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Cinq choses à savoir sur les opiacés ces médicaments qui tuent 130 personnes par jour
Fentanyl omniprésent, morts par centaines de milliers et un procès potentiellement historique contre l'industrie pharmaceutique : la crise des drogues opiacées, qui a commencé dans les années 1990, n'en finit pas de ravager les Etats-Unis.
Un procès fédéral, le premier du genre, doit s'ouvrir lundi dans l'Etat de l'Ohio pour déterminer les "coupables" de ce désastre avec les géants de l'industrie pharmaceutique au banc des accusés. Ces derniers tentent d'arracher un accord de dernière minute avec les Etats américains et collectivités locales qui veulent les faire payer pour les ravages causés par la crise, dans l'espoir de mettre fin aux poursuites.
Voici quelques éléments pour comprendre ce dossier.
Qu'est-ce que le fentanyl ?
Le fentanyl est un opiacé de synthèse aux capacités euphorisantes. Sous sa forme légale, c'est un médicament utilisé comme sédatif dans le traitement de douleurs sévères, notamment pour des malades du cancer. Délivrable uniquement sur ordonnance, il est considéré comme 50 fois plus puissant que l'héroïne, un opiacé illégal, selon le National Institute on Drug Abuse.
Mais il est depuis plusieurs années détourné de son usage médical, fabriqué et vendu illégalement sous forme de poudre, de spray ou de comprimés contrefaits, et a fait exploser le nombre de morts par opiacés depuis 2013.
Les trafiquants le mélangent fréquemment à d'autres substances, comme l'héroïne ou la cocaïne, en raison de sa plus grande rentabilité.
Combien de morts ?
Les derniers chiffres des Centres de contrôle des maladies (CDC) font état de plus de 400.000 morts par overdoses aux opiacés aux Etats-Unis entre 1999 et 2018, et plus de 130 morts par jour aujourd'hui encore.
En 2018, le nombre d'overdoses mortelles a reculé pour la première fois en vingt ans aux Etats-Unis, mais les morts dues au fentanyl et autres opiacés synthétiques ont continué de progresser, avec près de 32.000 victimes, selon des chiffres officiels encore provisoires.
A qui la faute ?
Beaucoup d'experts reconnaissent aujourd'hui que la crise des opiacés a commencé avec la surprescription de médicaments anti-douleur comme l'OxyContin du laboratoire américain Purdue, alors qu'ils étaient jusqu'au milieu des années 90 réservés aux maladies les plus graves.
Purdue et d'autres laboratoires comme Johnson & Johnson ou Teva ayant fabriqué des médicaments similaires, ainsi que les grandes chaînes de pharmacie américaines, sont accusés d'avoir fait une promotion agressive de ces médicaments et de ne pas avoir réagi aux signaux d'alerte sur les abus dont ils faisaient l'objet.
Ils font face à une avalanche de plaintes en justice, émanant des Etats américains et de collectivités locales en tous genres, qui veulent récupérer les milliards engagés pour endiguer la crise.
Les principales entreprises attaquées en justice ont fait récemment des propositions de dédommagement se chiffrant en milliards de dollars, dans l'espoir de solder l'ensemble des poursuites à leur encontre. Mais aucun accord n'a encore été scellé.
Le CDC estime à quelque 78,5 milliards de dollars par an "le fardeau économique" de la crise, incluant frais de santé, productivité perdue et coûts pour le système pénal. Une étude publiée mardi par la Société américaine des Actuaires estime même à 631 milliards de dollars le coût pour les quatre années 2015-2018.
Que font les autorités ?
Le gouvernement Trump a fait de la crise des opiacés une priorité de santé publique en octobre 2017, permettant de débloquer des fonds importants pour lutter contre la crise, améliorer le traitement et la prévention des dépendances aux drogues - un problème qui ne date pas des opiacés - et trouver des solutions non addictives à la douleur.
Au-delà de la répression du trafic des opiacés, les Instituts nationaux de santé (NIH) ont lancé en avril 2018 une initiative baptisée HEAL pour trouver des solutions médicales et scientifiques à la crise, à laquelle a été allouée pour l'année fiscale 2019 la somme record de 945 millions de dollars.
La plupart des Etats américains se sont par ailleurs, via leurs procureurs, montrés très agressifs dans les poursuites contre l'industrie pharmaceutique.
L'Europe est-elle préservée ?
La situation en Europe "est très différente", résume le directeur scientifique de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), Paul Griffiths, en avançant plusieurs facteurs protecteurs: prescriptions d'anti-douleurs mieux encadrées, usage d'héroïne moins fréquent chez les jeunes et accès plus facile aux traitements de substitution à l'héroïne, moins puissants et moins risqués que le fentanyl.
Mais le Vieux continent n'est pas pour autant épargné. Plus de 8.200 morts liés aux drogues ont été enregistrées dans l'Union européenne en 2017, dont "environ 70%" sont liées aux opiacés, selon M. Griffiths. Le Royaume-Uni et la Suède ont connu des pics ponctuels d'overdoses mortelles liés au fentanyl en 2017.
Les saisies de fentanyl et ses dérivés sont aussi en forte croissance : une quinzaine de kilos ont été saisis en 2017, contre un seul l'année précédente, selon M. Griffiths.