économie
Hicham Bouzekri dit tout sur la R&D au Maroc
La Fondation MAScIR, « Moroccan Foundation for Advanced Science, Innovation and Research », est une institution publique à but non lucratif qui a pour objectif la promotion de la recherche scientifique et le développement technologique. Créée en 2007, elle est présidée depuis décembre 2014 par Hicham Bouzekri qui a été pendant plusieurs années directeur de développement au sein de la fondation. Il s’est confié au Quid pour parler des missions et des objectifs de MAScIR et éclairer ainsi sur la véritable utilité de cet établissement.
Monsieur Hicham Bouzekri, vous êtes aujourd’hui le Directeur Général de Mascir, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Hicham Bouzekri, lauréat de l’école Mohammedia de 1995. J’ai travaillé pendant deux ans dans l’industrie d’assemblage électronique à Casablanca. J’ai bénéficié d’une bourse « Fulbright », pour faire un Phd. aux États Unis. En 2002 je suis rentré et j’ai intégré l’université Akhawayn en tant que professeur associé en parallèle d’une carrière en R&D microélectronique à ST Microélectronique. Par la suite j’ai rejoint Mascir en tant que Directeur développement en 2013 puis en tant que Directeur Général, que je suis depuis deux ans maintenant.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de Mascir ?
Mascir a été fondé en 2007 par le gouvernement marocain et a bénéficié d’un contrat-programme qui a couvert les 5 premières années avec un investissement considérable et depuis 2014 nous bénéficions également du soutien de la fondation OCP.
En quoi consiste le travail de la fondation Mascir et quel est son objectif principal ?
L’objectif de Mascir est de créer ou de démarrer une recherche et développement orientés marché. Ceci est différent d’un centre de recherches universitaire ou d’une recherche universitaire qui, elle, a pour vocation de créer de la publication scientifique qui est le critère principal d’avancement d’une carrière de recherche universitaire. Nous, notre critère est plutôt le transfert technologique vers les industries pour aider les industries marocaines à monter plus haut dans la chaîne de valeur à travers la création de produits innovants. Il s’agit également de favoriser la création de startups innovantes à partir de produits que nous avons développés en interne. Et enfin de travailler sur des secteurs où il n’y a pas encore vraiment d’activités industrielles au Maroc. L’objectif est de démarrer une recherche et essayer de créer ou d’amorcer une industrialisation dans des secteurs particuliers. Pour cela, nous travaillons sur trois axes. Le premier concerne tout ce qui touche aux nanomatériaux, le deuxième la micro électronique et le troisième tout ce qui est biotechnologie. Et à partir de ces trois axes scientifiques, nous allons décliner des solutions pour les différents secteurs telles que l’énergie renouvelable, l’agriculture et l’agroalimentaire. Nous allons également travailler sur tout ce qui est transport intelligent, matériaux innovants et sur l’amélioration des rendements des filières agricoles à travers l’utilisation d’organismes biologiques tels que les bactéries et enzymes.
Quelles sont les missions et les attributions de Mascir pour atteindre son objectif ?
Je vais commencer par les attributions. Nous sommes une association à but non lucratif donc nous avons une grande indépendance en terme de gestion et de recrutement. Nous avons également des appuis stratégiques qui sont assez importants. Nous sommes en partenariat avec un certain nombre d’acteurs de référence de la place, tels que Masen, la fondation OCP, l’ONCF, Autoroutes du Maroc et aussi beaucoup d’acteurs privés comme Lesieur-Cristal, Cosumar et d’autres. Donc cette flexibilité de gestion est vraiment un atout pour Mascir parce que ça nous permet d’être très réactifs aux besoins et aux demandes de nos partenaires. En termes de missions et d’indicateurs de performance, avec le conseil d’administration, nous fixons un certain cap et un certain nombre d’indicateurs de performance, notamment notre capacité à aller chercher des financements externes soit à travers des contrats avec des industriels, soit à travers des appels à projet que lance le ministre de l’enseignement supérieur ou les financements européens de la recherche. Nous travaillons également sur notre capacité à aller créer ce que j’appellerais des voies de valorisation de notre recherche, donc des startups ou des contrats de transfert industriel. Nous avons également comme objectifs les publications de hautes qualités scientifiques et enfin les brevets. D’ailleurs, nous sommes l’un des principaux dépositaires de brevets institutionnels au Maroc avec des taux de revendication retenus par l’OMPIC qui sont remarquablement élevés (80 à 100%). Donc nous avons accumulé aujourd’hui plus de cent brevets dont certains sont en cours de valorisation et d’autres déposés à l’international.
