mais un « Etat fort », c’est quoi au juste ? Un Etat assurant ses missions régaliennes, garantissant la sécurité, le respect de la légalité, la protection aussi en ce que celle-ci implique de dignité et de libertés. Un « Etat central vigilant » dans les domaines suivants : la vision, le cap, la cohésion sociale et l’équilibre entre les politiques publiques nationales et celles déclinées dans la « dynamique régionale  et locale ». Dans son discours du Trône de juillet 2019, le Souverain avait ainsi développé le concept de « responsabilité et d’essor ». Une mission où l’institution monarchique, par sa centralité assume le cahier de charges dont elle est investie au triple plan religieux – Imarat Al Mouminine -, constitutionnel- Roi et Chef d’Etat – et politique – garant de l’essentiel national et du bon fonctionnement des institutions.

Le NMD qui avance cette doctrine précise que cela ne signifie pas « moins d’Etat, mais mieux d’Etat ». Trois fonctions essentielles sont mises en relief à cet égard : celle d’un Etat visionnaire et stratégie ; celle d’un Etat protecteur et régulateur ; enfin, celle d’un Etat protecteur. Au final, « un Etat plus fort », tirant sa forces – et même, dira-t-on, sa légitimité – de sa capacité à orienter, gérer, et administrer. De quoi renforcer sa place et son rôle. 

Avec la pandémie Covid-19, depuis mars 2020, le constat général est le suivant : l’Etat a été réhabilité ; sa démultiplication dans des appareils administratifs, sécuritaires couplée à des mesures d’aide et de soutien a fortement poussé dans ce sens. Les besoins et les attentes des citoyens sont très contraignantes ; elles participent de profondes  aspirations d’un Maroc d’avenir. Ce n’est pas le moindre challenge du nouveau gouvernement de prendre en charge cet état d’esprit avec sa traduction en mesures concrètes : elles doivent faire sens et de nature à nourrir l’espoir…

lire aussi