Comment la recherche nobélisée prolonge la vie de malades du cancer

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Il vit désormais avec le but numéro un, en vivant longtemps, de donner le plus de souvenirs possible à ces enfants". Shaun Tierney est atteint depuis 12 ans avec une forme agressive de cancer des reins, une durée inimaginable au moment de son diagnostic, mais rendue possible par des travaux de recherche récompensés cette année par le prix Nobel de médecine.

Les enfants de cet ingénieur de 64 ans venaient de quitter le foyer familial quand "le sol s'est dérobé sous nos pieds", raconte à l'AFP M. Tierney, atteint d'un cancer rare appelé carcinome des cellules rénales.

Son cas est l'illustration parfaite de la traduction de travaux de recherche fondamentale dans la vie réelle, dans des thérapies utilisées pour soigner des patients.

Le Nobel de médecine a été attribué en octobre aux Américains William Kaelin et Gregg Semenza, et au Britannique Peter Ratcliffe, pour leurs découvertes, à partir des années 1990, sur la façon dont les cellules de l'ensemble du corps détectent et s'adaptent à divers niveaux d'oxygène. Les premières applications thérapeutiques ont vu le jour au milieu des années 2000.

En 2007, quand on annonce à Shaun qu'il a un cancer, on lui dit qu'il a 3 à 5% de chance de vivre cinq ans.

Son salut est dû à un traitement appelé Sutent, directement issu des travaux des chercheurs, et qui représente un nouveau type de médicament: la molécule est conçue pour stopper la croissance des vaisseaux sanguins qui nourrissent les cellules des tumeurs.

Au départ, le professeur Kaelin n'imaginait pas que ses travaux l'emmèneraient dans cette direction. Ce chef de laboratoire à l'institut anticancéreux Dana Farber à Boston, qui est aussi professeur à l'école de médecine d'Harvard, s'intéressait au départ à une maladie héréditaire rare, la maladie de von Hippel-Lindau, ou VHL.

Cette maladie fait développer à ses victimes des tumeurs qui envoient des signaux de détresse au corps pour dire: nous manquons d'oxygène. L'un de ces signaux est une protéine du nom de VEGF. En réponse, le corps développe plus de vaisseaux sanguins pour le cancer. Le corps finit par doper lui-même la maladie.

William Kaelin a eu l'idée d'exploiter ce mécanisme, dans le gène VHL, pour "inhiber" ou paralyser les protéines qui analysent le niveau d'oxygène et envoient les signaux de détresse. Sutent est l'un des sept médicaments traitant ce type de cancers.

"Période passionnante" 

‘’Nous sommes dans une période passionnante", dit le cancérologue qui suit Shaun Tierney, Toni Choueiri, de l'institut Dana Farber.

"Nous ne guérissons pas tout le monde, loin de là. Mais c'est fou, la maladie était autrefois une peine de mort, on disait aux gens de préparer leur testament, et maintenant les gens vivent pendant des années".

Ces douze années n'ont pas été une sinécure pour le patient miraculé. Le médicament est toxique, le traitement est "très dur", dit-il.

Après avoir subi de la radiothérapie, il a commencé à prendre Sutent, par voie orale, au rythme de 28 jours de traitement et 14 jours de repos.

Mais la férocité des effets secondaires, diarrhées et perte de poids, a fait changer le dosage. Depuis quatre ans, c'est cinq jours de traitement, neuf jours de repos.

Beaucoup de patients n'ont pas eu sa chance.

"La plupart des patients, mais pas tous, en bénéficient", dit William Kaelin. "Mais même chez ceux qui en bénéficient, cela ne dure que quelques mois voire quelques années, puis le cancer reprend le dessus".

On suppose que la variabilité dépend des mutations génétiques individuelles des patients, mais cela reste un mystère pour la science.

Souvent, les patients doivent prendre un autre traitement de type nouveau, une immunothérapie, dont le principe est que l'on dope arme le système immunitaire du patient pour qu'il s'attaque aux cellules cancéreuses qui lui sont autrement invisibles.

William Kaelin, lui, veut pousser la piste des médicaments qui exploitent la faille de l'oxygène. Il s'intéresse à une autre protéine, baptisée HIF2, qui active la production de plusieurs substances contribuant à la croissance du cancer. Des essais cliniques sont en cours, avec la société Peleton.

Ces réussites sont particulièrement gratifiantes pour cette catégorie spéciale de chercheurs qui sont aussi des médecins et ont un pied à la fois dans des laboratoires et dans des hôpitaux, au contact des patients.

"C'est extraordinaire de voir que j'ai pu, avec beaucoup, beaucoup, beaucoup d'autres qui travaillent dans ce domaine, faire avancer les choses et créer de nouvelles thérapies pour ces patients", dit William Kaelin.

Le patient, Shaun Tierney, a conscience de sa chance.

"Ma survie prolongée m'a permis de voir nos trois enfants se marier, fonder des familles, acheter des maisons et devenir des adultes équilibrés", confie-t-il. "Mon but numéro un, aujourd'hui, en vivant longtemps, est de donner le plus de souvenirs possible à ces enfants".

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