Si vous deviez faire un diagnostique du travail de la fondation Mascir que nous diriez-vous ?
Je pense qu’il y a eu plusieurs phases dans la vie de Mascir. Il ya une phase entre 2008 et 2011 où il fallait recruter, acheter des équipements et les installer. Il y a eu une phase entre 2011 et 2014 où c’était de l’investissement sur la R&D, donc il y a eu beaucoup de financements de projets en interne qui ont permis de créer un patrimoine intellectuel et un portefeuille de produits. Et depuis 2015-2016, nous sommes dans une phase de valorisation, d’ouverture sur l’industrie et de création de start-ups. Donc nous sommes dans la phase où tout l’investissement, qui a pris toutes ces années, est en train de donner ses fruits. Je pense qu’il y aura une accélération des arrivées sur les marchés de tout ce que nous avons développé et tout ce sur quoi nous avons investi. Ce qu’il nous manque, par contre, c’est la possibilité de prendre des participations dans des sociétés, ce qui est le cas de centres similaires aux Etats Unis où souvent, effectivement, les centres de recherches des universités ont des véhicules de prise de participation et de financement de startups.
Dans quel état est la R&D au Maroc aujourd’hui ?
Je pense que nous sommes dans une phase charnière qui est très intéressante dans l’histoire de la R&D au Maroc. Pendant très longtemps, les financements de la R&D par l’Etat étaient relativement limités, on ne dépassait jamais les 300 ou 400.000 dirhams. Or ces financements sont en deçà de ce qui est nécessaire pour aller vers quelque chose d’utile et de valorisable dans l’industrie. Il y a eu l’appel à projet lancé par le ministère de l’enseignement supérieur qui a porté sur, à peu près, 300 millions de dirhams, ce qui est considérable et des financements de projet qui pour certains sont allés jusqu’à 10 millions de dirhams. Cela a complètement changé la donne. L’autre aspect important c’est que nous avions aussi une orientation de la recherche, parce que c’était de la recherche financée pour des axes prioritaires. Il fallait faire de la recherche autour de problématiques particulières ce qui permet de canaliser un peu l’effort de recherche des universités marocaines. Il y a aussi, je dirais, une certaine ouverture du marché qui fait qu’un certain nombre d’entreprises sentent que la R&D devient un élément de compétitivité et non pas simplement de la responsabilité social et environnemental. Il y a d’autres acteurs qui sont venus aussi soutenir la R&D tels que l’Iresen, Masen dans le secteur des énergies renouvelables qui est un secteur où il n’y avait pas de financements intrinsèques marocains de la R&D et aujourd’hui c’est le cas. Il y a aussi des universités privées qui sont venues enrichir le paysage de la R&D universitaires. Donc je pense que la R&D est en train de prendre un certain envol au Maroc et que c’est la bonne période pour investir en R&D. Les débouchés et l’ouverture vers les marchés africains permettent justement d’avoir des tailles de marché intéressantes pour pouvoir amortir l’investissement en R&D. Quand on investit en R&D orienté marché, il faut un marché qui soit d’une certaine taille pour pouvoir rentabiliser l’investissement en R&D. Avec la taille du marché marocain nous sommes limités alors que la taille du marché africain, constitue une opportunité extraordinaire qui s’offre aux innovations marocaines. Maintenant, ce qui est important c’est de faire une R&D qui répond à des problématiques locales et régionales, de prendre en compte les contraintes et les environnements d’application de notre R&D dans les pays africains pour l’agriculture, pour la santé avec les conditions qu’on connaît en Afrique et au Maroc, etc. Et donc je pense que nous avons besoin d’une certaine intelligence pour orienter cette R&D vers les problématiques nationales et régionales qui va nous donner un avantage compétitif sur des marchés qui vont, je pense, être prometteurs.
Est-ce que vous pensez que l’expérience Mascir peut être exportée ?
Je le pense effectivement. Nous recevons un certain nombre de délégations africaines. Je pense que c’est un modèle assez unique en terme de gouvernance, d’orientation, de gestion de projets, de contacts et de partenariats avec les industriels qui commencent très tôt chez nous. Je pense qu’effectivement c’est un modèle assez unique et qui a attiré l’admiration de beaucoup de gens qui sont intéressés par cette expérience.
Parlons un peu de la COP22. Qu’est ce qui a attiré votre attention durant cet évènement ?
Pour moi, la zone verte était beaucoup plus riche en termes d’initiatives et de participation de la société civile. Je pense que c’était une opportunité assez unique, de convergence entre des contraintes et des intérêts qui, en général, ne se rencontrent pas. Il y a eu la participation d’associations de régions reculées qui ont des problématiques liés à l’environnement, l’accès à l’eau, à l’agriculture créatrice de valeurs pour maintenir les populations en place. Il y a eu également la présence de beaucoup de fondations à but non lucratifs ou caritatives qui étaient là bas pour avoir la possibilité de soutenir des projets. Il y a eu des acteurs comme nous, qui sommes des « providers » de solutions. Je pense qu’au delà de l’événement COP qui est un événement mondial, nous gagnerons en tant que pays à trouver des rendez-vous annuels pour que ces acteurs, qui ne se parlent pratiquement jamais, puissent se retrouver. Je pense que c’est à travers ce genre de rencontres qu’on peut se donner le temps d’écouter les besoins et souvent c’est là où les idées naissent. Je pense donc que c’est une expérience à renouveler sur un plan sectoriel.
Donc, vous dites que le Maroc devrait organiser une « COP africaine » ?
Je pense qu’au-delà du volet gouvernemental, cette convergence de financiers, d’entreprises, de la société civile, etc, dans la zone verte est une chose tout à fait utile. Et vu la taille et le nombre d’événements parallèles, il n’était pas possible d’assister à tout. Donc faire quelque chose dédiée soit à l’agriculture ou à l’environnement ou l’eau, entre autres, est tout à fait possible. On ne va pas parler de COP mais d’une conférence sur les solutions de l’économie verte pour le continent africain.
Un dernier mot ?
Je pense que l’intérêt de cet entretien pour moi est une ouverture vers les industriels marocains et en particulier les PME. Les PME marocaines gagneraient énormément à développer une vision de leurs besoins futurs et de s’approcher des centres de recherche pour trouver les bons partenariats qui leur permettraient de devenir des entreprises innovantes et de monter plus haut dans la chaîne de valeur. L’idée selon laquelle la R&D sont un luxe est un préjugé qu’il faut casser. Je pense qu’il y a dans les besoins des PME un vivier d’opportunités d’innovation et de création de valeur qui peuvent être très porteurs même pour des innovations simples. Il faut trouver soit via les fédérations, soit via des consultants la liste d’opportunités des innovations d’intérêt pour les PME qui peut être énorme. Il suffit de regarder la balance commerciale marocaine pour se rendre compte de toutes les opportunités qu’elles présentent en substitutions d’importations. Je pense qu’il y a un gros vivier sur lequel on n’arrive pas à mettre la main parce que les PME n’ont pas le temps de développer une vision à moyen terme et que les centres de recherche et développement comme nous, ont des moyens limités pour pouvoir les atteindre toutes.